Siddy Jobe (Econopolis): “Pas le choix, l’Europe doit produire ses semi-conducteurs”
L’alliance européenne des semi-conducteurs prend forme, lentement mais sûrement. Une initiative industrielle et géopolitique inévitable face à l’évolution technologique, et non moins complexe.
1. L’Europe a-t-elle trop attendu pour s’inquiéter de sa dépendance à l’Asie et aux Etats-Unis jusqu’à ce blocage de l’approvisionnement en pleine pandémie?
Ce n’est pas tant de l’ordre de l’inaction mais plutôt de l’évolution des technologies. Cette industrie est arrivée à un niveau uniquement accessible pour les géants mondiaux. Je parle des TSMC à Taïwan et Samsung en Corée, des producteurs de wafers (Sumco, ShinEtsu, GobalWafers) surtout présents au Japon ou des designers de puces (Synopys, Cadence, ARP) principalement basés aux Etats-Unis. Ces 20 dernières années, on a assisté à une consolidation du secteur. TSMC était d’abord apparu comme le petit fournisseur pour tout ce dont Intel ne voulait pas. Maintenant, le groupe est le seul, avec Samsung, à pouvoir créer des puces au niveau le plus avancé. En peu de temps, on est passé de 30 à deux acteurs industriels. Et plus la technologie évolue, plus elle demande d’investissements. Difficile de dire si l’Europe a tardé mais il est clair qu’elle est pour l’instant incapable de produire ses propres puces. Si un problème survient à l’autre bout du monde, l’Europe se retrouve directement impactée.
2. Est-ce réaliste, cette union industrielle pour la production de semi-conducteurs?
On ne peut certainement pas dire que l’Europe est absente de cette industrie. Il s’agit d’une chaîne d’approvisionnement mondiale. Pour une puce, les composants viennent des quatre coins de la planète. Il faut des matériaux et des équipements spécifiques. Or, l’un des rares leaders mondiaux de machines de photolithographie est européen, c’est le groupe néerlandais ASML. Les producteurs de solutions de calcul haute performance et de mémoire ne sont rien sans les équipements d’ASML. Il y a aussi d’énormes connaissances de très haute valeur en Europe pour les procédés de production des équipements. Ce qu’on ne trouve ni en Chine ni aux Etats- Unis. Notre souci se situe à l’échelle manufacturière. L’idée de fabriquer en Asie était un choix dicté par la réduction des coûts. Maintenant, on réalise qu’on a beau avoir toute l’intelligence du monde, il faut quand même quelqu’un pour produire les composants. Ce sera compliqué de relocaliser.
3. Les mesures géopolitiques vont être déterminantes alors?
La politique européenne entre dans le jeu en annonçant des investissements de 20 à 30 milliards d’euros pour créer notre propre chaîne de production. Mais il faudra s’appuyer sur l’expertise en la matière d’acteurs tels que TSMC. Investir dans le futur de l’Europe, ce n’est plus une question mais une obligation. Ça demandera de l’argent et du temps. En Belgique, une référence en R&D comme l’Imec a un rôle décisif à jouer. Et un producteur comme Melexis pourra en profiter et ouvrir la voie aux petites entreprises émergentes et innovantes.
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