On a testé deux voitures électriques: sont-elles réellement adaptées aux longues distances?
Nous avons effectué un essai sur 1.109 kilomètres, visité une quinzaine de sites de recharge en Belgique, en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas. Malgré quelques défauts, c’est plutôt facile avec une Tesla. Avec une autre marque, c’est faisable mais plus compliqué.
Lire à ce sujet notre dossier complet sur les voitures électriques:
Rouler loin en voiture électrique? C’est théoriquement possible avec des modèles qui affichent aujourd’hui des autonomies de 400 km et plus. Pourtant, au moment de choisir une nouvelle voiture, beaucoup de particuliers hésitent encore. Recharger à domicile et au bureau pour les déplacements quotidiens, cela semble simple. Mais voler de borne en borne pour de longs déplacements professionnels ou un séjour de ski, cela paraît déjà plus aventureux. Pourtant, ce sera bientôt la règle pour certains.
A partir de 2026, les avantages fiscaux des voitures de société seront réservés aux modèles zéro CO2, ce qui fera rapidement basculer l’immense parc des “voitures salaire” vers l’électrique. Le processus de remplacement concernera même l’ensemble des véhicules européens dès 2035, selon la proposition de la Commission européenne. Ces échéances n’ont pas toujours été bien reçues. L’équipement de recharge sur les routes est jugé encore insuffisant, notamment par les importateurs automobiles.
Les voitures: une Tesla et une VW
A la rédaction de Trends-Tendances, nous avons voulu vérifier si les trajets longs étaient déjà possibles, et nous frotter aux bornes rapides à courant continu (DC). Sur trois jours cet été, nous avons parcouru 1.109 kilomètres, soit la distance de Bruxelles à Paris puis direction Luxembourg, Maastricht et Eindhoven, avant d’entamer notre retour sur Bruxelles.
Sur la ligne de départ, deux modèles typiques des flottes d’entreprises: une Tesla Model 3 (prix de base: 49.990 euros, autonomie théorique de 448 km norme WLTP) et une Volkswagen ID.3 Pro S (42.640 euros, 550 km d’autonomie). La Tesla profitera du réseau de superchargeurs maison et l’ID.3 se chargera sur les multiples autres réseaux de bornes rapides.
Le parcours en trois jours
Jour 1
- Bruxelles-Marne-la-Vallée, mardi 27 juillet, 328 km.
- Objectif: l’hôtel Novotel de Marne-la-Vallée, à Collégien, qui dispose de bornes Tesla et de bornes universelles.
Avec la Tesla Model 3, l’expérience de Gilles : Le top départ est donné depuis le parking de la rédaction de Trends-Tendances à Bruxelles. Celui-ci a récemment été équipé de bornes électriques universelles, ce qui me permet de mettre la batterie de la Tesla à 100% de sa capacité. L’autonomie (théorique) affichée par l’écran du véhicule est de 425 kilomètres. Pas mal, même si certaines versions de la Model 3 promettent une plus grande distance. Comptez quand même 7.000 euros de plus (56.990 euros) pour une batterie de “grande autonomie”, soit 614 km.
Première étape: Bruxelles-Paris. Vous l’aurez compris, l’idée n’est pas de courser la VW ID.3 ni de faire un remake de la Gumball Race. Je respecterai scrupuleusement les limitations de vitesse. Et surtout, je suivrai religieusement les indications du logiciel maison. La navigation intégrée m’oriente automatiquement vers les points de recharge indispensables pour arriver à bon port sans tomber en rade. La distance vers ma destination du jour, Marne-La-Vallée, est de 328 kilomètres. Ça paraît jouable d’une traite. Pourtant, la navigation me propose un arrêt à Valenciennes. Excès de prudence? Sans doute. Le logiciel ne me conseillera jamais d’arriver à destination avec une batterie totalement vide. Une marge de sécurité est prévue. Par ailleurs, il faut savoir que la conduite sur autoroute consomme proportionnellement plus de kwh qu’en ville. C’est une différence notable avec les voitures thermiques, qui consomment moins sur autoroute. Les 425 kilomètres d’autonomie ne sont donc qu’indicatifs. Ils fondent bien plus vite que prévu.
