Axel Smits

Parlons-nous la langue de demain?

Axel Smits CEO de PwC Belgium

En cette Journée européenne des langues, force est de reconnaître que les avancées technologiques entraînent dans leur sillage une mutation rapide et profonde de notre langue et, par là même, de notre façon de penser.

Les mots nouveaux tels que “hashtag”, “html”, “Java”, “likes” et autres “big data” ont rapidement intégré notre vocabulaire. Nos conversations d’aujourd’hui ont peu de sens, voire aucun, pour un interlocuteur de 1992. Si les nouvelles technologies influent indubitablement sur notre langue, elles transforment aussi notre société, nos interactions et notre vision du monde. La langue du XXIe siècle ne concerne pas seulement notre vocabulaire : elle reflète également l’arsenal multifacette de compétences dont nous avons besoin pour fonctionner dans ce monde aux évolutions fulgurantes. Maîtrisons-nous tous la “langue de demain” ?

Adieu, bon vieux rétroprojecteur

Quand j’étais jeune, Internet en était encore à ses premiers balbutiements. Notre lieu de travail était également très différent il y a 30 ans. Bon nombre de personnes actuellement actives sur le marché de l’emploi ont fait leurs études entre 1970 et 2000, une époque où la technologie d’aujourd’hui n’existait tout simplement pas. La communication y était plus personnelle, mais en même temps beaucoup plus lente que maintenant. Nous donnions des présentations avec un rétroprojecteur qui diffusait des graphiques tracés à la main. Un diplôme universitaire pouvait alors suffire pour développer un plan de carrière favorable.

Ce portrait ne reflète plus la réalité. Alors que la transformation numérique de l’économie mondiale se poursuit, les compétences en matière de haute technologie deviennent progressivement un passeport pour un emploi permanent. Et cette tendance n’est pas près de s’estomper. Selon une étude réalisée par PwC, 31 % des emplois en Belgique devraient être automatisés d’ici 2030. D’après les calculs de la Commission européenne, 90 % de nos emplois exigent déjà un niveau de base en compétences numériques, que 37 % des travailleurs en Europe ne possèdent pas.

Le diplôme n’est plus la panacée

À l’avenir, pour décrocher un emploi, présenter un diplôme ne suffira plus. La maîtrise de la langue de demain, à l’instar des compétences techniques et numériques, sera déterminante. Engagées dans une guerre des talents acharnée, les entreprises ne pourront plus escompter engager de nouveaux collaborateurs sans préparer leurs équipes actuelles pour l’avenir. Trop souvent, les diplômes sont encore considérés comme un gage à vie de la qualité des compétences professionnelles. Ce n’est toutefois pas le cas. Les start-up belges l’ont déjà bien compris. D’après PwC, seule la moitié d’entre elles recherchent des candidats titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur, tandis que l’entregent, la créativité et la réflexion non conventionnelle revêtent une importance croissante pour près de 90 % des jeunes pousses belges.

Les connaissances dont vous devrez disposer demain pour exécuter votre travail deviendront particulièrement agiles et dynamiques. Nous devons nous y préparer. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut jeter nos diplômes par-dessus bord : il s’agit d’élargir nos horizons et de regarder au-delà de nos seules références académiques. L’évolution technologique implique en effet un risque d’obsolescence très rapide de nos compétences actuelles.

Un renforcement nécessaire des compétences

La tension entre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi est déjà très vive. D’après les chiffres de l’office belge de statistique Statbel, près de 147 700 emplois étaient vacants au sein des entreprises belges au premier trimestre 2019. La “guerre des talents” reste un noeud gordien que peu d’entreprises semblent pouvoir défaire. Le vivier actuel de candidats n’est tout simplement pas assez grand pour répondre à la demande croissante.

Les emplois inoccupés ne sont que la partie visible de l’iceberg. Presque toutes les entreprises comptent parmi leur personnel des gens qui ont besoin d’être requalifiés pour pouvoir continuer à exécuter leur travail demain, simplement parce que les emplois changent, deviennent plus numériques et sont progressivement automatisés. À défaut de trouver une solution, l’impact social sur l’emploi sera beaucoup plus important que par le passé. Les gouvernements, les entreprises et les associations sans but lucratif doivent par conséquent se concentrer davantage sur le renforcement des compétences.

La technologie nous oblige à nous doter d’un ensemble de compétences plus vaste. Parler la langue de demain peut se faire de différentes manières : le juriste qui apprend à coder des informations ou à maîtriser la technologie blockchain, ou un collègue ingénieux qui devient expert en “optimisation pour les moteurs de recherche” en vue d’atteindre les objectifs commerciaux. Fort heureusement, quelques entreprises déploient déjà des efforts en ce sens. Toutefois, le renforcement des compétences doit devenir un réflexe naturel collectif au sein des organisations. Après tout, les entreprises et les organisations ne sont-elles pas les moteurs de l’innovation technologique ? Ne serait-il donc pas logique que nous endossions ce rôle afin de contribuer à la réduction de la fracture numérique sur le marché de l’emploi ?

La nouvelle électricité

Nous assistons aux premières loges à la quatrième révolution industrielle. D’aucuns qualifient l’intelligence artificielle de nouvelle électricité. Dans un sens, c’est en effet le cas. Nous devons simplement veiller à ce que les emplois de la prochaine génération soient, à tous les égards, de “bons” emplois qui apporteront satisfaction aux travailleurs concernés. Au lieu de considérer notre formation comme une destination ultime, il nous faut envisager l’apprentissage comme une constante dans la vie, en proposant des cours et des programmes de base flexibles accessibles à tout un chacun.

Parler la langue de demain semble exceptionnellement complexe, car l’enjeu met en exergue une problématique exceptionnellement complexe. S’il est un enseignement à tirer de cette dernière décennie, c’est que la technologie évolue désormais à un rythme à ce point rapide que personne ne peut se permettre de se reposer sur ses lauriers. L’impact sur notre prospérité économique rend cette problématique encore plus pressante. Lorsque nous aurons pris conscience de cet enjeu et réagi aux innovations technologiques, notamment par le biais du renforcement des compétences, nous pourrons, ensemble, créer un modèle de bien-être qui restera d’actualité pour le reste du XXIe siècle.

Axel Smits, CEO PwC Belgium.

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