De courtier à consultant: neuf tendances dans le courtage professionnel

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Plus international, moins branché transactionnel, plus intéressé par les nouveaux marchés et les nouveaux segments, le courtier de l’immobilier professionnel se repositionne. Sans parler des autres changements qui se profilent à l’horizon. L’analyse des données remplacera-t-elle l’intuition légendaire du courtier ?

Le courtage est le sous-secteur le plus visible de l’immobilier professionnel. Ce métier mène à de très nombreuses carrières : les quatre grands du secteur – CBRE, JLL, Cushman & Wakefield (C&W) et Colliers International – emploient à eux seuls près de 260.000 personnes de par le monde. Le courtier est bien placé pour identifier les nouvelles tendances qui se dessinent dans l’immobilier. Il se doit aussi de suivre, bon gré mal gré, l’évolution du marché. Quels sont les nouveaux segments de demain ? Comment gère-t-il la numérisation à outrance du secteur ? Quels profils sont les plus recherchés ? Autant de questions que nous avons posées à cinq CEO de sociétés de courtage belges : Ingrid Ceusters (Ceusters), Maxime Kumpen (CBRE), Koen Nevens (C&W), David Vermeesch (BelSquare) et Jean-Philip Vroninks (JLL).

1. Le monde immobilier devient un village

L’immobilier n’est pas une île. L’internationalisation de l’économie abolit les frontières nationales dans ce secteur comme ailleurs. “Nous devons suivre nos clients, explique Maxime Kumpen. Bon nombre d’entreprises suivent une stratégie internationale et attendent de leur partenaire immobilier qu’il soit capable d’offrir les mêmes services, le même soutien au niveau mondial.”

L’internationalisation de l’économie abolit les frontières nationales dans le secteur immobilier comme ailleurs.

Confirmation de Jean-Philip Vroninks qui ajoute que l’internationalisation va de pair avec la sous-traitance de l’immobilier dans les grandes entreprises. “La tendance à sous-traiter les activités non essentielles – comme la politique et la gestion immobilière – incite les entreprises à collaborer avec des partenaires professionnels. Les grands corporates privilégient donc les consultants disposant d’un réseau international.”

Ingrid Ceusters constate également une diversification et une globalisation du paysage d’investissement. “Dans les années 1980-1990, les investisseurs suédois et néerlandais s’aventuraient parfois à l’étranger mais le phénomène restait très local. Aujourd’hui, les Coréens et les Chinois qui investissent dans l’immobilier belge sont légion. C’est devenu quasi normal.”

Maxime Kumpen (CBRE)
Maxime Kumpen (CBRE) “Nombre d’entreprises attendent de leur partenaire immobilier qu’il soit capable d’offrir services et soutien au niveau mondial.”© PG

Cette internationalisation serait-elle préjudiciable aux agents locaux ? “Les grandes entreprises signent des contrats souvent internationaux avec les consultants immobiliers, c’est certain, répond David Vermeesch. Mais ce n’est pas le cas pour toutes les activités. Sur le marché des investissements par exemple, les mandats internationaux sont nettement moins fréquents. Les moyens de communication actuels sont tels que BelSquare négocie aussi bien avec un investisseur coréen ou canadien qu’avec des acteurs de premier rang.” A ce propos, Ingrid Ceusters fait remarquer que les acteurs locaux ont eux aussi accès aux réseaux internationaux. Ainsi, Ceusters fait notamment partie de Gerald Eve International, un réseau d’agences indépendantes européennes collaborant avec l’entreprise immobilière anglaise Gerald Eve.

2. Géants et acteurs de niches

A l’instar des grands bureaux de consultance, les agences immobilières ont vu déferler une véritable vague de consolidations à la fin du siècle dernier. En 1998, le britannique Healey & Baker a fusionné avec l’américain Cushman & Wakefield. Cette même année, l’américain CB Commercial a racheté la branche internationale du britannique Richard Ellis. Jones Lang Wootton. Et en 1999, LaSalle Partners a rejoint l’équipe pour former Jones Lang LaSalle. Une deuxième grande vague de consolidations a suivi une décennie plus tard. JLL a absorbé son collègue britannique King Sturge en 2011 et C&W a acquis DTZ en 2015. La première vague de consolidation est sans conteste liée à la tendance à la globalisation évoquée plus haut.