Arrivé au Novotel de Marne-la-Vallée, je branche mon véhicule à une des 12 bornes alignées dans le parking. J’ai déjà pu le constater à Valenciennes: le processus est extrêmement simple. Il suffit d’ouvrir le clapet de la voiture via le système central, de brancher le câble puis de suivre la recharge via l’appli mobile dédiée. L’expérience utilisateur et le souci du détail, c’est le point fort de la marque américaine.
Sur le parking, je ne suis pas tout seul. Ici, les conducteurs de Tesla défilent. La station de recharge est idéalement placée à l’est de Paris, sur un axe autoroutier très fréquenté. “Certains sont des habitués, ils viennent plusieurs fois par semaine, tout le personnel les connaît”, nous explique Frédéric Théot, le directeur de l’hôtel. Le patron est un précurseur: son hôtel est l’un des premiers à avoir accueilli une station de recharge Tesla, en 2015. A l’époque, l’entreprise créée par Elon Musk commençait à peine le déploiement de son réseau de superchargeurs en Europe. Tesla était à la recherche d’emplacements stratégiques et est venue frapper à la porte des hôteliers les mieux placés et les plus accueillants. L’entreprise, qui était en phase de déploiement, installait alors son infrastructure gratuitement! Frédéric Théot a donc eu du flair. Aujourd’hui, les commerçants (hôtels, restaurants, centres commerciaux, etc.) payent une partie de l’installation Tesla. En échange, ils bénéficient d’une clientèle de passage qui peut consommer un café, un repas ou une nuitée.
Le groupe Accor, qui opère notamment la marque Novotel, a fortement poussé cette stratégie de partenariat avec Tesla. Aujourd’hui, une cinquantaine de superchargeurs français sont situés sur le parking d’un hôtel Accor, ce qui représente 40% de l’infrastructure de Tesla en France. Pas étonnant que la plupart de mes arrêts se soient déroulés à côté d’un établissement du groupe.
Avec la VW. ID.3 Pro S, l’expérience de Robert : Démarrage vers 14 h de la rédaction, avec une batterie chargée à 100%. Je prévois une petite recharge sur l’aire de Resson- Ouest (TotalEnergies) après 247 km. La borne (unique) est perdue dans un coin du parking. Je branche son câble de 50 kW (DC) pendant 20 minutes sur mon véhicule, sous la bruine. De quoi arriver au Novotel de Marne-la-Vallée avec un peu de marge, après 17 h. Cet établissement a des bornes gratuites pour ses clients. Surprise: elles sont hors service, des travaux y sont prévus le lendemain. Les bornes publiques près de l’hôtel s’avèrent soit défectueuses, soit ne répondent pas à mes cartes de recharge. Leçon de l’aventure: contacter l’hôtel la veille pour s’assurer que les bornes fonctionnent effectivement! Je me dis que la nuit portera conseil. Et puis, j’ai encore un peu de marge: une centaine de kilomètres…
Jour 2
- Marne-la Vallée-Luxembourg- Maastricht, mercredi 28 juillet, 553 km.
- L’étape suivante nous mène à Luxembourg, où nous rechargeons sur une borne publique Superchargy. Pour terminer la journée à Maastricht et y loger. C’est le plus long trajet.
Avec la Tesla Model 3, l’expérience de Gilles : Le premier tronçon me mène de Paris à Luxembourg, soit 355 kilomètres à boucler. Comme la veille, je m’arrête pour ce que je pensais être ma seule escale de la matinée, en Champagne. Je m’apprête à faire une pause recharge/café sur une aire d’autoroute du côté de Reims. Distrait, je loupe le bon embranchement et suis forcé de poursuivre ma route. La navigation recalcule mon itinéraire et m’envoie faire un crochet de quelques kilomètres supplémentaires du côté du petit village de Matougues. Le patron de l’Auberge des Moissons a eu la judicieuse idée en 2015, comme Frédéric Théot à Marne-la- Vallée, d’y placer l’une des premières stations de superchargeurs de la région champenoise. Les premières années, c’était un défilé continu de Tesla sur le parking de cet hôtel un peu perdu. Depuis que les aires d’autoroute accueillent des superchargeurs, le flux s’est un peu tari, explique la réceptionniste.
