Les restrictions annoncées sur la version gratuite du service traduisent une offensive de l’industrie musicale pour favoriser le téléchargement à l’acte. Décryptage.
A voir les restrictions annoncées cette semaine sur le service de streaming gratuit de Spotify, on se dit que les maisons de disque veulent décidément le beurre et l’argent du beurre. Spotify a décidé de limiter à 10 heures par mois la durée d’écoute mensuelle, et à 5 le nombre d’écoute d’un même titre, par compte. Que voir dans ce changement des conditions d’utilisation à part la main invisible des majors ?
Spotify fait tout pour dédramatiser. Selon la société, seuls les gros utilisateurs du service gratuit seront touchés par ces restrictions. 10 heures d’écoute mensuelles correspondent à environ 200 morceaux ou 20 albums. Au bout d’un an, dans 7 cas sur 10, l’utilisateur moyen n’atteindrait pas, par ailleurs, la limite des 5 écoutes d’une même chanson. Le fondateur du site, Daniel Ek, explique en effet que c’est surtout la recherche de nouveautés qui tire l’usage du service. L’utilisateur moyen découvrirait ainsi un peu plus de 50 nouveaux morceaux par mois.
Favoriser le téléchargement à l’acte aux dépens du streaming gratuit
Peut-être, mais quid des titres que l’on aime et que l’on souhaite forcément réécouter sans limite ? L’offre gratuite n’a plus aucun intérêt si l’on n’est pas un forcené de la découverte musicale. Les playlists créées dans le cadre des comptes gratuits ne servent plus à rien. On ne peut plus utiliser gratuitement Spotify à la place d’acheter des CD. La solution est simple ,me direz-vous, il n’y a qu’à passer à la version payante : 4,99 euros par mois pour une écoute sans restriction et sans publicité, 9,99 euros pour un accès sur mobile et hors connexion, avec un son de meilleure qualité. Ce n’est pas si cher que ça, dans l’absolu. Sauf qu’on ne peut pas comparer l’abonnement Spotify et l’achat de CD, car tout l’argent dépensé sur le site est à fonds perdus : une fois l’abonnement suspendu, la musique ne vous appartient pas. Cela s’apparente à de la location. C’est pourquoi la version gratuite avec publicité était un bon compromis pour les utilisateurs “légers”.
Cela explique que les réactions à cette annonce sur le site de Spotify – 2400 en moins de deux jours – font remonter une meilleure compréhension de la limite mensuelle de 10 heures, que de la limite d’écoutes par titre, qui n’est pas du tout dans la logique du streaming. Les utilisateurs occasionnels ont plus intérêt à se reporter sur du téléchargement légal que sur les comptes premium, à moins bien sûr qu’ils ne préfèrent le piratage, comme beaucoup de commentaires le suggèrent.
Derrière ces changements, il y a clairement une volonté de favoriser le téléchargement à l’acte et de tuer le streaming gratuit. Le streaming financé par la publicité a toujours fait dresser les cheveux sur la tête des maisons de disque. D’ailleurs, cette limite à cinq écoutes par chanson correspond presque à celle préconisée par Pascal Nègre, le patron d’Universal, pour qui quatre écoutes auraient été l’idéal. En même temps, Spotify compte des maisons de disque à son capital, qui ont donc aussi intérêt à faire marcher le streaming payant.
Economiser sur les reversements aux ayants droit
Pourtant, Spotify continue d’affirmer que l’offre gratuite reste vitale pour le site, car elle draine les abonnements payants. Pourquoi alors rendre l’offre moins attractive, si ce n’est pour faire plaisir aux maisons de disque ? Le site essaye depuis des mois de s’implanter aux Etats-Unis mais les négociations s’éternisent. Google en sait quelque chose, lui qui ne parvient pas non plus à conclure des accords avec les majors. Spotify jure pourtant à Paidcontent que ce n’est pas ça qui a motivé sa décision. Ni une volonté d’économiser sur les les coûts de bande passante.
Quelle motivation reste-t-il ? Les royalties : chaque stream, c’est un reversement aux ayants-droit (mais pas grand-chose dans la poche des artistes: ils reçoivent en moyenne 0,001 euro par stream selon l’Adami). Il faut donc croire que les revenus publicitaires perdus dans la chute du nombre d’inscrits à l’offre gratuite – 5,7 millions d’utilisateurs actifs aujourd’hui – sera moins importante que les économies en versement de royalties. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Spotify introduit des limitations à son offre gratuite : initialement illimitée, elle s’était réduite à une durée maximum de 20 heures par mois il y a un an. Et pour cause : sur un chiffre d’affaires estimé par Analysis Mason à 59 millions d’euros en 2010, le Financial Times rapporte que Spotify a versé plus de 30 millions d’euros (estimation sur huit mois) aux ayants-droit. En 2009, le site a perdu 20 millions d’euros.
Aujourd’hui, Spotify revendique 1 million d’abonnés payant, soit 15% de ses 6,7 millions d’utilisateurs actifs, pour 10 millions d’inscrits au total. Sur la période récente, il aurait enregistré deux fois plus d’inscriptions payantes que gratuites. Et il espère que ça va continuer: en mai, il proposera une offre d’essai gratuite de 30 jours de son offre Premium. Une dernière chance d’évaluer si vraiment vous avez envie de passer au payant.
Raphaële Karayan, L’Expansion.com