L’ère des grandes fusions et des acquisitions de congénères sectoriels semble toucher à sa fin. Certes, cela ne signifie pas qu’il n’y a plus d’acquisitions mais celles-ci visent principalement à élargir le spectre des activités. “En marge des acteurs mondiaux, certains acteurs régionaux se limitent volontairement à un seul continent, comme BNP Paribas Real Estate et Savills en Europe, sans parler des acteurs locaux”, précise Koen Nevens. Ces derniers suivent généralement une stratégie de niche. “Il s’agit le plus souvent de petites sociétés avec un nombre limité de collaborateurs. Elles arrivent à se maintenir grâce à leurs frais généraux réduits.” De l’avis de David Vermeesch, la tendance à la consolidation ne joue d’ailleurs pas nécessairement en défaveur des petits acteurs locaux. “Quand les grands deviennent vraiment très grands, les petits peuvent se distinguer par une approche plus personnalisée.”

David Vermeesch (BelSquare)
David Vermeesch (BelSquare) “Quand les grands acteurs deviennent vraiment très grands, les petits peuvent se distinguer par une approche plus personnalisée.”© FABRICE DEBATTY

3. Grandir en largeur

En 2015, CBRE a fait sienne l’entité Global Workplace Solutions de Johnson Controls. Cette acquisition a permis au courtier immobilier de s’approprier un rôle de facility manager de premier plan. En 2018, C&W annonçait le rachat d’Admos, spécialisé dans la conception, le design et la construction de nouveaux environnements de travail. En mars 2019, JLL a finalisé l’acquisition de HFF, chef de file mondial de la consultance en financement immobilier, pour la modique somme de 2 milliards d’euros.

Ce ne sont là que quelques exemples de récentes acquisitions par les majors adeptes du one stop shop, du guichet unique. “L’élargissement de nos activités est une conséquence logique de la mondialisation du marché, conclut Koens Nevens. Les clients d’un global player entendent confier toutes les questions relatives à l’immobilier à un seul et unique partenaire. La consolidation a aussi pour effet d’élargir nos domaines de compétences : nous apprenons de nos collègues américains et vice versa. Et nous reprenons les services et les activités des un des autres.”

4. Les investisseurs donnent le ton

Comme le fait remarquer David Vermeesch, l’élargissement ne porte pas uniquement sur les services. “Les courtiers se sont longtemps concentrés sur l’immobilier de bureaux, parfois complété par de l’immobilier commercial et logistique. Mais face aux nombreuses crises qui ont frappé le marché du bureau, les investisseurs se sont tournés vers d’autres types d’actifs comme l’immobilier de soins, les logements d’étudiants, les hôtels, etc. Les courtiers ont été poussés dans le dos vers de nouveaux segments alternatifs.

Ce constat illustre une fois de plus l’intérêt croissant des investisseurs pour le courtage. Ici aussi, le lien avec la globalisation du secteur est indéniable. Jean-Philip Vroninks considère l’internationalisation des capitaux comme le principal moteur de l’immobilier professionnel au cours des 10 dernières années.

L’augmentation et l’internationalisation des flux de capitaux dans l’immobilier visent essentiellement à sécuriser les marchés immobiliers. Le modèle des REITS américains – fonds d’investissement immobilier (cotés en Bourse) – a fait des émules dans de nombreux pays (sociétés immobilières réglementées – SIR – en Belgique), ce qui n’a fait qu’accroître l’importance des départements d’investissement au sein des agences de courtage. Ce n’est pas un hasard si Maxime Kumpen et Jean-Philip Vroninks, CEO des deux plus grands courtiers immobiliers du pays, ont fait leurs preuves au département investissement de leur société.

5. Moins de transactionnel

On les qualifie toujours de courtiers mais il serait plus approprié d’utiliser le terme de “consultant immobilier” si l’on veut désigner des entreprises telles que CBRE, JLL, C&W, Ceusters et BelSquare. “Le transactionnel constitue toujours une part importante de notre activité, indique Jean-Philip Vroninks. Mais les conseils avisés et la vision de la politique immobilière de nos clients prennent une place de plus en plus importante. La transaction est un peu comme un cintre auquel accrocher quantité d’autres services et activités.”

L’étoffement de la profession a pour effet de mettre les courtiers immobiliers en concurrence avec les grandes sociétés de consultance.

Cet étoffement de la profession a également pour effet de mettre les courtiers/consultants immobiliers en concurrence avec les sociétés de consultance classiques comme Deloitte, PwC, EY et KPMG. “D’autant plus que ces consultants s’intéressent eux aussi de plus en plus au secteur, constate David Vermeesch. Ils ont tous leur propre département immobilier pour répondre ainsi à la demande des entreprises en quête d’avis indépendant.”

