Quelle place pour le numérique dans la politique wallonne?

La numérisation de l'administration, une des ambitions majeures du volet "digital" de la DPR. © GettyImages

Alors que la disruption numérique est au coeur de toutes les évolutions sociétales et économiques du moment, elle occupe, pour la première fois, un chapitre entier dans la Déclaration de politique régionale du gouvernement wallon. Mais que vaut-il?

La Belgique n’est pas numériquement très compétitive. C’est ce qu’on peut déduire du dernier classement international mené par l’Institute for Management Development (IMD) auprès de 63 pays développés. La place de la Belgique dans ce classement dévoilé la semaine passée n’est pas bonne. Notre pays a, en effet, dégringolé de la 23e à la 25e place en un an. Et en 2015, nous nous positionnions en 19e position. D’après les responsables de l’étude, les fautifs sont tout à la fois le secteur privé qui manque d’ambition et d’adaptation dans l’univers du numérique (pas assez de big data, d’IA et de robotique notamment) et les pouvoirs publics qui manquent d’efficacité. Hasard du timing, l’étude annuelle menée par l’IMD a été rendue publique quelques jours après la Déclaration de politique régionale (DPR) publiée par le nouveau gouvernement wallon.

Sur papier, on ne peut qu’être d’accord avec l’ensemble de la note. Mais je reste cruellement sur ma faim quant à la manière d’y arriver.” Jean-Yves Huwart, auteur du livre “Pourquoi la Wallonie ne se redresse pas ?

En parcourant le document de 122 pages, on constate qu’un chapitre entier est consacré au numérique. Il s’agit du chapitre huit, allant de la page 41 à la page 47. ” Une grande première “, se réjouissent tout à la fois Pierre Rion, président du Conseil du numérique en Wallonie, et André Blavier, manager et expert à l’Agence du numérique. ” Le digital était assez limité dans les déclarations précédentes, note André Blavier. Celle-ci est très complète.” Sept pages, donc, qui s’inscrivent ” totalement dans la continuité de la politique mise en place depuis Jean-Claude Marcourt (PS) et poursuivie par Pierre-Yves Jeholet (MR) “, ex-ministre wallon en charge du Numérique. La première phrase du chapitre huit l’indique clairement : ” Le gouvernement poursuivra la mise en oeuvre de la stratégie Digital Wallonia en tenant compte notamment de l’examen et des recommandations du Conseil du numérique “. Pour Pierre Rion, ” c’est évidemment très rassurant de voir que le travail entamé, sur la base des recommandations des acteurs de terrain, peut continuer. ” Les lecteurs les plus avisés constateront d’ailleurs une grande similitude entre la DPR et le Plan numérique 2019-2024 dévoilé en fin d’année dernière par le ministre Jeholet. ” Des phrases entières en sont reprises parfois mot à mot “, s’amuse un observateur.

Pour jauger de l’ambition wallonne en matière de numérisation, décryptons donc en compagnie de plusieurs observateurs avisés les grandes lignes de ce fameux chapitre huit.

CIO wallon et numérisation de l’administration

Le gouvernement ” entend favoriser et augmenter les services en ligne ainsi que systématiser la collecte, l’analyse et le partage des données “, peut-on lire d’emblée. Il ” confirme également la mise en place d’un chief information officer “, se réjouit Pierre Rion. Ce CIO wallon aura, d’après la DPR, une ” haute autorité sur l’ensemble des directions générales en matière d’IT “. Le président du Conseil du numérique salue cette ambition et confirme qu’un cabinet de consultants est en train de définir son rôle et son plan d’action avant sa désignation. ” Cela fait plus de 15 ans que l’on parle de la numérisation des services administratifs, rappelle néanmoins Jean-Yves Huwart, auteur du livre Pourquoi la Wallonie ne se redresse pas ? Il est temps de prendre des mesures concrètes et efficaces. ” Le gouvernement prévoit, à ce titre, un programme de formation spécifique pour les agents de l’administration et une plateforme d’administration publique numérique agissant comme un guichet unique vers tous les services électroniques. ” Il y a du travail, rappelle Jean-Yves Huwart. L’administration doit, d’urgence, suivre les bons exemples comme celui de la Finlande. Avec un plan d’action concret. ”

André Blavier (Agence du numérique):
André Blavier (Agence du numérique): “Le digital était assez limité dans les déclarations précédentes. Celle-ci est très complète.”© PG

