“Une start-up n’a pas moins de chances de réussir en démarrant à Bruxelles”
Levées de fonds records, hyper-croissance et international n’effraient pas Adrien Roose. Le CEO de la start-up Cowboy a vécu ces expériences entrepreneuriales au travers de la firme Take Eat Easy qu’il avait cofondée. Moins d’un an après son démarrage commercial, Cowboy prend déjà le chemin de l’international, forte d’une récente levée de fonds à 10 millions d’euros.
A deux pas du Palais de Justice de Bruxelles, les locaux de Cowboy ne cessent de grandir. Après avoir logé au premier étage du bâtiment qu’elle occupe rue de la Régence, la start-up qui commercialise un vélo électrique intelligent vient d’aménager un deuxième étage, où elle a installé une cafétéria et un mini auditorium.
C’est que la société fondée en janvier 2017 compte déjà 35 personnes et s’apprête à attaquer l’international. Elle a d’ailleurs annoncé, en fin d’année 2018, avoir levé 10 millions d’euros auprès d’investisseurs internationaux, dont le fonds américain Tiger Global, ou encore Kima Ventures, Index Ventures et le Hardware Club. Une levée importante pour une si jeune entreprise qui, au passage, la classe parmi les jeunes pousses francophones les plus en vue de l’écosystème. Il faut dire que son vélo électrique et connecté veut révolutionner les codes du marché.
Le Cowboy se propose comme une alternative hyper qualitative à prix moins élevé que la concurrence (à produit comparable). Pour cela, la start-up montée par trois anciens de Take Eat Easy s’est affranchie de certains sous-traitants – notamment en développant son propre moteur – et d’intermédiaires commerciaux en privilégiant la vente directe sur le Net. Une recette qui, jusqu’ici, a plutôt séduit. En quatre mois, la start-up avait vendu pour 1 million d’euros, soit quelque 550 vélos. Depuis, Cowboy communique avoir dépassé les 1.000 exemplaires vendus, sans donner plus de précisions, ce qui porterait, en toute logique, le chiffre d’affaires de la start-up à pas loin des 2 millions d’euros en moins d’un an. Pour Adrien Roose, le CEO de Cowboy, ce n’est qu’un début : la société ambitionne de devenir, dans les années à venir, un acteur global du vélo électrique et de largement dépasser les frontières belges, voire européennes.
TRENDS-TENDANCES. Cowboy a levé 10 millions d’euros fin 2018, notamment pour se lancer à l’international. Où en êtes-vous dans votre stratégie à l’étranger ?
ADRIEN ROOSE. Après avoir validé différentes hypothèses sur le marché belge par rapport à notre vélo et à notre modèle de distribution, nous avons estimé que nous avions trouvé le product market fit, c’est-à-dire notre marché. La demande a été très forte et, en quelques semaines seulement, nous avons vendu pour 1 million d’euros de vélos Cowboy. La suite logique était donc de grandir, tant dans les pays aux alentours qu’en Belgique. Car même si nous sommes très satisfaits du démarrage chez nous, nous restons très réalistes : nous n’avons même pas 1% du marché du vélo électrique en Belgique. Cela signifie que notre potentiel de croissance est énorme…
Cette levée de fonds assez importante a été réalisée majoritairement hors de Belgique. N’est-il pas possible de trouver, dans notre pays, du financement pour ce type de projet ?
Très honnêtement, je ne peux pas le dire. Dès que nous avons lancé Cowboy, nous avons cherché nos premiers fonds autour de nous, dans notre réseau qui était assez international. Par la suite, nous avons réalisé deux levées de fonds avec l’idée qu’il fallait qu’elles soient le plus smart possible. C’est-à-dire que nous voulions faire appel à des investisseurs qui apportent bien plus que de l’argent. On a commencé par parler à des entrepreneurs à succès. Puis, on a trouvé, en France, le Hardware Club qui soutient des projets de développement de produits et offre une forte expertise pour ce que nous faisons. Pour notre deuxième tour, nous sommes allés voir des fonds professionnels, nous avons voulu les meilleurs au niveau européen. Nous nous sommes dès lors orientés vers des investisseurs londoniens. Enfin, pour cette levée à 10 millions, nous avons trouvé Tiger Global. Ce fonds américain aime les nouvelles marques qui veulent réinventer une industrie, un produit ou une chaîne de valeur. Et c’est ce que l’on veut faire. Par ailleurs, chez Tiger, le partner qui a dirigé cette levée de fonds connaît très bien le business model du D to C ( direct to consumer, Ndlr), dans lequel on se développe.
