Pourquoi il ne faut pas être déçu par l’iPad d’Apple

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La tablette présentée hier par Apple n’est pas une révolution, loin de là. Mais, succès commercial ou pas, reste la force de la marque.

Le 27 janvier de l’an 54 après Steve Jobs, le monde assistait à la naissance de la tablette Apple. Pour tout adorateur de la marque qui se respecte, les analystes high tech, les “early adopters” et les observateurs du secteur, un jour à marquer d’une pierre blanche. On allait voir ce qu’on allait voir. Un buzz certes savamment orchestré mais somme toute autoentretenu, le patron d’Apple ne s’étant jamais exprimé sur le sujet. Au lendemain de la présentation de l’iPad, que peut-on retenir ?

A la lecture des sites spécialisés, la réaction est positive mais sans plus. Un beau produit, encore une fois, bien réalisé, reprenant les atouts qui ont fait le succès de l’iPod Touch et de l’iPhone: interface intuitive, navigation fluide, vaste choix d’applications, affichage pivotant, simplicité… Mais la déception est sous-jacente. L’iPad vaut-il son prix (entre 499 et 829 dollars) ?

On attendait une rupture technologique, un “saut créatif”, une “disruption” comme disent les gens du marketing, qui redessinerait le marché, bouleverserait les usages. A l’image de ce que l’iPhone, l’iPod ou le Macintosh ont changé sur leur marché. Parce que Steve Jobs est le patron visionnaire par excellence.

L’iPad sera peut-être un succès commercial, il est trop tôt pour le dire. En se basant sur les chiffres de ventes des netbooks pour leur première année de mise sur le marché, le directeur général adjoint de Gfk France, François Klipfel, estime qu’un succès commercial reviendrait à écouler 4 millions de pièces les douze premiers mois dans le monde, entre 250.000 et 400.000 en France.

Mais ce ne sera pas une révolution, contrairement à ce que vante le communiqué de presse. Si les premières cibles du produit se posent la question du prix, c’est déjà perdu. Cela signifie que l’achat devient rationnel, alors que l’une des grandes forces d’Apple est liée à la valeur émotionnelle de ses produits. Le coeur de cible, ce sont les utilisateurs d’iPhone et d’ordinateurs Mac, amoureux de la marque et familiers de l’interface iPod Touch/iPhone. Or, ces consommateurs, qui possèdent déjà plusieurs de ces produits, se demandent aujourd’hui s’il est judicieux de s’offrir en plus cette nouvelle catégorie, à mi-chemin entre l’ordinateur portable et l’appareil portable multifonction qu’est l’iPod Touch.


Les raisons d’hésiter

Elles sont essentiellement liées à ce que le produit n’offre pas :

– pas de webcam: dommage car le produit se prêtait au vidéo chat.
– pas de prise en charge de Flash : impossible de lire les vidéos hors des applications telles que YouTube, ou d’accéder à certains contenus multimédia.
– pas d’appareil photo
– pas de multitâche : pas grave si on compare la tablette à un iPod Touch, plus embêtant si on la compare à un netbook.
– pas d’interface révolutionnaire : ni 3D, ni idée géniale pour éviter les inconvénients du clavier virtuel. En termes d’ergonomie, taper à deux mains sur le clavier virtuel de la tablette promet d’enrichir les ostéopathes.
– pas de sortie HDMI: la tablette ne peut pas se brancher à un écran HD pour servir de disque dur multimédia. On télécharge ses contenus sur iTunes, et on les lit sur la tablette.

Netbooks et e-readers dans la balance

L’iPad ne remplace pas un ordinateur. La tablette est faite pour consommer des contenus, pas pour en créer ni pour travailler (malgré la présence de la suite bureautique iWorks), comme le relèvent de nombreux sites et blogs spécialisés. Ce n’est d’ailleurs clairement pas la volonté d’Apple, sinon les caractéristiques du produit auraient été différentes. L’iPad est destinée à créer une nouvelle catégorie de produits, pas à cannibaliser les segments existants. Comparé à un netbook à 250 dollars, pour les utilisateurs qui veulent juste surfer sur Internet le produit est cher.

L’iPad ne peut pas rivaliser avec les e-readers en termes de confort de lecture (la tablette est plus lourde et l’écran plus lumineux). Il ne convaincra pas les gros lecteurs, en revanche c’est une bonne option pour les lecteurs occasionnels, qui trouveront un produit polyvalent, pour le même prix (dans les versions les moins chères de l’iPad) que les e-readers couleur les plus récents. La grande inconnue, l’étendue de l’offre disponible même si Apple a déjà signé avec 5 maisons d’édition, – dont Hachette. Cela dit, le format de la tablette se prête particulièrement à la BD.

Par rapport aux autres tablettes du marché, l’iPad est alléchant : un écran plus grand que les futurs modèles HP, Dell, Freescale ou Motorola, une ouverture indéniable au grand public par rapport aux modèles sortis jusqu’ici. Et elle devrait être commercialisée avant ses concurrents.


Les disciples au secours du prophète Bilan mitigé, donc. Cependant, les attentes étaient telles avant la présentation de l’iPad que la déception était facile. Mais pas forcément définitive… Le buzz a prouvé la force d’attraction de la marque: le produit se vendra rien que sur son nom. Cette ferveur a le pouvoir de transformer un produit suffisamment bon en carton plein: si les développeurs ne s’étaient pas emparés de l’iPhone pour créer des applications, aurait-il eu le même succès ? Il suffit que les développeurs et les fournisseurs de contenus fassent la différence pour transformer la promesse d’un “appareil révolutionnaire” en prophétie autoréalisatrice.

Raphaële Karayan, L’expansion

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