Mon espresso avalé, je reprends la route. En quittant Matougues, je me bats avec Spotify qui ne prétend pas lancer ses playlists. La connexion internet est capricieuse, je tente de la réinitialiser et m’engage sur l’autoroute. Il me faut un peu de temps pour me rendre compte que je suis parti dans la mauvaise direction. Cette deuxième boulette de la journée me coûte un détour de 40 kilomètres et, surtout, me forcera à effectuer un arrêt/recharge supplémentaire du côté de Metz.
Ce deuxième pit stop non prévu est aussi dû à une autre erreur stratégique. Pressé de repartir, je n’ai pas attendu que ma batterie atteigne les 100% lors de mon stop à l’Auberge des Moissons… A ma décharge, le processus de recharge des véhicules électriques est un peu particulier. Il progresse à son maximum au début, mais est de plus en plus lent à mesure qu’il approche de la charge complète. Pour les 20 derniers pour cent, il me fallait encore patienter 20minutes supplémentaires…
La route vers Luxembourg est une simple formalité. Pour le dernier tronçon vers Maastricht, je prends un peu d’assurance et parcourt le trajet d’une traite (230 km).
Avec la VW. ID.3 Pro S, l’expérience de Robert : Le matin, après avoir été dans l’impossibilité de recharger mon véhicule le soir précédent, je finis par faire fonctionner une borne Izivia (EDF) qui calait la veille, sur le parking d’un Intermarché près de l’hôtel, à Croissy. Démarrage vers 9 h.
La station multiborne Ionity sur l’aire de Vrigny près de Reims, 108 km plus loin, fonctionnera, elle, parfaitement. Elle charge près de 50 kWh en une demi-heure, le temps d’un café et de deux croissants.
Arrivée à 13h30, à la première station Superchargy du Grand- Duché, sur le Kirchberg, devant l’université. Le pays s’est doté de bornes de recharge publiques à vitesse moyenne (22 kW) dans chaque localité. Maintenant, il déploie des bornes ultra-rapides à 160 kW. Ses autoroutes seront équipées fin 2021/début 2022.
Je charge à 100%, ce qui prend du temps (1 h, de 28% à 100%). “Au-delà de 80%, la recharge ralentit”, explique Pitt Martens, expert technicien de Creos, qui a installé la borne et nous attendait sur le site. Il nous montre des graphiques avec des courbes de charge. La VW ID.3 Pro S accepte jusqu’à 125 kW de vitesse de charge (DC) mais après 30% de batterie, la vitesse décroît. Le tarif est celui des bornes à 22 kW, soit 26 centimes par kWh, mais il devrait doubler. Départ pour Maastricht.
Jour 3
- Maastricht-Eindhoven-Bruxelles, jeudi 29 juillet, 228 km
Avec la Tesla Model 3, l’expérience de Gilles : Fort de l’expérience de la veille, le dernier tronçon se déroule sans encombre. C’est l’heure du bilan. Au total, j’aurai effectué sept recharges pour un trajet total de 1.109 kilomètres. Même si j’adore le café, ça fait quand même beaucoup d’arrêts. Pour éviter les pauses inutiles, j’aurais certainement dû suivre moins docilement les conseils de la navigation embarquée. J’ai aussi commis quelques erreurs évitables. Mais je ne me suis jamais retrouvé à court de solutions de recharge. Avec un peu de pratique ainsi qu’une meilleure connaissance de l’autonomie de la voiture et du réseau de bornes, il y a certainement moyen de passer moins de temps accoudé au bar d’un hôtel à regarder votre appli et attendre que votre véhicule soit prêt à reprendre la route.