Jean-Philip Vroninks (JLL)
Jean-Philip Vroninks (JLL) “La transaction immobilière est un peu comme un cintre auquel accrocher quantité d’autres services et activités.”© DANN

Koen Nevens corrobore : courtiers et consultants marchent de plus en plus souvent sur les mêmes plates-bandes. Une différence fondamentale demeure cependant : “Les activités transactionnelles nous permettent d’être au fait de tout ce qui se passe. Nous sommes présents sur le marché chaque jour”, renchérit-il.

6. Les données plutôt que l’intuition

“Il y a 15 ans, la numérisation était quasi inexistante dans le courtage”, se souvient Maxime Kumpen. Aujourd’hui encore, le secteur n’est pas vraiment réputé comme innovant ou adepte de la numérisation même s’il a déjà fait pas mal de chemin, soulignent nos interlocuteurs. “Les données sont fondamentales dans notre métier, poursuit Maxime Kumpen. Le courtier traditionnel se contentait de visiter quelques immeubles avec le client, un point c’est tout. L’analyse move or stay réalisée pour une entreprise se fondait essentiellement sur l’intuition du courtier. Or, aujourd’hui, ce type d’analyse se base sur l’étude approfondie des données comme la durée des trajets pour les employés, etc. La collecte des données et l’utilisation d’outils numériques performants permet de considérer la situation sous un angle nouveau.” Preuve de cette réalité, CBRE Belgique a engagé trois spécialistes IT à temps plein.

La numérisation à outrance semble donc se révéler un des grands défis à relever par le secteur. Sont-ils tous du même avis ? Selon Koen Nevens, le phénomène est une fois de plus à mettre en lien avec la tendance à la consolidation et les avantages d’échelle qui en découlent. “Investir dans des services IT performants coûte une fortune mais si l’investissement peut être réparti sur 50.000 employés plutôt que 50, c’est plus facile évidemment.” Reste que pour Ingrid Ceusters, le courtage demeurera toujours un people business. “Certes, sans outils numériques, le courtier se met hors-jeu, reconnaît-elle. Mais l’interaction entre la technologie et l’homme reste fondamentale. Même avec les meilleurs outils, vous pouvez passer à côté d’une formidable opportunité.”

7. Plus de profils, plus variés

Du fait de la diversification des tâches et des services de courtage, le profil des collaborateurs a radicalement changé. “A mes débuts chez Cushman, c’était simple : la plupart des employés avaient un diplôme de droit ou d’économie, se souvient Koen Nevens. Aujourd’hui, l’éventail des profils s’est considérablement élargi. Le département évaluation a besoin de collaborateurs doués d’un très grand sens analytique. Admos emploie des créatifs, architectes et architectes d’intérieur pour la plupart.” Les compétences exclusivement commerciales ne suffisent plus pour devenir courtier professionnel, enchérit David Vermeesch. “Le courtier affable qui mettait tout le monde d’accord le temps d’un lunch, c’est du passé”, souligne-t-il.

Koen Nevens (C&W)
Koen Nevens (C&W) “L’élargissement de nos activités est une conséquence logique de la mondialisation du marché.”© PG

Maxime Kumpen constate lui aussi un net relèvement du niveau de formation des courtiers professionnels. “La preuve que notre secteur se professionnalise, souligne-t-il. Quand j’ai commencé chez CBRE il y a 15 ans, j’étais un des rares à cumuler deux diplômes universitaires. La plupart des collaborateurs actifs dans notre secteur sont aujourd’hui hautement qualifiés. De nombreux employés de CBRE sont diplômés de hautes écoles réputées, de la Vlerick School et de Solvay notamment, un profil autrefois très fréquent dans les sociétés de consultance et les banques d’investissement.” D’après Ingrid Ceusters, le secteur a surtout besoin de collaborateurs qui combinent compétences spécialisées et bonnes connaissances générales. “La spécialisation est indispensable car la réglementation et la technicité des différents domaines d’activité et des segments immobiliers ne cessent de se complexifier, assure-t-elle. Des formations complémentaires sont indispensables. Ajoutez-y une bonne résistance au stress, une grande flexibilité et une passion pour les nouveautés technologiques. Bref, des oiseaux rares qu’il n’est pas facile de dénicher. ”

8. La découverte des marchés régionaux

En Belgique, JLL possède des antennes à Bruxelles, Anvers et Namur. CBRE a choisi Bruxelles pour son QG mais est aussi présent à Anvers et Diegem. Déjà à pied d’oeuvre à Bruxelles et à Liège, C&W a inauguré une filiale à Anvers l’an dernier. Ceusters opère à Anvers, Gand et Bruxelles et dessert le marché liégeois et limbourgeois depuis le Corda Campus à Hasselt.

La tendance à la décentralisation a remis les marchés régionaux en ligne de mire des grandes entreprises de courtage.