Donnée publique

” La donnée doit être considérée comme une infrastructure essentielle de la Région au même titre que d’autres actifs matériels et immatériels “. Inutile de le repréciser : la donnée est, aujour-d’hui, devenue le ” nouvel or noir ” pour qui sait s’en servir. Elle est au coeur même de l’économie numérique, et des évolutions futures, en ce compris l’intelligence artificielle. Que le gouvernement insiste sur ce point est une bonne nouvelle pour Pierre Rion : ” Des mesures concrètes ont été votées pour l’ open data…. Mais pas le décret d’application. Un vrai blocage a lieu sur le sujet, en raison de désaccords entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région wallonne. Résultat : le dossier est politiquement bloqué. ” Remettre la donnée publique en bonne place dans la nouvelle DPR est donc une bonne chose. Le président du Conseil du numérique se réjouit, par ailleurs, que le texte aille dans les détails et suggère le développement de technologies blockchain en matière d’urbanisme, d’environnement ou d’état civil. Mais il s’étonne : ” pourquoi uniquement dans ces domaines ? “. Le gouvernement prévoit, par ailleurs, un ” Centre de recherche et d’excellence en matière de gestion de l’information intégrant les dimensions juridiques, organisationnelles et techniques “. Une création qui laisse Jean-Yves Huwart perplexe : ” J’ai peur qu’il s’agisse encore d’un bidule en plus qui a pour effet d’ outsourcer l’objectif tout en pouvant mentionner qu’on a fait quelque chose”.

Soutien aux start-up

Le gouvernement wallon semble vouloir mieux concentrer les efforts (et les moyens) pour soutenir l’écosystème des start-up. Il entend continuer à soutenir les entrepreneurs digitaux, mais insiste sur la ” spécialisation ” des accompagnements, et l’identification des écosystèmes porteurs de forte valeur ajoutée. Une démarche déjà timidement entreprise par Pierre-Yves Jeholet qui affirmait vouloir rationaliser les innombrables structures d’aides, d’accompagnement et d’investissement. Mais il avait revu ses ambitions à la baisse en raison de certains blocages sous-régionaux. ” Ce travail, il faut continuer de le faire, insiste Pierre Rion. Il est important d’avoir de la lisibilité dans les écosystèmes start-up. Il existe de nombreux outils pour les entrepreneurs. Il faut qu’ils puissent s’en sortir dans toute cette offre. ” Parmi les secteurs porteurs, la DPR évoque notamment l’économie industrielle, un domaine largement développé dans le plan Digital Wallonia avec les soutiens et les initiatives ” Industrie 4.0 “. Mais ” cela reste extrêmement large, regrette Olivier De Doncker, président de la Feweb, la fédération des métiers du Web. Aider les start-up, oui : mais dans quels secteurs précisément ? Et comment ? “.

L’une des surprises : l’évocation d’un éventuel nouveau pôle de compétitivité conjoint à la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale sur les métiers du numérique et des industries culturelles et créatives. Une idée qui ne convainc pas tout le monde. ” Les pôles de compétitivité affichent des résultats très mitigés, analyse Olivier De Doncker. Certains ont un très bon bilan, d’autres beaucoup moins. De plus, il existe déjà le Cluster TIC. ” De son côté, Pierre Rion ne voit pas non plus l’intérêt de déployer un nouveau pôle. ” Le numérique étant très transversal, cela ne se justifie pas vraiment. Il vaudrait mieux envisager des représentants du numérique dans les pôles existants. ”

Olivier De Doncker (Feweb):
Olivier De Doncker (Feweb): “Aider les start-up, oui: mais dans quels secteurs précisément ? Et comment?”© PG

Accompagnement des entreprises existantes

Dans la foulée des initiatives prises par Digital Wallonia, la transformation digitale semble bien être à l’esprit du gouvernement wallon qui pense que les nouvelles technologies (et il cite notamment le cloud, la 5G, l’IA, la robotique ou la blockchain) ” peuvent relocaliser des activités industrielles ” et ” faire émerger une production industrielle locale “. Pour cela, il s’agit de continuer à accompagner les entreprises dans leur transformation, accélérer la sensibilisation, moderniser les outils d’intervention. ” Cette ambition d’accompagner nos entreprises et nos PME est probablement l’un des meilleurs points de cette DPR, souligne Jean-Pol Boone, entrepreneur du digital et connaisseur de la Wallonie numérique. Elle est teintée de réalisme : on n’essaie plus (seulement ? ) de poursuivre le rêve d’avoir des licornes, mais plutôt d’aider nos entreprises à se mettre à la pointe et d’améliorer, ainsi, leur compétitivité. C’est très positif. ” Le gouvernement évoque notamment le renforcement de la législation pour donner des balises en matière de documents électroniques. ” Un point très important, insiste Pierre Rion, c’est la facture électronique qui n’est malheureusement pas évoquée. Tout est pourtant prêt pour pouvoir l’utiliser. Et elle ferait gagner jusqu’à 1 milliard d’euros d’économie en Wallonie. ”

