Quelles sont les véritables ambitions du start-up studio eFounders ?

Quentin Nickmans et Thibaud Elzière, cofondateurs d'eFounders © CHRISTOPHE KETELS

Depuis le début de l’année, le start-up studio eFounders fait parler de lui grâce au lancement de nouvelles entreprises ou de nouvelles levées de fonds, faisant considérablement grandir son écosystème. Il a aussi vendu deux de ses start-up pour un peu plus de 30 millions. Un joli score mais bien en-deçà de ses ambitions réelles.

Cent millions d’euros levés, deux ventes de start-up, de nouveaux projets en formation : l’écosystème autour du start-up studio bruxellois eFounders bouillonne, depuis le début de l’année encore plus qu’avant. Dernière grosse nouvelle en date ? L’acquisition par le groupe coté suédois MyNewDesk de la jeune pousse Mention spécialisée dans la veille sur le Web et les réseaux sociaux, une nouvelle annoncée à la toute fin du mois d’août. Si le montant de la vente n’est pas officiellement dévoilé par les deux acteurs, le milieu évoque un chiffre compris entre 15 et 20 millions d’euros, soit plus de trois fois le chiffre d’affaires de la start-up !

La valorisation de l’ensemble des start-up d’eFounders avoisinerait les 500 millions d’euros.

Il s’agit de la troisième vente d’un projet né au sein du start-up studio franco-belge eFounders. Avant cela, au mois d’avril, la firme TextMaster, plateforme web de traduction, se faisait avaler par Technicis, le numéro 3 européen de la traduction pour un montant estimé par plusieurs observateurs à un peu plus de 12 millions d’euros. Et, voici tout juste un an, eFounders se séparait (discrètement) de Hivy en la cédant à Managed by Q, un acteur américain, même pas deux ans après sa création pour un montant relativement peu élevé (on parle d’environ 1 million d’euros). Ces start-up – et leur vente – peuvent clairement être vues comme des réussites : Mention employait pas moins de 55 personnes réparties entre Paris et New York et générait un chiffre d’affaires d’environ 5 millions d’euros. ” Je suis assez bluffé par la manière dont Mention a réussi à grandir et atteindre une taille pareille avec seulement une levée de fonds de moins d’un million d’euros, analyse Thibaut Claes, conseiller start-up pour Digital Wallonia. Cela témoigne d’une qualité rare dans l’exécution du business par les équipes d’eFounders et de la start-up elle-même. Quant à la vente, si les montants évoqués sont exacts, on peut parler d’une belle très belle vente. ” TextMaster, quant à elle, n’était plus non plus une petite start-up planquée dans un garage, loin de là : elle revendiquait 8 millions d’euros de revenus et une équipe de 40 personnes.

Premières “exits”

Reste que quand on connaît un peu l’ambition de Quentin Nickmans et Thibaud Elzière, les deux fondateurs du studio, quelques questions demeurent. En effet, si la vente de Mention a visiblement permis aux investisseurs de réaliser une belle opération (la jeune pousse n’avait levé que 800.000 euros en six années d’existence), le montant de la vente de TextMaster surprend un peu plus puisque la start-up avait attiré plus de 7 millions d’euros de levée de fonds depuis sa création en 2011. Quant à Hivy, elle n’a pas vraiment eu le temps de voler de ses propres ailes et n’a donc pas vraiment eu le temps de capturer de la valeur pour ses fondateurs/investisseurs. Or, le modèle du start-up studio consiste à se rémunérer sur la vente de ses entreprises. En effet, le concept d’un studio consiste à créer et financer une série de jeunes pousses innovantes pour se constituer un portefeuille d’entreprises bien valorisées qui, une fois vendues, doivent permettre de (belles ? ) plus-values et en tout cas de rembourser les investissements, y compris ceux dans les projets qui ne fonctionneront pas. On sait, en effet, que sur le créneau risqué des start-up, le taux de mortalité des projets reste important. On peut donc légitimement se demander si les ventes (Mention, TextMaster et Hivy) réalisées par eFounders constituent une si belle opération pour les créateurs du studio, lesquelles n’ont plus 100 % du capital de chaque start-up… et ont déjà financé le développement successif d’une quinzaine de boîtes. Le spécialiste des levées de fonds Thibaut Claes salue néanmoins ces acquisitions : ” Quant on sait à quel point il est difficile de faire tourner un projet dans le monde des start-up, on ne peut certainement pas parler d’échec ou de vente moyenne. Mention est un beau succès et même si la vente de TextMaster n’a sans doute pas permis aux investisseurs de réaliser des multiples gigantesques, elle a permis de rentabiliser l’investissement et d’en dégager une plus-value malgré tout. Et je pense qu’il est sain et intelligent de vendre au bon moment si – c’est une supposition – on pense ne pas pouvoir mener la start-up beaucoup plus loin. ”

