Comment Ixelles a réussi son opération séduction

© DEBBY TERMONIA

Des célibataires, des Français, des fonctionnaires européens, des citadins et des cadres supérieurs. Voilà le cocktail gagnant qui a fait grimper les prix de l’immobilier à Ixelles. Une commune qui a connu un sérieux ravalement de façade ces dernières années. Et qui sera difficile à déloger de la plus haute marche du podium tant les nombreux projets neufs haut de gamme vont encore faire grimper les prix.

Le bouchon vient de sauter. Les coupes de Prosecco passent d’une main à l’autre. Il fait beau, il fait chaud en cette soirée estivale. Le marché du Châtelain rassemble ce mercredi-là, comme c’est souvent le cas, des centaines de personnes sur l’une des places les plus huppées de la capitale. Le style est plutôt BCBG. Ça cause, ça crie, ça rigole. Le seul métissage tient au fait d’y croiser une foule de résidents français. ” Emmanuel Macron a fait marche arrière avec l’ISF (impôt sur la fortune, Ndlr), on va donc rester chez vous encore un peu “, sourit Marc, la quarantaine, un exilé parisien patron d’entreprise. Il déchantera toutefois quelques semaines plus tard en découvrant qu’Emmanuel Macron réformera l’ISF en 2018… Pour le reste, tout le monde se ressemble un peu dans cette foule. Pantalon coloré, chemise grande ouverte et mèche bien rangée pour les hommes, lunettes solaires dernier cri, brushing bien lissé et robe de marque pour les femmes.

Bienvenue à Ixelles, la commune où les prix de l’immobilier sont les plus élevés de la capitale, selon les derniers chiffres des notaires. Tous les quartiers de l’entité ne reflètent bien évidemment pas cette ambiance cossue. La diversité des quartiers étant d’ailleurs une des richesses de la commune. Mais difficile de ne pas remarquer que la gentrification a fait son oeuvre ces dernières années. La place du Châtelain, l’avenue Louise ou la place Brugmann ont fait des émules. Avec, comme constante, une nette hausse des prix des maisons et des appartements lors de la dernière décennie.

Le centre-ville séduit à nouveau

Comment expliquer que cette commune de 86.000 habitants ait relégué Uccle et Woluwe-Saint-Pierre sur les deux autres marches du podium ? Comme toujours, il s’agit d’une conjonction de facteurs. Que ce soit la revitalisation de quartiers désuets, le renforcement de quartiers prisés, l’amélioration du bâti, la présence des institutions européennes et de résidents français, la riche offre horeca, la diversification de l’offre culturelle ou encore l’intérêt croissant de promoteurs avides de bonnes affaires, il y en a un peu pour tout le monde. ” Mais il s’agit avant tout de la commune favorite des personnes isolées, fait remarquer le notaire ixellois Olivier de Clippele, par ailleurs conseiller communal à Ixelles et député bruxellois MR. On en recense près de 80 %, soit la plus importante proportion du Royaume ! Dont de nombreux jeunes cadres, qui disposent de bons revenus. Ils apprécient cet environnement urbain de qualité. Ils ne cherchent pas à habiter dans de belles villas mais plutôt dans des appartements spacieux et confortables. Cette situation fait grimper les prix par rapport à d’autres communes car il s’agit d’un mouvement de masse. Je pense que c’est vraiment un facteur déterminant dans cette hausse des prix. ”

Ixelles dispose, en outre, d’une situation idéale. Proche du centre-ville, de lieux de sortie ou encore du bois de la Cambre, son accessibilité est mise en avant, de même que son riche réseau de dessertes en transports en commun. ” D’une manière générale, nous assistons à un retour vers la ville, estime Abraham de Bettencourt, directeur de l’agence immobilière Lecobel-Vaneau. Il y a une envie d’être plus urbain. Et ce au détriment de quartiers situés à Uccle ou à Woluwe-Saint-Pierre. Les gens veulent se rapprocher du centre, des lieux d’animation et des espaces horeca. C’est une constante. J’ai de plus en plus de demandes allant en ce sens. Qu’elles émanent de personnes âgées, de citadins qui ne veulent plus être confrontés aux problèmes de mobilité ou résultent du fait d’une simple évolution des mentalités. ” Et la nouvelle échevine de l’Urbanisme, Viviane Teitelbaum (MR), qui vient de remplacer Nathalie Gilson, d’ajouter : ” Ixelles est une commune particulièrement dynamique. Ce qui fait la différence par rapport à Etterbeek, Uccle ou Boitsfort, c’est cet équilibre entre qualité de vie, espaces vert, pôle horeca et culturel avec nos musées, théâtres et cinémas. Et puis si, à Uccle, on cherche avant tout des grands terrains, quand on vient habiter à Ixelles, avec les mêmes moyens, c’est surtout pour vivre d’une autre manière. Plus urbaine, plus vivante. ” Et l’échevine de préciser que de nombreux contrats de quartier ont permis de redynamiser des pans entiers de la commune, faisant grimper les prix. Que ce soit dans le quartier Saint-Boniface, Flagey ou même Matonge. Sans parler du piétonnier qui sera aménagé sur la chaussée d’Ixelles d’ici mars 2018.

