Taxation mondiale du numérique: des questions encore “en suspens”

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Pour Pascal Saint-Amans, qui pilote ce très délicat chantier à l’OCDE, le G7 a permis de “faire avancer” le projet d’accord international sur la fiscalité des géants du numérique. Mais de nombreuses questions, souvent complexes, restent “en suspens”.

Le Français est directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’institution désignée pour élaborer de nouvelles règles fiscales internationales.

Le sommet du G7 a braqué les projecteurs sur le projet d’accord fiscal international actuellement discuté sous l’égide de l’OCDE. Où en sont les négociations?

Le processus multilatéral est en cours. Nous allons faire une proposition, qu’on rendra publique avant le prochain G20 finances, prévu le 17 octobre à Washington. Il fallait une impulsion politique. Je pense que ça va relancer la discussion. Il y a deux piliers: l’un consiste à voir comment on taxe des entreprises qui ne sont actuellement pas imposables et comment on réalloue les droits d’imposer; et l’autre concerne la création d’un impôt minimum sur les bénéfices. L’idée du premier pilier, c’est de faire en sorte qu’une entreprise devienne taxable sur un territoire même lorsqu’elle n’y est pas présente physiquement. L’objectif est aussi qu’une partie plus importante de son bénéfice mondial soit allouée au pays où se sont situés son marché et ses clients. Cela permettrait par exemple à la France de pouvoir mieux taxer les entreprises numériques étrangères.

A quoi ressemblerait un impôt minimum mondial sur les bénéfices?

L’idée, c’est de dire que si une entreprise exerce une activité à l’étranger, et que cette activité est taxée dans ce pays à un niveau inférieur à un taux minimum, l’Etat où siège cette entreprise pourrait récupérer la différence. C’est ce qu’ont fait les Etats-Unis avec leur réforme fiscale de 2017. Ce dispositif est cependant basé sur une approche moyenne mondiale, alors que nous travaillons plutôt de notre côté sur une approche pays par pays. En gros, si une entreprise française a la moitié de son bénéfice aux Etats-Unis, taxé à 25%, et l’autre moitié aux Iles Caïmans, taxé à 0%, et bien ça fait 12,5% en moyenne. Si vous fonctionnez pays par pays, vous récupérez la moitié des profits réalisés aux Caïmans.

Les Etats risquent-ils de perdre une partie de leur souveraineté fiscale?

Non! Chaque Etat resterait souverain, regarderait ce qui se passe à l’étranger pour ses entreprises et prendrait la différence. Il n’est pas question d’une organisation internationale qui viendrait se substituer aux administrations fiscales nationales. La mise en oeuvre risque de ne pas être simple. A priori, ça va nécessiter un accord multilatéral. Mais cela a déjà été fait en 2015 avec l’accord de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Et avec le soutien politique apporté lors du G7, on a de bonnes chances de faire avancer les choses.

Il y a plein de questions en suspens: à quelle hauteur taxer les entreprises, quelles activités imposer, comment répartir les montants prélevés? C’est une vraie négociation. Ce qu’on constate par ailleurs, c’est qu’au-delà du problème numérique, il reste la question de l’évasion fiscale des multinationales et de la répartition des droits d’imposer. Quand les Européens disent +on veut taxer les entreprises numériques, même si elles payent leurs impôts aux Etats-Unis+, c’est un peu ce que disent les Indiens des entreprises françaises, allemandes ou autres. A savoir: +ces entreprises sont présentes physiquement sur notre territoire, mais elles nous laissent insuffisamment de profit, donc on souhaite plus de droits d’imposer+”.

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