“Aujourd’hui, si on n’investit pas, on recule”

© JONAS LAMPENS

Knokke-Heist est en proie à une multitude de projets immobiliers. Un dynamisme nécessaire, gage de son succès touristique selon Léopold Lippens, maître de la commune depuis 37 ans. Rencontre avec un bourgmestre résolument bâtisseur.

S’il est bien une commune belge au sein de laquelle l’immobilier est un instrument de taille, c’est Knokke-Heist. Son bourgmestre, Léopold Lippens, aux commandes depuis… 1979, en sait quelque chose. Ce sont ses ancêtres, fondateurs de la Compagnie du Zoute, qui en ont façonné ses plus beaux contours dès le début du siècle passé, en vue d’en protéger le ” paysage unique “. Depuis son entrée en fonction, l’élu poursuit cette tâche avec ferveur, convaincu du poids de la brique sur ” l’image de marque ” de sa commune comme sur le reste de l’économie locale. Récemment, nombre de chantiers ont été lancés et d’autres programmés, pour un investissement total de… 1,2 milliard d’euros tout de même.

LEOPOLD LIPPENS. Certainement, mais l’immobilier pur ne fonctionne jamais. Le réel dynamisme, c’est de pouvoir imaginer et développer une structure cohérente. Un puzzle dans lequel on ajoute des pièces qui viennent s’emboîter parfaitement les unes dans les autres. Si on décide de construire ceci ici, on installera cela à côté. Et si la pièce voisine gêne, ou ne convient plus, on n’hésitera pas à la remodeler ou à la déplacer ailleurs.

Y a-t-il des pièces maîtresses auxquelles il faut prêter attention pour réussir le tout ?

Cela dépend du puzzle que l’on souhaite réaliser. Knokke-Heist est et reste une station balnéaire, mais ce qui fait son succès, c’est la multitude de services et de facilités qu’elle offre, dans un cadre propre, sûr et soigné en prime. Certes, on a la chance d’avoir la mer, un bel arrière-pays, la proximité de Bruges… Mais les gens viennent chez nous et pas ailleurs parce qu’ils y trouvent une qualité de vie extraordinaire : une infrastructure de 350 à 400 restaurants, 150 galeries d’art, 1.800 magasins ouverts le week-end, sans oublier le volet événementiel et sportif. Knokke-Heist réunit tous les avantages d’une ville sans en avoir les inconvénients.

Est-ce que cela suffit à expliquer le prix élevé de sa brique ?

Notre immobilier est probablement le plus cher de Belgique. Certains endroits de la digue sont plus onéreux que le centre de Paris, juste en deçà de Londres. Or, tout se vend parce que la qualité de vie n’a pas de prix. Ceci dit, il ne faut pas non plus exagérer. Ceux qui ont acheté leur propriété à 6 millions de francs belges il y a 30 ans et espèrent la revendre 6 millions d’euros aujourd’hui ne sont pas réalistes, évidemment. Mais en attendant, le marché immobilier tourne.

Le marché acquisitif. On ne peut pas en dire de même du marché locatif…

Je n’appartiens à aucun parti politique, donc je ne me bats pas contre des opposants mais pour des idées.

Oui, on entend partout que les locations diminuent à la côte. Mais c’est logique, en un sens. A Knokke, en tous les cas. Pour la simple et bonne raison que lorsque qu’on débourse 3 ou 4 millions d’euros pour un appartement ou que l’on fait des travaux d’aménagement à grands frais, on ne veut pas louer son bien à des inconnus. Le succès passé des locations saisonnières s’est construit, chez nous, sur un parc de moins bonne qualité, entre guillemets. Le temps où les villas étaient louées d’année en année par les mêmes familles qui y passaient tout leur été est révolu.

Où accueillir les vacanciers, dans ce cas ?

Avant toute chose, il faut savoir que le tourisme d’un jour est très important chez nous : en haute saison, il arrive que l’on compte 200.000 à 300.000 personnes à Knokke. On ne sait pas loger tout le monde. Ceci étant dit, il faut, selon moi, miser sur l’hôtellerie plus que sur les locations de logements de vacances. Or, notre commune manque cruellement d’hôtels : 600 chambres seulement alors qu’en 1939, il y en avait 6.900. Mais la notion d’appartement n’existait pas alors. Elle a été inventée après la guerre et a changé complètement le paysage de la côte belge. L’appartement est la solution trouvée pour que tout le monde puisse s’offrir une vue sur la mer. Les hôtels qui peuplaient alors la digue ont de facto tous disparu. C’étaient des structures familiales et l’explosion du prix du foncier a rendu impossible toute reprise de ces petits établissements par la génération suivante. Quelques villes en Europe ont développé une politique intelligente et ont choisi de préserver ce patrimoine. A l’image du Touquet ou de Biarritz, par exemple, qui doit encore posséder 7.000 ou 8.000 chambres d’hôtel alors qu’elle compte moins d’habitants que Knokke. Sur la côte belge, on a tout sacrifié à la promotion et on doit maintenant reconstruire des hôtels. Mais nous allons faire de grands efforts à l’avenir pour essayer d’avoir plusieurs centaines, peut-être 1.000 chambres de plus à Knokke. C’est capital. Une station balnéaire qui est, comme la nôtre, dépourvue d’hôtels de qualité, est une station qui est condamnée à disparaître.