Autant de quartiers que de marchés

La présence de résidents français est un autre élément important. On en recense près de 11.000, appâtés le plus souvent par une fiscalité attractive. Ils ne choisissent pas de s’établir à Uccle ou à Woluwe-Saint-Pierre mais bien dans les belles maisons de maître Art nouveau du quartier du Châtelain, à l’avenue Molière, à la chaussée de Vleurgat ou à la place Brugmann, faisant d’Ixelles une terre d’exil particulièrement bien appréciée. Les fonctionnaires européens ne sont pas non plus en reste. De même que les étudiants français, qui suivent habituellement leur cursus à l’ULB, et qui font également grimper les prix. Ils s’installent à proximité du cimetière d’Ixelles, du boulevard Général Jacques et de la chaussée de Boondael. ” Et puis, il y a aussi une qualité de vie à Ixelles, lance le notaire Olivier Dubuisson. Il y a des beaux quartiers, un bâti historique, une architecture, une université, des commerces, le bois de la Cambre. Et une certaine sécurité. Le sentiment d’insécurité est très faible dans la commune, ce qui rassure bien évidemment les personnes à hauts revenus. ”

Au niveau des prix de l’immobilier, difficile de tirer une constante vu qu’il y a pratiquement autant de marchés que de quartiers. Les prix pouvant varier du simple au double de l’un à l’autre. Une maison de maître rénovée dans un quartier prisé tels que les celui des étangs, de la place Brugmann ou du Châtelain tournera autour de 5.000 à 6.000 euros/m2. Voire davantage si elle est dotée d’un grand jardin et d’un garage. ” Il y a heureusement un turnover important à Ixelles, bien plus qu’à Watermael- Boitsfort par exemple, explique Abraham de Bettencourt. Ce qui fait que nous sommes dans un marché particulièrement dynamique. ”

Le prix moyen d’une maison existante s’élevait en 2016 à 577.500 euros (+ 20,3 % par rapport à 2015, prix médian), le plus élevé de la capitale. Celui d’un appartement à 270.000 euros (+ 8%), juste derrière Woluwe-Saint-Pierre (296.500 euros). Notons que c’est à Ixelles que l’on retrouve les prix les plus élevés pour un appartement deux chambres (288.000 euros, + 6,7%). ” La demande est forte même si les prix sont stables, explique Olivier Dubuisson. Les maisons unifamiliales partent très vite en tout cas. Il y a une vraie demande en la matière. Les appartements neufs sont vendus le plus souvent entre 4.000 et 5.000 euros/m2. Ce qui est élevé, mais leurs faibles charges d’entretien et leurs performances énergétiques sont très attractives pour un candidat acquéreur. ”

Parmi les projets immobiliers en cours de développement, on peut relever le Queen 1839 situé rue Souveraine et développé par E-Maprod – Dedeyne Projects (33 appartements), le Sans Souci du Fonds du logement situé rue Sans Souci (24 appartements), le Stassart 35 situé au-dessus de la Galerie de la Toison d’or dont le promoteur est Capital construct (39 appartements), Elysée mené par Bouygues à la chaussée d’Ixelles (83 appartements), Elyséeum par E-Maprod à la rue de la Croix (33 appartements) ou encore Ernest The Park, l’ancien site Solvay situé rue du Prince Albert, où BPI et Immobel développeront 308 logements. Bref, on le voit, un pipeline bien rempli. Et dont les prix sont le plus souvent élevés, grimpant de 345.000 à 395.000 euros pour un appartement deux chambres.

Encore des bonnes affaires

Quant aux quartiers qui restent encore accessibles, il se font plus rares. Les observateurs sollicités estiment qu’il faut aujourd’hui se tourner vers le quartier Malibran (de la place Flagey vers la rue du Trône) ou encore le quartier de la maison communale d’Ixelles pour faire une bonne affaire. ” Il y est encore possible de mettre la main sur une maison à rénover pour 250.000 euros, estime Olivier de Clippele. Les maisons y sont plus petites et doivent être restaurées. Cela peut être le bon moment d’investir d’autant que les taux d’intérêt sont bas. ” Les rues perpendiculaires à la chaussée de Wavre, entre la rue de la Tulipe et la rue Gray, proposent également des prix attrayants. ” Elles n’ont pas encore connu une certaine gentrification, ajoute Olivier de Clippele. Cela reste un quartier un peu plus populaire. On peut aussi citer les alentours des casernes. ” Alors qu’Abraham de Bettencourt ajouterait de son côté le quartier de la place Fernand Cocq, qu’il estime en complète mutation et où il encore possible d’acheter de belles petites maisons à rénover.

Tout est-il rose pour autant ? Pas vraiment. Les divisions de logements sont légion. Les infractions urbanistiques également, comme c’est souvent le cas dans toute la Région bruxelloise d’ailleurs. Sans parler de l’insécurité juridique qui découle des importants retards en matière de délivrance des informations urbanistiques, désormais réclamées pour conclure les ventes. ” Cela grimpe parfois jusqu’à sept mois, regrette Olivier Dubuisson. Ce qui fait que certains acquéreurs achètent leur maison sans toujours avoir toutes les garanties sur leur bien. Ce n’est pas normal. ” Et l’échevine de l’Urbanisme, Viviane Teitelbaum, d’ajouter : ” Il y a des règles strictes en matière de division de logements mais il est difficile de tout contrôler. Il est évident que certains problèmes en découlent. Comme une augmentation des difficultés de stationnement et de mobilité. Nous sommes attentifs à cette question “. Avec en corollaire le fait que le marché des garages est devenu une très bonne affaire à Ixelles. Certains étant vendus pour plus de 100.000 euros à proximité de la place Brugmann. Leur prix moyen était toutefois moins élevé, tournant autour de 35.000 euros en 2016 à Ixelles. De quoi démontrer aisément la diversité des quartiers ixellois en matière d’immobilier, même sur ce segment plus anecdotique.

XAVIER ATTOUT

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