Apprentissage et formation

On ne compte plus les études sur l’impact de la digitalisation des jobs et les besoins en nouvelles compétences. Pas plus tard qu’à la rentrée, IBM sortait une étude indiquant que ” 120 millions de travailleurs dans les 10 plus grandes économies mondiales pourraient avoir besoin d’être réorientés ou requalifiés en raison de l’IA et de l’automatisation intelligente “. Le gouvernement wallon entend donc ” accélérer la transformation numérique au sein des équipes pédagogiques, déployer l’Internet dans toutes les écoles, analyser les besoins en transformation des métiers, développer des programmes d’acquisition de compétences numériques au bénéfice des demandeurs d’emploi… ”

Une autre surprise du chapitre numérique de la DPR vient sans doute de son ambition de ” favoriser, en collaboration avec la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’apprentissage du numérique au sein des écoles, notamment par l’organisation d’événements ponctuels durant l’année scolaire et des cours théoriques dispensés à l’occasion des jours blancs “. Rien que pour cela, Pierre Rion se réjouit du passage de Pierre-Yves Jeholet à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il espère que ce transfert pourra aider les organes à se parler. Notamment pour la mise en place du numérique à l’école. Cet appel du pied du gouvernement dans la DPR lancera-t-il une dynamique positive ?

Pour Olivier De Doncker, par contre, cette mention est ” triste à pleurer “. Le président de la Feweb regrette qu’un sujet aussi fondamental ne se traduise que par ” une sensibilisation au numérique durant les jours blancs. Cela n’en fait qu’une préoccupation bien trop lointaine. Et ce n’est du reste pas à la Région de remplir les blancs… ”

Pierre Rion (Conseil du numérique):
Pierre Rion (Conseil du numérique): “La facture électronique qui n’est malheureusement pas évoquée. Tout est pourtant prêt pour pouvoir l’utiliser?”© Belgaimage

Que retenir ?

Conclusion : les observateurs se montrent mitigés par rapport à l’ambition numérique du gouvernement wallon. Généralement pas tendre lorsqu’il s’agit de décrypter la politique wallonne, Jean-Yves Huwart applaudit certes la ” prise de conscience ” de la Wallonie par rapport à l’enjeu digital avec ce chapitre dédié au numérique, mais il déplore un certain manque de cohérence. ” L’agenda numérique devient incontournable, observe l’auteur. Et sur papier, on ne peut qu’être d’accord avec l’ensemble de la note. On y voit un bel état des lieux des choses à faire. Mais je reste cruellement sur ma faim quant à la manière d’y arriver. Il y a pas mal de choses et cela va dans toutes les directions sans pour autant fixer de vraie feuille de route pour savoir ce qu’on va faire concrètement. Bien sûr, on s’inscrit dans la continuité mais les méthodes d’hier qui ont échoué vont-elles fonctionner à présent ? ”

De son côté, Olivier De Doncker, soutient qu’on ” ne peut pas ne pas être d’accord avec l’ensemble de la vision d’ensemble. Mais il manque de substance et de concret. La DPR reste un catalogue de bonnes intentions qui coche pas mal de cases à la mode, comme l’IA ou la blockchain. ” Il regrette également ” la non-remise en cause de la subsidiation continue, sans évaluation de la politique mise en place jusqu’ici. Il est important d’analyser sérieusement ce qui a fonctionné et pas. Certaines structures ne sont pourtant que des avaloirs à subsides et ne mènent à aucun résultat. ”

Inversément, André Blavier se réjouit que l’exécutif wallon poursuive la stratégie mise en place ces dernières années sous le label Digital Wallonia. Et de souligner le mécanisme participatif de développement de cette stratégie. ” Elle s’appuie sur un triangle vertueux combinant le politique qui nourrit une ambition, les opérateurs et partenaires (HEC, Agoria, le centre FuturoCité, etc) et la participation des acteurs de terrain au travers du Conseil du numérique, des universités d’été et des Digital Champions… ” Bien sûr, la DPR reste le témoin d’une ambition. Mais comme c’est le cas pour tout entrepreneur de start-up : ce qui compte, ce n’est pas tant l’idée que l’exécution…

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