Justement, en Belgique, vous avez choisi la vente directe par Internet. Quelle est votre stratégie de lancement et de distribution à l’étranger ?
Dans l’immédiat, nous voulons nous lancer à l’assaut de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas. Cela se fera non pas par la création d’équipes et de bureaux locaux, mais bien par le renforcement des équipes existantes en Belgique et par l’ouverture de magasins dans les grandes villes comme Berlin, Amsterdam et Paris.
Est-ce que cela signifie que le Web, comme seul canal de vente, n’est pas suffisant ?
Si, le Web suffit. Et nous effectuons toujours l’essentiel de nos ventes via ce canal. Les boutiques ne sont pas une nécessité pour la vente du Cowboy. Mais en réalisant des opérations marketing de pop-up stores en Belgique, on s’est rendu compte que les boutiques sont intéressantes. Et pour plusieurs raisons. D’abord elles sont rentables très rapidement. Ensuite, elles offrent un double avantage : elles créent une visibilité supplémentaire pour notre produit et elles rassurent les consommateurs.
L’un des gros enjeux quand on développe un produit hardware, c’est la phase de production. On voit qu’une marque comme Tesla peine pour tenir la cadence de production de ses nouveaux modèles. Cowboy est-il prêt pour une grosse croissance à l’international ?
D’abord, nous ne sommes pas Tesla. Nous ne construisons pas nos propres usines mais travaillons avec une série de fournisseurs. Dans notre mode de fonctionnement, on serait plus proche d’Apple que de Tesla puisqu’on conçoit une série de pièces, que l’on fait ensuite produire en Asie avant d’assembler le tout en Europe. Mais c’est vrai que le challenge de la chaîne d’approvisionnement est important. Notre défi, c’est d’augmenter les volumes de production tout en continuant à augmenter la qualité du produit, que l’on ne cesse d’affiner. On en a toujours eu conscience de cela. C’est notamment pour ça qu’une de nos premières personnes engagées a été quelqu’un venant de chez Toyota, où elle effectuait de la gestion de projets. On tient aujourd’hui la cadence, et on pense qu’on la tiendra encore à l’avenir.
Le marché du vélo électrique est en plein boum et l’on voit ici et là fleurir la concurrence. Comment comptez-vous y faire face ?
A ce stade, il n’existe pas tellement de vélos à assistance électrique connectés comme le nôtre. Sur ce créneau, il y a peu de concurrence. Cowboy a beaucoup investi en matière de design, de software et de distribution. Rien que pour le design du vélo, nous avons créé en interne un certain nombre de composants, comme le cadre, le moteur ou des éléments d’électromécanique. Cela en fait un élément différenciateur fort, tout en nous permettant de mettre sur le marché un produit plus qualitatif à un prix inférieur, parce que, en plus, on se passe des intermédiaires. Ce que nous faisons est à la croisée des chemins de différents métiers. Maîtriser l’ensemble de ces métiers crée, de facto, une barrière à l’entrée. Notre modèle n’est donc pas si imitable que cela et si nous parvenons, comme on le pense, à faire face à tous les challenges, nous sommes convaincus de pouvoir créer un énorme business.
Enorme comment ? Quelle est votre vision de Cowboy dans les années à venir ?
La vision de Cowboy est d’avoir le plus d’impact possible en matière de mobilité. L’objectif, c’est dans un premier temps de devenir un leader européen sur le marché du vélo, puis un leader global. Ce qui est assez spécifique, sur le marché du vélo électrique, c’est qu’étonnament, le marché américain est plus petit que le marché belge. Mais cela devrait évoluer. Dans un futur proche, avec l’explosion des solutions de micro-mobilité et de mobilité partagée, j’ai l’espoir que les centres-villes adoptent le vélo comme moyen de transport et que ce marché explose.
Les solutions de mobilité partagée (bicyclettes, trottinettes, etc.) ne sont-elles pas plutôt une concurrence à vos vélos ? Ou bien y voyez-vous un axe de développement possible ?