A ce point-là ?

Si demain, vous voulez partir en vacances quelque part, vous allez commencer par surfer sur Internet pour réserver une chambre d’hôtel. Si vous n’en trouvez pas ou si l’offre ne vous convient pas, vous changerez de destination. C’est devenu la règle générale pour les gens qui voyagent aujourd’hui. Et ce, quel que soit leur budget.

Vous parlez d’hôtels de qualité et maintenant de budget. Qu’en est-il de l’offre hôtelière plus abordable ? Fait-elle aussi partie de vos projets de développement ?

Pour l’instant, Knokke dispose d’une auberge de jeunesse. Elle a ouvert récemment, au sein du nouveau quartier qui se construit à côté de la gare, Duinenwater. Mais cela ne marche pas. C’est très étrange, je ne me l’explique pas. Pour le reste, on dénombre quelques campings à Heist. Mais on ne sait pas tout faire non plus.

Il n’y a pas que des hôtels dans les cartons de la commune… Vous avez lancé une foule de nouveaux projets.

En effet. En tout, Knokke fait l’objet d’une grosse vingtaine de projets, tous secteurs confondus : mobilité, patrimoine, santé, tourisme, logement, services et facilités, sports, etc. Quand on met tous ces projets bout à bout, les plus modestes comme les plus importants, cela revient environ à un investissement d’1,2 milliard d’euros, réalisé à hauteur de 95 %, voire plus, par le privé.

La commune ne doit-elle pas elle aussi mettre la main à la pâte ?

Notre commune manque cruellement d’hôtels : 600 chambres seulement alors qu’en 1939, il y en avait 6.900.”

La commune doit pouvoir faire ce qu’elle sait faire, c’est-à-dire… pas grand-chose. Il nous faut veiller à ce que les routes soient convenables, à ce que le système d’égouts soit fonctionnel et entretenu, à assurer les services de police et de pompiers. Pour le reste, nous devons être des catalyseurs d’idées. Avoir une vision claire de l’avenir et lancer le privé sur divers projets bien cadrés. C’est ce qui a fini par faire la richesse de Knokke. Chez nous, le privé réalise et prend en main presque tout : infrastructures sportives, commerces, etc. A l’inverse de beaucoup d’autres communes, qui essaient de s’acquitter elles-mêmes de beaucoup de choses. Cela ne sert strictement à rien. Cela coûte cher, c’est en général moins bien exécuté et géré.

Encore faut-il attirer les investisseurs privés…

Nous avons un créneau qui correspond à ce que les gens recherchent aujourd’hui. Knokke a la chance d’être une station pilote en Europe, avec la plus haute qualité de vie sur la côte nord du continent, de Biarritz à la Suède. Du coup, les investisseurs répondent présents. C’est aussi lié à notre image de marque, à laquelle je tiens beaucoup et que je défends en faisant tout ce qui est en mon pouvoir pour garder notre place dans le peloton de tête.

Avec le soutien de vos concitoyens ?

Les Knokkois se rendent compte que, pour survivre dans un monde où le tourisme devient mondial et où la mobilité est diamétralement différente d’il y a 20 ou 30 ans, si on n’investit pas, on recule. Je travaille pour la commune, pas pour moi, pas pour avoir le pouvoir, pas pour le garder. Je n’appartiens à aucun parti politique, donc je ne me bats pas contre des opposants mais pour des idées. Si mes idées ne passent plus, je partirai, tout simplement. Pour l’instant, nous avons une belle majorité, 24 sièges sur 31. Et nous avons re-signé pour huit ans voici deux ans. Nous avons donc la même alliance pour les six prochaines années. Nous sommes tout à fait à notre aise pour continuer les projets que l’on a commencés. Dans huit à 10 ans, tout sera terminé.

Knokke a-t-elle fait appel à un ” bouwmeester ” (maître-architecte) comme Bruxelles et Charleroi ?