Quand on l’interroge sur ces ventes, Thibaud Elzière, cofondateur d’eFounders, admet sans ambiguïté que ” ce sont de petites ventes ” mais il précise qu’elles permettent aux deux fondateurs de ” presque rentabiliser leur investissement personnel engagé dans le studio ” depuis son lancement. Le serial entrepreneur qui avait déjà fondé la firme Fotolia ajoute que ” les exits de Mention et TextMaster valident le business model d’eFounders et prouvent que ce que l’on fait a du sens “.

Le start-up studio bruxellois vient de céder Mention, spécialisée dans la veille sur le Web et les réseaux sociaux, pour un montant compris entre 15 et 20 millions d'euros.
Le start-up studio bruxellois vient de céder Mention, spécialisée dans la veille sur le Web et les réseaux sociaux, pour un montant compris entre 15 et 20 millions d’euros.© PG

“Plus totalement dans la stratégie”

Si la vente de Hivy part du constat que la jeune pousse entrait totalement dans le terrain de jeu de son concurrent (et acquéreur) Managed by Q et aurait nécessité de gros efforts et d’importantes levées de fonds pour tenter de s’imposer, la justification des deux autres exits est différente. Pour le cofondateur d’eFounders, TextMaster et Mention représentent deux beaux projets sur lesquels l’équipe s’est ” fait la main “, de belles réussites mais qui n’entraient, par ailleurs, plus tout à fait dans l’ambition et la stratégie du studio. eFounders s’est totalement spécialisé dans le software as a service (SAAS, soit un logiciel qui tourne dans le cloud) destiné aux entreprises ( B to B), surtout des PME. Or ” TextMaster n’est pas à 100 % du SAAS puisqu’il s’agit d’une plateforme qui met en relation les clients avec des professionnels qui prennent en charge leur traduction “, détaille Thibaud Elzière. Les clients peuvent en effet trouver, via TextMaster parfois comparé au ” Uber de la traduction “, des traducteurs partout dans le monde, selon la langue et la thématique à traduire. De plus, le modèle du SAAS consiste en général en un abonnement récurrent pour l’utilisation du service en ligne, ce qui n’est pas le cas de TextMaster.

La vente de TextMaster n’a sans doute pas permis aux investisseurs de réaliser des multiples gigantesques, mais elle a permis de rentabiliser l’investissement et d’en dégager une plus-value malgré tout.” – Thibaut Claes (Digital Wallonia)

Quant à Mention, il s’agit bien d’un SAAS mais ” dont le service ne peut pas être vendu assez cher “, analyse le boss d’eFounders. En résumé, les clients paient bien un abonnement mensuel pour être averti des derniers articles ou post sur les réseaux sociaux qui les concernent, ou qui concernent leur entreprise et leurs produits. Mais ” s’il y a des clients entreprises qui paient plusieurs milliers d’euros par mois, ils ne sont pas assez et, globalement, beaucoup d’utilisateurs ne sont pas prêts à payer plus que quelques dizaines d’euros par mois, enchaîne Thibaud Elzière. Ce qui ne permet pas de capturer une valeur énorme, même avec 100.000 clients en portefeuille “.

