Tesla, Ionity, et les autres: le business naissant de la charge (ultra)rapide
Tesla promet d’ouvrir ses bornes à toutes les marques de voitures électriques. Cela pourrait être une étape dans le développement des réseaux de bornes rapides. Qui sont les acteurs de ce marché tout neuf?
Lire à ce sujet notre dossier complet sur les voitures électriques:
Tesla avait compris que pour convaincre les automobilistes de passer à l’électrique, le constructeur devait développer lui-même un réseau de bornes rapides – les “superchargeurs” – réservées à ses clients. Pour rassurer ces derniers, sinon ils n’achetaient pas… Le constructeur en compte aujourd’hui plus de 6.000 en Europe, réparties sur 600 sites. Ces superchargeurs Tesla ont pris de l’avance par rapport aux autres réseaux à charge rapide tels Ionity ou Fastned, plus petits.
De plus, Elon Musk a annoncé, lors de la publication des derniers résultats semestriels de Tesla il y a un mois, l’ouverture de son réseau de charge à toutes les marques de voitures. Ce serait un bond formidable pour les automobilistes et, au passage, une autre manière de rentabiliser les investissements consentis par l’entreprise dans ses bornes. Sur le trajet Bruxelles-Paris, par exemple, c’est Tesla qui a aujourd’hui l’offre la plus consistante de recharge.
L’importance de la vitesse
Les bornes rapides alimentent les voitures avec du courant continu à une vitesse minimale de 50 kW. Les bornes Tesla, elles, fournissent 150 et 250 kW, et Ionity va jusqu’à 350 kW. Ces installations sont plus coûteuses que les bornes à courant alternatif (CA) à 22 kW que l’on retrouve dans les rues, qui sont plus lentes: 70 km d’autonomie par heure de charge, contre 240 à 600 km sur des bornes rapides.
Il existe quatre grandes familles de réseaux de bornes rapides ou ultra-rapides:
- Les bornes des constructeurs: Tesla et Ionity. Tesla dispose depuis 2015 d’un réseau de superchargeurs sur l’Europe entière, accessibles jusqu’ici aux seuls véhicules de la marque, à un prix modéré (31 centimes par kWh, gratuit pour les premiers clients de la marque). D’autres constructeurs ont compris qu’ils devaient suivre la même voie pour vendre leurs voitures à batterie. D’où la création d’Ionity, joint-venture de Volkswagen, BMW, Mercedes, Ford et Hyundai, qui développe depuis 2018 un réseau de stations ultra-rapides de trois à quatre bornes chacune. Le réseau fut très fréquenté cet été. Dans un tweet, le patron du groupe VW, Herbert Diess, s’est par exemple plaint d’avoir vu des bornes Ionity en panne en Italie, pays où il passait ses vacances avec sa VW ID.3. Ennuyeux lors des grands départs, quand toutes les bornes sont occupées. “Il arrive que certaines bornes soient en maintenance. Dans ces cas, les bornes voisines apportent le service nécessaire”, assure Olivier Paturet, porte-parole d’Ionity France, qui concède que cette capacité peut être améliorée “selon la demande du marché”. Ionity, qui vise les 400 stations en Europe, est parvenu à installer 80 stations en France, 8 en Belgique, et veut développer une station “tous les 150-200 km, quand cela est possible”. Les tarifs sont hélas un peu élevés (79 centimes par kWh ou, en France, par minute, sauf tarif particulier via certains constructeurs actionnaires).
- Les pétroliers comme TotalEnergies. Plusieurs pétroliers développent des charges rapides sur les grands axes, comme TotalEnergies, très présent sur les autoroutes. Ils sont encore loin d’avoir adapté toutes les stations. Dans beaucoup de cas, on ne trouve guère qu’une borne isolée dans un coin de parking. La tendance est à l’installation de sites multibornes, comme TotalEnergies en a construit à la station de Ruisbroek, à la sortie de Bruxelles sur le ring en direction de Mons, mais il y a encore du chemin à parcourir. De notre expérience, les bornes des pétroliers sont plutôt fiables (TotalEnergies garantit une intervention dans les quatre heures en cas de panne). D’autres pétroliers ont fait d’autres choix. Shell a un accord avec Ionity, qui déploie des bornes dans ses stations d’autoroutes, Q8 fait la même chose en Belgique.
