Vers la “fortnitisation” des événements ?
Menacé d’annulation pour cause de coronavirus, Tomorrowland s’est décliné cette année en virtuel. Ce tour de force technologique made in Belgium s’apparente davantage à l’expérience d’un jeu vidéo qu’à une simple retransmission de festival. Un concept qui semble inspirer le secteur événementiel dans son ensemble.
Une île paradisiaque à la silhouette de papillon rappelant l’emblème du célèbre festival électro… C’est le lieu de pèlerinage virtuel vers lequel ont convergé plus d’un million de “People of Tomorrowland“, venus des quatre coins de la planète, ces 25 et 26 juillet derniers. Pied de nez numérique à la pandémie de Covid-19, cette réinvention inopinée a fait la part belle aux plus récentes technologies en matière de design tridimensionnel, d’incrustation vidéo sur fond vert mais aussi de gaming.
Ici, la particularité était d’offrir une expérience assez riche pour que les participants paient. C’était bien plus que du streaming. – Henry Daubry, CEO de Dogstudio
“Ce qui a été réalisé en un temps record est vraiment impressionnant. Combiner les performances live des artistes dans de magnifiques mondes virtuels en haute résolution est un exploit logistique et technologique”, se félicite Ben Lumsden, business development manager chez Epic Games, le studio créateur du jeu en ligne à succès Fortnite et propriétaire du tout aussi populaire moteur graphique Unreal Engine. Il faut dire que le vaste environnement numérique en 3D de l’édition digitale de Tomorrowland, Around the World, compte 10 fois plus de polygones et d’effets de lumière qu’un jeu vidéo moderne moyen !
Chacune des huit scènes s’y étendait sur une superficie légèrement inférieure à une ville comme Waterloo avec des paysages conçus sur mesure, tantôt au creux d’un amphithéâtre naturel, tantôt sous le feuillage d’une épaisse forêt. Des centaines de milliers de personnages réalistes créés pour l’occasion y ont vécu le set des DJ en dansant, criant, brandissant des drapeaux ou des smartphones, afin de recréer l’ambiance typique du festival et de sa foule bigarrée.
” Notre moteur de jeu s’est rapidement imposé pour la création de décors virtuels dans la production cinématographique et télévisuelle et est maintenant davantage utilisé dans les émissions en direct, explique Ben Lumsden. Tomorrowland combine habilement les techniques traditionnelles telles que le découpage en direct à la caméra avec notre nouvelle intégration de contrôle d’éclairage DMX ( digital multiplexing), le tout dans l’immersion de l’Unreal Engine “. Et depuis, des dizaines de render farms, des grappes de serveurs dont l’objectif est de calculer le rendu des images de synthèse, tournent 24 heures sur 24 et sept jours sur sept pour traiter toutes les données.
Un projet qui a du chien… namurois
Mais cette toute nouvelle expérience de Tomorrowland n’aurait pas été pareille sans une pépite de Namur : l’agence de création numérique Dogstudio, dont la participation au projet a servi de démonstration publique et devrait déboucher logiquement sur de prochaines collaborations d’envergure. Dans le studio wallon, on reste toutefois mesuré “On espère que cela fera avancer la réflexion sur l’emploi des technologies disponibles, avance Henry Daubry, CEO de Dogstudio. Mais on est très loin d’être arrivé à des solutions vraiment satisfaisantes. Il s’agit plus ici d’une proof of concept, puisque cette première édition a aussi été un test sur pas mal de niveaux. On essaie d’extraire l’essence de ce qui caractérise une expérience musicale en particulier et de divertissement en général. Mais ce genre de projet ne remplacera pas les événements physiques, entre amis.”
Et le contact physique dans tout ça ?
On le sait, le digital gomme en effet de facto les aspects de contact, de proximité physique et il est encore difficile de pallier ce manque. D’autant que les solutions de réalité virtuelle doivent encore se démocratiser : posséder son propre kit de VR comme on dispose d’un smartphone n’est pas pour tout de suite. Dans ce genre d’événement, les interactions sociales se résument donc toujours aujourd’hui au bon vieux chat. Or, avec la masse critique de festivaliers qu’a attirés Tomorrowland, le service externe de messagerie ne s’est pas révélé totalement à la hauteur.
Reste qu’outre de splendides décors virtuels, Dogstudio a voulu soigner cette dimension sociale au travers de différentes techniques d’interaction et de feedback. “Des emojis personnalisables pouvaient, par exemple, être partagés en live afin que les festivaliers expriment leurs réactions, détaille Henry Daubry. Et dans le mode “nuit” de l’expérience, nous avions constellé le ciel autour des scènes de points lumineux qui représentaient l’affluence des participants. Enfin, les artistes étaient shootés sur fond vert puis réintégrés dans les scènes 3D avec des modèles de rendu de jeu vidéo très poussés.”
A l’instar de la plateforme de jeu Fortnite, rassemblant quotidiennement des millions d’internautes, l’expérience massive d’immersion et d’interaction en ligne de Tomorrowland pourrait donc bien devenir un standard pour l’industrie du divertissement. “Amener une dimension d’interactivité avec des codes connus du public qu’on vise reste en tout cas valorisable, souligne le CEO de Dogstudio. Ici, la particularité était d’offrir une expérience assez riche pour que les participants paient. Cet aspect gaming, que nous avons souhaité le plus simple et le plus stable possible, offre une valeur perçue qui justifie le fait d’acheter un ticket. C’était bien plus que du streaming”.
Deuxième édition en discussion
L’accueil du public a d’ailleurs été largement positif et même gratifiant pour les équipes impliquées. Des personnes à mobilité réduite ou souffrant de déficience visuelle ont salué sur les réseaux sociaux le fait d’avoir enfin accès à une expérience Tomorrowland, événement qui reste exclusif depuis des années, ne serait-ce que par le prix d’entrée ou la rapidité avec laquelle les guichets affichent sold out. En tout cas, une deuxième édition digitale du festival anversois se discute déjà.
En chiffres
- 4 studios installés aux quatre coins du monde afin de capter les performances live des DJ.
- 300 térabits d’images vidéo brutes.
- 8 scènes virtuelles de 16 km2.
- 280.000 festivaliers virtuels par scène, chacun dotés de leurs propres attributs.
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