Des ventes en centaines de millions

S’il se réjouit d’avoir ” prouvé la qualité du modèle eFounders ” avec ces ” petites ” ventes, le patron du studio qui a déjà réalisé une vente record (Fotolia a été vendu quelque 800 millions au géant Adobe ! ) voit plus grand. Beaucoup plus grand. ” J’espère que nos prochaines ventes dépasseront largement les 100 ou 200 millions d’euros “, dit-il. Des montants qui peuvent paraître énormes. Reste que deux des pépites nées au sein du studio, Aircall et Front, ont réalisé en début d’année des levées de fonds record : respectivement 25 et 53,7 millions d’euros. ” Les gens d’eFounders sont parvenus à faire ce que peu de start-up en Belgique, du côté francophone, réussissent : ils ont mené leurs différents projets à un niveau hyper élevé, insiste Thibaut Claes de Digital Wallonia. Ils ont compris que leurs boîtes peuvent être lancées directement depuis les Etats-Unis, là où cela se passe dans le domaine du SAAS. Ils les font intégrer le prestigieux Y Combinator (incubateur américain par où sont passées Airbnb, Dropbox, Stripe parmi quelque 1.900 start-up) et parviennent à séduire de nombreux investisseurs de prestige. C’est très impressionnant ! ” Et si les défis paraissent ambitieux, les chiffres des start-up d’eFounders permettent d’envisager que la stratégie de Quentin Nickmans et Thibaud Elzière n’est pas totalement farfelue, loin de là. La valorisation de l’ensemble des start-up d’eFounders avoisinerait les 500 millions d’euros, elles généreraient 50 millions d’euros de revenus récurrents et mettraient au travail pas loin de 500 personnes.

Au-delà du “portefeuille de start-up”

Thibaud Elzière admet que la vision d’eFounders a pas mal évolué quant aux objectifs finaux du studio. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il ne s’agirait pas seulement de développer des start-up pour se constituer un portefeuille et de les vendre en espérant toucher le jackpot. ” Notre objectif n’est plus de créer sans fin des boîtes et de viser des ventes à tout prix, détaille le serial entrepreneur. Notre but ultime consiste plutôt à créer un portfolio d’entreprises qui résolvent l’ensemble des problématiques des PME, des entreprises de 50 à 5.000 personnes que les géants de la tech ciblent finalement assez peu. Nous ambitionnons d’être un genre de Microsoft des PME grâce à nos solutions SAAS et d’avoir, sous la coupole eFounders, des solutions qui couvrent la plupart de leurs problématiques, qu’elles touchent les RH, la vente, le marketing, les finances, etc. Nous avons l’espoir de créer des boîtes qui puissent devenir les prochaines sales forces dans leur domaine. ”

L’intérêt pour les investisseurs ne serait donc plus forcément d’espérer vendre des start-up mais pourrait provenir de dividendes ou de mises en Bourse (IPO) de certaines des entreprises créées. Rien n’est exclu dans le chef des fondateurs d’eFounders. Quant au studio, il pourrait aussi s’ouvrir et accepter de développer des idées qui ne viendraient plus forcément de l’intérieur, voire même racheter des start-up. D’après nos informations, il serait d’ailleurs en train d’analyser l’un ou l’autre dossier en vue d’étoffer son portfolio de solutions à destination des clients. Par ailleurs, les équipes d’eFounders planchent actuellement sur un nouveau projet. Nom de code ? LeadX. L’idée consiste à créer une force de vente autour de l’écosystème des diverses boîtes d’eFounders et de leur amener des leads vers de nouveaux clients. Les commerciaux de ” LeadX ” auraient pour mission d’aller démarcher les PME en leur proposant le catalogue des solutions eFounders. ” On se rend compte qu’avec le SAAS et le marketing online, il n’est pas possible d’aller toucher toutes les PME, précise Thibaud Elzière. Au début de la vie des start-up, on cherche l’adéquation parfaite au marché. Mais quand elles sont plus grosses, on essaie de trouver plus de clients. ” Bien sûr, cette démarche – vertueuse sur papier – n’a du sens que si l’écosystème eFounders continue de conserver la plupart de ses boîtes…

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