- Les start-up comme Fastned. L’exemple le plus intéressant est sans doute le néerlandais Fastned, créé en 2012, qui gère 157 stations (Pays-Bas surtout, Belgique, Allemagne, Suisse, Grande-Bretagne). Son objectif est d’ouvrir de véritables stations multibornes bien visibles, alimentées notamment grâce à un toit en panneaux solaires, sur l’Europe occidentale. Ce réseau a des accords pour ouvrir 310 sites supplémentaires. Il inaugure une station par semaine. Fastned vient justement d’en mettre deux en service sur l’aire de Peutie (une dans chaque sens) sur l’autoroute Bruxelles-Anvers (E19), la première station d’autoroute full électrique en Belgique. Fastned a des ambitions, notamment en France où le gouvernement souhaite que les 361 stations présentes sur le réseau autoroutier soient toutes équipées d’ici 2023. Pour ce faire, ce dernier a annoncé des appels d’offres et 100 millions d’euros de subsides. L’entreprise est persuadée que la charge rapide est le futur, influencée sans doute par la situation des Pays-Bas, dont 75% des habitants n’ont pas de possibilité de charger leur véhicule à domicile. L’entreprise promet que le coût élevé de son service va diminuer, invoquant comme argument imparable l’utilisation d’énergies renouvelables. Les charges rapides chez Fastend s’opèrent en effet surtout dans la journée, quand l’énergie solaire est disponible.
- Les réseaux publics comme Chargy. Les réseaux publics ou de concession publique se concentrent généralement sur la charge à vitesse moyenne pour la population locale, comme charge.brussels dans notre capitale. Mais certains se développent vers la charge rapide, comme le luxembourgeois Chargy qui lance des bornes SuperChargy. Le réseau compte plus de 400 bornes locales à 22 kW (AC) dans les localités du Grand-Duché. Il a ouvert son premier site rapide sur le plateau du Kirchberg, à Luxembourg-Ville (bornes de 160 à 320 kW). Son objectif est d’installer des stations SuperChargy sur les grands axes: sur l’aire de Capellen dans le sens Luxembourg-Arlon fin 2021 et dans l’autre sens début 2022 (chaque fois six bornes, ce qui sera précieux pour les automobilistes qui effectuent régulièrement le trajet Bruxelles-Luxembourg), sur l’aire de Berchem en direction de Metz fin 2021 et début 2022 dans l’autre sens. Idem pour l’aire de Wasserbillig, en direction de l’Allemagne. Au total, 88 points de charge seront installés.
Pas encore rentable
Quasiment aucun réseau de recharge ne peut encore afficher un profit car tout le monde investit et le parc de véhicules à batteries est encore limité. “Peut-être que les charges rapides seront plus vite rentables”, reconnaît toutefois Alex Michels, head of assets chez Creos, le principal distributeur d’électricité du Grand-Duché, qui gère le réseau luxembourgeois public Chargy. “Sur les bornes rapides à courant continu, vous chargez plus de volume puisqu’elles sont rapides, et à des tarifs plus élevés. Mais l’investissement est aussi plus élevé que pour les bornes à courant alternatif (AC). Pour celles-ci, il est difficile d’établir un business plan viable”, continue Alex Michels. Les bornes AC (bornes de quartier) demandent en effet des heures pour faire le plein, et le revenu est limité. Il s’agit donc plutôt d’un service. Pour la charge rapide, la rentabilité doit encore attendre que les réseaux soient déployés et les voitures électriques, plus nombreuses. Fastned a ainsi annoncé une perte de 12,4 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 6,9 millions d’euros pour 2020 (+37%). Mais sa croissance est forte (+63% de revenus au premier semestre 2021).
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