Non. Mais chaque décision, chaque projet fait l’objet de nombreuses réunions. Et je n’hésite pas à m’entourer de gens compétents. Par exemple, quand on a lancé le nouveau lotissement Heulebrug à Heist il y a 16 ans, j’ai fait venir les deux plus grands architectes du moment : le Luxembourgeois Leon Krier et l’Américain Anders Duany, du bureau DPZ. Ils nous ont présenté un projet que nous avons exécuté. Nous avons aussi lancé des concours d’architecture. Mais nous n’allons plus le faire. Il faut choisir, et choisir est ennuyeux parce cela nécessite de devoir se mettre d’accord. Or, l’un aime ceci, l’autre préfère cela et on n’en sort pas.

C’est important pour vous de promouvoir le geste architectural ?

Je suis très sensible à l’architecture. D’ailleurs, Knokke a toujours été un peu à la pointe en la matière. J’essaie de pousser dans ce sens et de donner au privé la possibilité de faire preuve de créativité, bien souvent en faisant appel à de grands architectes. Attention, je ne dis pas que seuls les grands architectes sont capables de projets de qualité. Mais il faut reconnaître que leur vision est souvent originale et remarquable. Par contre, il est impératif de préserver le Zoute. Hors de question, là, de faire dans l’architecture moderne. Il faut conserver le charme de l’époque.

Y a-t-il encore de la place disponible pour des projets dans le futur ou faudra-t-il un jour construire en hauteur ?

Le seul cas de figure pour lequel le collège autoriserait de construire en hauteur est celui qui envisagerait d’ajouter à un bâtiment situé sur la digue des étages supplémentaires affectés à de l’hôtellerie. Knokke n’a pas l’ambition de devenir une méga-cité, mais d’être ce qu’elle est. Une station balnéaire. D’autant que l’on n’a pas besoin de nouveaux appartements. Il y en a déjà beaucoup.

Quid de l’accès à la propriété des jeunes ?

Favoriser les jeunes ménages, ce n’est pas évident. Dans toutes les zones touristiques, que ce soit à la montagne ou à la mer, on constate que les locaux sont contraints de chercher à se loger un peu plus loin. Ce qui veut dire que les gens qui habitent un peu plus loin doivent aussi se déplacer. Nous avons choisi de résoudre le problème en créant du logement abordable. C’est le cas du lotissement de Heulebrug, acquis à 80 % par des jeunes Knokkois. C’est très important pour nous, parce que le tourisme, c’est très joli, mais il ne faut pas que l’on devienne une commune de super-vieux.

Qui se presse aujourd’hui à Knokke ?

Notre clientèle est à 96 % belge. J’insiste sur le terme : belge. Quand on me dit qu’il y a plus de Flamands que de francophones à Knokke, je rétorque que je ne veux pas entendre parler de polémiques linguistiques. Moi, je suis belge. Knokke est un microcosme de la Belgique, où tout le monde se sent bien et où il n’y a pas de problèmes communautaires. Tout comme il n’y a pas de jet-set. Les villas changent de mains, les fortunes aussi. Les gens arrivent et partent comme partout. Sauf que ceux qui possèdent beaucoup en Belgique ont envie d’être chez nous parce qu’ils y trouvent ce qu’ils recherchent.

Avez-vous une botte secrète ?

Le secret, c’est l’attention aux détails. C’est ce qui fait toute la différence. Une anecdote : un jour, un bonhomme est venu me trouver. Il était pensionné et cherchait une occupation. Je lui ai dit qu’il y avait quelque chose qu’il pouvait faire pour moi : parcourir les routes en voiture et noter tout ce qui n’allait pas, comme un poteau renversé, un arbre tombé… Résultat, il fait 35.000 à 40.000 km par an dans Knokke ! Les gens ne comprennent pas comment cela se fait que j’ai des yeux partout. C’est simple, j’ai un espion que personne ne connaît…

Etes-vous toujours impliqué dans la Compagnie du Zoute ?

Non. Je suis président du golf, qui appartient à la Compagnie du Zoute, mais celle-ci a une politique de limite d’âge, que j’ai atteinte il y a presque 10 ans. Néanmoins, je suis en relation directe avec eux de par mon rôle d’élu.

Connaissez-vous le nom du remplaçant de Philippe Muylle, qui a démissionné de son poste d’administrateur délégué de la Compagnie il y a quelques semaines ?

Il sera bientôt révélé. Ce n’est pas à moi d’en dire plus.

Propos recueillis par Frédérique Masquelier / Photos : Jonas Lampens.

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