Avec la VW. ID.3 Pro S, l’expérience de Robert: Il ne reste qu’une demi-journée pour boucler notre périple. Dernière charge du parcours peu après le départ, dans une station Fastned sur l’A2, une station multibornes, avec un toit et huit prises CCS Combo. La batterie est encore à 56% (256 km d’autonomie), ce qui est quasi suffisant pour rentrer. Je charge 18 kWh. Le trajet de retour se fera sous le soleil, sur des autoroutes dégagées, aux Pays-Bas comme en Belgique. Je suis finalement satisfait du périple, bien qu’il soit plus compliqué qu’avec un véhicule à carburant. Avec un peu d’expérience, je devrais pouvoir optimiser et réduire le nombre de recharges.
Les six conclusions de notre périple
- L’avance de Tesla : La société américaine a commencé le déploiement de son réseau européen en 2015 et bénéficie d’une longueur d’avance. Pour la boucle que nous avons effectuée, le maillage est intéressant. Ce qui fait surtout la différence, c’est la facilité d’utilisation. Le logiciel de navigation est très lisible et envoie automatiquement vers la borne adéquate. Même si elles ne sont pas toujours bien indiquées, ces bornes de recharge sont accessibles, bien entretenues et simples à manipuler. Cela tranche avec le réseau “classique”: géré par une constellation de sociétés et de pouvoirs publics, il se caractérise par des installations aux performances très disparates et qui ne sont pas toujours très fonctionnelles.
- L’autonomie? : Guère plus de 300 km. Il faut viser des étapes plus courtes que ce que promet l’autonomie officielle. Avec une VW ID.3 Pro S, dont la grande batterie promet 550 km, il vaut mieux ne pas dépasser les 330 km sur autoroute. Quant à la Tesla, avec sa batterie de 50 kWh, son autonomie théorique de 400 km se révèle insuffisante pour de longs trajets. Parcourir plus de 250 km sur autoroute d’une traite paraît illusoire.
- Des bornes disponibles mais peu visibles : Elle sont plus nombreuses qu’on ne le pense mais mal signalées. Entre Bruxelles et Paris, il existe au moins 60 points de charge rapide (prises) sur ou près des autoroutes. La majorité est destinée aux seules Tesla (39). Aux Pays-Bas, les sites de charge sont plus nombreux et plus visibles. Les stations à une seule borne posent problème. Quand celle-ci est occupée, il faut attendre. Et quand elle est en panne (cela arrive), il faut aller voir ailleurs. Les multibornes devraient donc se multiplier.
- La durée de la charge: acceptable : Elle est de l’ordre de la demi-heure. Le temps de souffler et de boire un café pendant que la voiture fait le plein d’électrons. En réalité, la prudence pousse actuellement à passer plus de temps pour approcher les 100% ou à charger plus souvent, pour garder une marge confortable.
- La solution de la charge à l’hôtel: Une formule rassurante, si l’on fait étape dans un hôtel ou qu’on y loge en arrivant à destination, est de choisir un établissement doté de bornes. Même si elles ne sont pas ultra- rapides, elles suffisent à charger le véhicule durant la soirée ou la nuit.
- Les tarifs: chers, sauf pour Tesla: La référence à avoir en tête est de 50 centimes par kWh: c’est le niveau qui correspond à ce que coûterait la consommation de la voiture si elle fonctionnait avec du carburant. Tesla facture un tarif avantageux de 31 centimes par kWh (en moyenne). Les autres bornes rapides sont plus chères: 79 centimes le kWh pour Ionity (sauf tarif plus intéressant via le constructeur), 69 centimes pour Total EV, 59 centimes pour Fastned. Pour simplifier les choses, les tarifs français sont souvent calculés à la minute. Et si les réseaux publics sont souvent moins chers, il s’avèrent absents des autoroutes (sauf bientôt Superchargy au Luxembourg). Bref, le calcul est compliqué. Dans notre cas, en intégrant la charge opérée au bureau à bon compte, l’addition sera compétitive: 76,75 euros pour la VW ID.3 et 55,67 euros pour la Tesla, contre environ 80 euros pour une voiture diesel.
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