Toutes ces solutions sont partiellement concurrentes mais on n’y voit pas de concurrence frontale. Ces plateformes sont géniales mais elles ne remplacent pas la possession d’un vélo. Elles ne sont utilisées que de manière occasionnelle. Quant à savoir si on compte ” plateformiser ” nos vélos, ce n’est vraiment pas notre objectif à l’heure actuelle. Notre mission, pour l’instant, est de commercialiser le meilleur vélo électrique et de le vendre. Notre business model est basé uniquement sur la vente. Est-ce qu’on proposera d’autres services à l’avenir ? Je ne peux pas vous le dire aujourd’hui.
Votre précédente start-up, Take Eat Easy, spécialisée dans la livraison de repas à vélo, s’est soldée par un échec dans les circonstances qu’on connaît. Quel apprentissage avez-vous tiré de cette expérience ?
Comme tout le monde le sait, Take Eat Easy a connu une chute brutale et cela a marqué les esprits. Forcément, nous n’avons pas eu que des amis, certains estimant qu’on était une bande d’arrivistes qui se moquaient de tout. La réalité, c’est que pour ceux qui l’ont vécu, cela a été une expérience hors norme et un apprentissage important. On apprenait au fur et à mesure que nous développions l’entreprise. Et heureusement, pas mal de gens ont vu le parcours d’une jeune équipe qui est allée loin avec les moyens qu’elle avait. Et malgré sa chute, Take Eat Easy a été inspirante pour une série de nouveaux entrepreneurs.
Un parallèle peut-il être dressé entre la croissance de Take Eat Easy à l’international et la croissance internationale que vous cherchez pour Cowboy ? Les mécanismes sont-ils les mêmes ?
Take Eat Easy était un business d’intermédiation avec un effet de réseau. Cela signifie que, dans un premier temps, plus on grandit et plus on perd de l’argent. Donc, le modèle était de lever des fonds pour faire face à un secteur hyper concurrentiel. Il fallait viser la croissance à tout prix, au détriment des marges, jusqu’à atteindre une position de monopole pour espérer gagner beaucoup. Ici, dans le cadre de Cowboy, le business est totalement différent. Nous vendons un produit qui offre des marges saines, ce qui fait qu’au contraire, plus on grandit, plus on est rentable.
Etes-vous encore impacté par le processus de faillite ?
Les faillites sont toujours en cours dans les cinq pays où Take Eat Easy était présente. Mais cela risque de mettre encore du temps parce que l’économie des plateformes est un sujet à la fois économique, social et politique. Et cela me concerne encore puisque je collabore avec les liquidateurs.
Avec Cowboy, malgré une vision internationale très affichée, vous vous êtes lancés depuis la Belgique. Notre marché reste-t-il un point de départ intéressant pour lancer une start-up, selon vous ?
La Belgique, comme point de départ, n’est absolument pas un problème. Je pense qu’on n’a pas moins de chances de réussir en démarrant ici qu’ailleurs. Il faut connaître les avantages et les inconvénients de notre marché. Bruxelles offre l’avantage de loyers pas chers et d’une concurrence moins importante sur les talents. Par contre, il ne faut pas se voiler la face : les meilleurs talents en digital se trouvent plutôt à Paris ou Amsterdam. De plus, notre pays est l’un des pires d’Europe en matière de stock options. C’est aberrant : le système des stock options en Belgique est d’une complexité incroyable, alors que l’intéressement au bénéfice constitue l’une des bases pour le lancement d’une start-up.
Vous faites référence à la difficulté de trouver des talents en Belgique. Comment l’expliquez-vous ?
Pour une start-up comme Cowboy, on ne cherche pas des ” bons talents “, on cherche véritablement les meilleurs. Ceux qui ont à la fois les compétences et le bon état d’esprit pour une entreprise, et une vision comme la nôtre. Il n’y a pas, en Belgique, de véritable environnement de scale-up, c’est-à-dire des entreprises qui connaissent ou ont connu une hyper-croissance. On en compte assez peu. Cela signifie qu’il n’y a pas eu beaucoup d’opportunités pour les talents belges de vivre cette expérience d’hyper-croissance assez globale. Du coup, trouver les bonnes personnes en Belgique avec cet état d’esprit n’est pas simple. Or, nous avons vécu, dans nos précédents projets, cette expérience de très forte croissance. C’est cette ambition que l’on nourrit avec Cowboy également.
13,1 Millions d’euros
ont été levés par Cowboy en plusieurs fois. D’abord, 700.000 euros auprès du réseau proche des fondateurs, puis successivement 2,4 et 10 millions auprès de grands noms internationaux de l’investissement.
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