Antoine de Borman, CEO de Perspective.brussels: “La densification reste vue d’une manière trop négative à Bruxelles

© PG/JAN VAN DE VEL

Les débats urbanistiques se multiplient à Bruxelles pour le moment. Densification, gentrification ou encore préservation des friches alimentent les discussions. L’équilibre vers une ville mieux organisée, plus apaisée et au logement abordable semble encore loin à atteindre.

Perspective, le bureau bruxellois de la planification qui détermine la stratégie territoriale de la Région, est sur tous les fronts actuellement. Il pilote notamment la finalisation d’une dizaine de plans d’aménagement directeur (PAD) qui vont considérablement modifier la vie des Bruxellois. Il tente aussi de quantifier et de répertorier les immeubles de bureaux qui pourraient faire l’objet d’une reconversion en logement. Tour du propriétaire avec son nouveau directeur, Antoine de Borman.

TRENDS-TENDANCES. Le dernier débat en date est celui qui oppose d’un côté densification et besoin de logements, et de l’autre la préservation de friches et d’espaces pour la biodiversité. Une opposition inextricable?

ANTOINE DE BORMAN. La question de l’équilibre entre les différentes fonctions dans un espace réduit est toujours sensible mais forcément plus tendue en période de crise sanitaire. D’autant que le besoin de logements de qualité et d’espaces verts est devenu très fort. La stratégie territoriale de la Région bruxelloise est définie dans le Plan régional de développement durable. Et personne n’a affirmé qu’il n’était plus adapté. La plupart des éléments structurants et des réponses y sont présents. Lutter contre l’étalement urbain est un point essentiel. Cela passe par une augmentation de la densité lorsque c’est opportun, par la refonte d’une série d’entrées de ville (Herrmann-Debroux, Reyers, Heysel, Anderlecht, etc.) de même que par un travail sur les anciens sites ferroviaires (Josaphat, Schaerbeek- Formation, gare de l’Ouest, Delta). Il s’agit de réserves foncières intéressantes. L’objectif est de les valoriser.

Vingt pour cent des nouveaux logements mis sur le marché en 2020 étaient issus de reconversions.

Mais des sites à Boitsfort, Josaphat ou Woluwe-Saint-Pierre suscitent des tensions pour le moment…

Aujourd’hui, la Région ou des acteurs publics bruxellois possèdent des grands terrains. Il est logique de souhaiter les valoriser. Prenons l’exemple de Josaphat, à Schaerbeek. Il s’agit d’un ancien terrain ferroviaire que la Région a dépollué. Si ce site est aujourd’hui riche en biodiversité, c’est grâce à cette action. C’est le rôle de la Région de développer cette zone et d’y installer des fonctions qui ont du sens dans un ensemble cohérent. Si nous ne le faisons pas, cela va favoriser l’étalement urbain et on continuera à construire des lotissements à Grimbergen, Zemst ou dans le Brabant wallon.

La plupart des PAD semblent sous le feu des critiques. Un outil de planification à revoir ou incompris?

Tous les outils d’aménagement du territoire sont soumis à débat ou à contestation. Auparavant, la Région établissait un schéma directeur, qui était un outil d’orientation. Elle a souhaité aller un cran plus loin. Le PAD permet de traduire, aussi sur le plan réglementaire, la stratégie de la Région. C’est un atout de se doter d’un outil qui permet de traduire une vision globale. Et indispensable si on veut continuer à améliorer l’espace urbain. Mais cela ne veut pas dire que l’outil est parfait, il faut l’évaluer, notamment pour trouver le bon équilibre entre vision de long terme et agilité.

Mais les processus sont lents, souvent contestés et les tensions politiques palpables…

On dit toujours qu’un PAD met du temps à être approuvé mais il faut relativiser ce constat. Trois PAD ont déjà été validés définitivement par le gouvernement: ceux des casernes d’Ixelles, de la gare de l’Ouest et d’Heyvaert. Pour ce dernier, le gouvernement a chargé perspective.brussels de travailler sur le plan en 2018. Trois ans plus tard, le projet est approuvé en dernière lecture. Le timing est donc raisonnable. D’autres PAD prennent plus de temps mais ce n’est pas toujours lié à la planologie. Ceux de Midi et Josaphat sont à l’enquête publique. Un rapport d’incidences environnementales est en cours pour Mediapark. Le PAD Loi est quant à lui en réflexion pour tenir compte des résultats de l’enquête publique et du changement de stratégie de la Commission européenne. D’autres PAD sont plutôt au début du processus: Défense (reconversion de l’ex-site de l’Otan) ou Maximilien, par exemple.

La pression citoyenne ou associative guide-t-elle un peu trop les décisions politiques au détriment de l’urbanisme bruxellois?

Je rêve d’un modèle où l’on pourrait faire de la participation citoyenne tout au long des projets dans un dialogue serein et constructif avec tous les acteurs. Mais je crains que ce modèle reste un idéal car le phénomène Nimby ( not in my backyard) existera toujours. La responsabilité publique est aussi de porter des projets et de les assumer devant la population.

Il n’y a jamais eu aussi peu d’appartements neufs en cours de commercialisation qu’aujourd’hui. Ce qui fait grimper les prix. Y a-t-il une solution miracle pour diminuer la pression?

La meilleure réponse reste l’augmentation de l’offre. Subventionner la demande n’est pas une solution pertinente à long terme. Mais en matière de logement, nous ne pouvons pas non plus être uniquement dans un objectif quantitatif. Il est important de créer un cadre de qualité qui permet de retenir les Bruxellois. Les procédures sont-elles trop lentes? Bien évidemment. Chacun doit pouvoir identifier comment ces processus pourraient être plus optimales.

Rudi Vervoort, ministre- président bruxellois, est sceptique quant à la multiplication des reconversions de bureaux en logements. Or, tout le monde avance cette piste pour combler la hausse de la vacance des immeubles de bureaux. Qu’en pensez-vous?

Aujourd’hui, certains veulent présenter la reconversion des bureaux en résidentiel comme la solution ultime pour résorber la problématique du logement. Et ils estiment que les PAD ne sont plus nécessaires car cette piste serait suffisante. C’est caricatural et simpliste. Rudi Vervoort nous a demandé de nous pencher sur cette question et d’analyser le potentiel d’immeubles reconvertibles à Bruxelles, que ce soit par rapport à la qualité du bâti ou à la localisation. Mais en réalité, il y a déjà beaucoup de reconversions. Vingt pour cent des nouveaux logements mis sur le marché en 2020 étaient issus de reconversions.

Sur le million de mètres carrés vacants, combien seraient reconvertibles?

Nous sommes en train d’analyser la question, il est donc encore prématuré d’y répondre. Les résultats seront dévoilés dans les prochains mois.

Une grande question reste: comment densifier alors que personne ne semble le vouloir?

Question complexe, en effet. Je constate que dans d’autres villes, ce débat n’est pas vu de manière aussi négative. A Gand, les autorités assument l’idée d’aller vers une augmentation de la densité dans certaines zones. Il faut en fait bien comprendre que derrière le vocable densité, il peut y avoir des réalités très différentes. Dans le quartier Heyvaert, la densité est par exemple beaucoup plus faible que dans les quartiers environnants. Et ce, même si l’activité est très forte, avec beaucoup de passage et d’agitation. L’idée du PAD est de montrer qu’il y a un potentiel pour densifier davantage à condition de créer des espaces d’aération, des trames vertes et des espaces de recul pour les immeubles. De manière à notamment créer des espaces publics de qualité. Une densité bien pensée entraine une meilleure qualité de vie. La ville à 15 minutes est liée à une certaine densité.

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