La tendance à la décentralisation a remis les marchés régionaux en ligne de mire des grandes entreprises de courtage, observe David Vermeesch. “Les grands acteurs se sont longtemps concentrés sur le marché des bureaux bruxellois. Certains d’entre eux ne connaissaient même pas la différence entre Mechelen et Machelen. Ils ne s’intéressaient guère aux autres villes. Et la Wallonie n’existait pas… Mais les entreprises ont commencé à décentraliser pour des raisons de mobilité et afin d’attirer de nouveaux talents. En Flandre surtout. Les entreprises mais aussi les administrations publiques. Cette tendance a poussé les courtiers à s’intéresser aux marchés régionaux.

Ingrid Ceusters (Ceusters)
Ingrid Ceusters (Ceusters) “Sans outils numériques, le courtier se met hors-jeu. Mais l’interaction entre la technologie et l’homme reste fondamentale.”© KOEN FASSEUR

“La décentralisation s’explique aussi par la formidable croissance des villes qui ont gagné en importance, souligne Ingrid Ceusters. Dans une Belgique fortement urbanisée, cela revient à s’intéresser aux régions. La Flandre est une grande urbanisation, en quelque sorte, avec tous les problèmes de mobilité que cela implique. Il y a sept ans environ, nous avons donc ouvert des bureaux satellites afin de nous rapprocher de nos collaborateurs et de les connecter à la culture d’entreprise.”

9. Résidentiel rime avec institutionnel

“Nous anticipons une activité accrue dans le marché d’investissement résidentiel, confie Maxime Kumpen. C’est pourquoi nous avons créé en 2016 un département spécifique qui lui est dédié.” Ce département s’adresse non pas aux petits investisseurs particuliers intéressés par les appartements mais aux gros investisseurs disposés à investir 1 à 10 millions d’euros. Maxime Kumpen table aussi sur l’entrée des institutionnels sur ce marché. “En Belgique, celui-ci est encore très morcelé avec une multitude de petits propriétaires et quelques rares acteurs d’envergure comme Home Invest. Mais les grands investisseurs immobiliers auront un jour envie d’étendre leur portefeuille résidentiel et s’intéresseront au marché belge. C’est écrit dans les étoiles.”

260.000 collaborateurs : effectif cumulé des Big Four du courtage professionnel, à savoir CBRE, JLL, Cushman & Wakefield et Colliers International.

L’américain JLL s’est lui aussi doté cette année d’un département résidentiel au sein de son département investissement. “En 2019, le volume d’investissement institutionnel dans le résidentiel en Europe était déjà nettement plus important que celui consacré à l’immobilier commercial. Cette tendance n’a pas encore vraiment le vent en poupe en Belgique mais ce marché est appelé à s’institutionnaliser tôt ou tard.”

Les dangers du coronavirus

La crise sanitaire pèse très lourd sur les résultats des grands consultants immobiliers. JLL a rapporté pour le deuxième trimestre une baisse de revenus de 13% par rapport à la même période en 2019. Son bénéfice d’exploitation a chuté de 5%. C&W a enregistré une perte nette de 100,8 millions de dollars et une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 18%. Chez CBRE, le recul du chiffre d’affaires atteint 5,8% et celui du bénéfice d’exploitation, 42,9%.

Nos interlocuteurs sont unanimes : l’impact sur les organisations belges reste dans des limites raisonnables. Mais à plus long terme, ils anticipent l’accélération de certaines évolutions du fait du coronavirus. “Un rééquilibrage e-commerce/magasins physiques devrait se concrétiser sur le marché du retail, prédit Jean-Philip Vroninks. Cette tendance amorcée avant la crise sanitaire s’accélère : la période de transition qui devait s’étaler sur cinq ans devrait prendre 18 mois tout au plus.”

L’impact sur le marché des bureaux devrait toutefois être quasi nul. “L’évolution vers des méthodes de travail plus souples est indéniable mais le bureau occupera toujours une place fondamentale”, estime Jean- Philip Vroninks. Il devrait même gagner en importance si l’on en croit Maxime Kumpen. “Le virus a momentanément interrompu la guerre des talents. Pour attirer et fidéliser ces derniers, rien de tel qu’un bureau intelligemment aménagé, propice aux expériences. Il faudra inciter les collaborateurs à reprendre le chemin du travail, un réel défi. Je ne crois pas du tout au télétravail. Il faut se réunir entre collègues pour stimuler la créativité, l’innovation, faire vivre la culture d’entreprise. Les outils numériques ne remplaceront jamais l’esprit d’équipe. Si le Bayern Munich s’était entraîné sur Zoom, il n’aurait jamais remporté la Champions League.”

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