Pourquoi les sites porno ont eu tant de mal à avoir leur nom de domaine

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L’Icann a donné son feu vert à l’enregistrement de noms de domaine classés “.xxx”, réservés à l’industrie du porno. Une extension dont presque personne ne voulait et qui cristallise les tensions entre l’Icann et les gouvernements.

Après sept ans de négociations, les sites pornographiques auront finalement droit à leur “classé X”. Vendredi 18 mars, le conseil d’administration de l’Icann, l’organisme international qui gère les noms de domaine sur Internet, a fini par valider la création de la nouvelle extension “.xxx”.

Les noms de domaine de ce que l’on appelle déjà le “quartier rouge virtuel” seront délivrés par ICM Registry, la société à l’origine du projet, sous contrat avec l’Icann. Les premiers sites en “.xxx” devraient apparaître dès cette année.

C’est l’épilogue d’un combat épique entre les partisans et les contempteurs du triple X, qui est en fait révélateur des luttes de pouvoir qui entourent la création de nouveaux suffixes Internet.

Ghettoïsation, filtrage… le porno à découvert

Les représentants des pays membres de l’Icann, réunis au sein du GAC (Government Advisory Comittee, l’instance qui les représente), auront bataillé jusqu’au bout contre le “.xxx”. Les Etats-Unis, notamment, ont fait entendre leur mécontentement. “Cette décision va à l’encontre de l’intérêt général, ouvrira la porte à plus de cybercensure de la part des gouvernements, et mettra à mal à la stabilité et la sécurité de l’Internet”, a commenté Lawrence Strickling, assistant du secrétaire d’Etat américain au Commerce.

La principale crainte affichée est en effet celle du filtrage, rendu plus facile par la “ghettoïsation” des sites X. Une crainte relayée par les éditeurs eux-mêmes, y compris en France, et légitimée par la position de pays tels que l’Arabie Saoudite, qui a clairement dit qu’il bloquera les URL en “.xxx”. De la même manière que l’opposition de la Free Speech Coalition – l’association représentant l’industrie du X aux Etats-Unis, qui a manifesté devant le lieu où se déroulait le sommet de l’Icann – pouvait surprendre, celle des associations familiales était elle aussi à contre-courant. Car les outils de contrôle parental pourront aussi bloquer plus facilement les sites en “.xxx”.

“.xxx” : une extension instrumentalisée… dont personne ne voulait

“Le cas est complètement monté en épingle par tout le monde, dénonce Mathieu Weill, directeur général de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic). Cela dépasse largement les enjeux du .xxx.”

De fait, cette extension, qui faisait partie du même “cycle” que le “.info”, passé comme une lettre à la poste, a été instrumentalisée par les gouvernements, qui en ont fait un combat d’avant-garde. Objectif : montrer les muscles pour peser de tout leur poids dans le cadre des négociations relatives au dernier round de nouvelles extensions, qui devrait ouvrir la possibilité de créer n’importe quelle extension.

“L’ambiance, ici, est clairement à un activisme renforcé des gouvernements pour être décisionnaires”, résumait la semaine dernière, en plein sommet, Stéphane Van Gelder, directeur général d’Indom (enregistrement de noms de domaine) et président de la GNSO (Generic Names Supporting Organization) à l’Icann.

Entre l’Icann et les gouvernements, c’est donc le bras de fer. “Les gouvernements veulent bien des nouvelles extensions, à condition que ce soit à leur façon, analyse Stéphane Van Gelder. Je pense que cela découle d’un malaise vis-à-vis d’un Internet dont le contrôle semble leur échapper. Cela les dérange. D’où des lois plus répressives sur les libertés personnelles, en France par exemple, des actions de censure, des tentatives des Nations unies de prendre une part plus importante dans la gouvernance de l’Internet.”

A ce petit jeu, les Etats-Unis n’y vont pas de main morte. Voici quelques années, ils avaient bloqué le “.xxx” en y mettant leur veto. La semaine dernière, le département du Commerce a vertement critiqué la transparence et l’organisation de l’Icann au quotidien, lors de la séance d’ouverture du sommet.

Bref, à part son promoteur ICM Registry, et l’Icann dont l’objectif est d’améliorer le ciblage du système de nommage (un peu perdu en route, vu que tout le monde enregistre en “.com”), personne ne voulait du “.xxx”. ICM, à l’inverse, a déjà investi une dizaine de millions de dollars dans ce projet. S’il n’a jamais abandonné, c’est qu’il est porté par un richissime investisseur britannique, Stuart Lawley, qui avait les reins assez solides pour le soutenir jusqu’au bout. A présent, il espère bien retirer les dividendes de son obstination : 200 millions de dollars par an. Au grand dam des sites porno hostiles au “.xxx”, mais qui seront obligés de payer leurs nouveaux noms de domaine, sous peine de voir leurs contenus “cybersquattés”.

Le “.xxx” n’est que la partie immergée de l’iceberg

Le “.xxx” désormais entériné, place aux négociations sur les autres extensions. Le “cycle” est lancé depuis 2007, mais elles sont toujours aussi envenimées. Au point que le GAC a chamboulé le déroulé prévu du sommet de l’Icann la semaine dernière.

Parmi les grands points de désaccord, les procédures de recours pour bloquer une extension avant qu’elle ne soit mise en oeuvre (elles sont payantes) et les extensions géographiques (noms de pays, ville, région, etc.) cristallisent les craintes des gouvernements. En France, plusieurs initiatives ont déjà démarré pour créer le “.paris”, le “.bzh” (Bretagne) et le “.bordeaux”.

Lancer ce type d’extension, qui ne sera pas ouvert aux particuliers, nécessite un budget d’environ 500.000 dollars, dont 185.000 dollars de taxes versées à l’Icann (pour son budget de fonctionnement, l’Icann étant à but non lucratif). Compte tenu des conflits d’intérêts que provoquent ces nouvelles extensions, elles ne devraient pas voir le jour avant 2012 dans le meilleur des cas.

Il existe actuellement 21 noms de domaines génériques (“.com”, “.net”, etc.) et quelque 250 extensions nationales. Sur les 200 millions de noms de domaine existants, environ la moitié sont des “.com”.

Raphaële Karayan, L’Expansion.com

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