Quand la Covid pousse la police judiciaire à intervenir sur le web

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Le coronavirus a également contaminé Internet. Servant de prétexte aux fraudes, complots, propagandes terroristes, et imposant ainsi plus de 1.000 interventions supplémentaires aux forces de l’ordre. Sur le terrain numérique, la police ne manque pas d’occupation mais plutôt d’outils, tant techniques que légaux.

La police tente de patrouiller partout. Même sur Facebook, Twitter, Youtube… Mais avec la pandémie, la tâche a encore gagné en complexité face à une recrudescence de la criminalité en ligne. Pour objectiver cette influence de la Covid, le commissaire Alain Luypaert, chef de la section Recherche sur Internet de la police judiciaire fédérale, a dressé un état des lieux aux parlementaires du comité d’avis des questions technologiques.

Appartenant à la Direction de la lutte contre la criminalité grave et organisée (DJSOC), cette “PJ du web” assure d’habitude différentes missions de blocage de contenus, de prévention et de partage d’expertises, portant essentiellement sur les activités extrémistes violentes.

Selon les données les plus récentes (arrêtées le 25 janvier dernier), la section Internet Referral Unit (IRU) de la police fédérale dénombre jusqu’ici à 960 signalements. Les enquêteurs ont évidemment contacté les réseaux sociaux et autres entreprises tech concernées. Ces géants du web n’ont finalement opéré que 493 retraits.

“Vous constatez qu’il s’agit de peu de retraits car nous procédons à des sollicitations et ne disposons pas de mesures contraignantes. Ces plateformes ne sont pas obligées de répondre. La majorité considèrent que les contenus sont de type libre expression. Et en l’absence d’articles de loi sur lesquels appuyer une interdiction de publication, les plateformes perçoivent notre action comme une forme de censure exercée par les autorités”, indique le commissaire Luypaert.

Sur 247 demandes ciblant produits contrôlés, les plateformes ont procédé à 165 retraits (67%):

2ememain : 89 produits contrôlés, 83 retirés

Sites web : 64 produits contrôlés, 15

Facebook : 62 produits contrôlés, 37

Instagram : 18 produits contrôlés, 16

Autres : 10 produits contrôlés, 10

eBay : 4 produits contrôlés, 4

Son unité a également procédé à des demandes de retraits de produits mis en vente qui contrevenaient à des interdictions telles que celles appliquées lors de la première vague sur les masques respiratoires, gels hydroalcooliques et autres.

“Vous remarquez cette particularité avec le site 2ememain.be sur lequel nous avons constaté une augmentation des produits illégaux. Nous avons donc établi des contacts particuliers avec l’entreprise pour expliquer notre désignation par le collège des procureurs généraux quant à l’exécution de demandes de retraits”, précise le chef de la section I2/IRU.

Dans le cadre de ces recherches, ce n’est que lorsqu’un intérêt belge est repéré et que l’auteur est identifiable que la police judiciaire peut établir un procès-verbal.

Le problème spécifique des fausses nouvelles

Face au phénomène des fake news, la “PJ d’Internet” s’avoue quelque peu désarmée.

“Il n’y a pas de définition légale, de loi qui régit les fausses nouvelles. Nous devons travailler sur base d’éléments qui interviennent dans la composition des fake news et sont considérés comme préjudiciables”, précise le commissaire Luypaert.

Le chef de section déplore qu’à peine la moitié des demandes présentées à Facebook et conorts donnent suite à une suppression.

“Naturellement, certaines fake news sont flagrantes dans leur intention de nuire à autrui ou à la société, et généralement les plateformes acceptent alors de collaborer”, souligne-t-il.

Sur 575 demandes relatives à des fake news, les plateformes ont procédé à 297 retraits (52%) :

Facebook : 376 signalements, 232 retraits

Youtube : 95 signalements, 31 retraits

Sites web : 36 signalements, 4 retraits

Twitter : 24 signalements, 8retraits

Instagram : 9 signalements, 5 retraits

TikTok : 5 signalements, 4 retraits

“Du grand n’importe quoi”

L’équipe de la police judiciaire fédérale a par ailleurs dû intervenir pour des appels à la désobéissance. Si l’acte de désobéissance n’est pas une infraction prévue dans le code pénal, les policiers doivent prévenir les débordements du web qui troubleraient l’ordre public.

Les enquêteurs ont cerné trois thèmes principaux, à savoir la situation sanitaire dans son ensemble, les appels visant notamment les mesures prises par le gouvernement ; la situation par rapport au masque, notamment avec les groupes de “résistance” au port obligatoire ; et enfin la vaccination.

“On a retrouvé de tout. L’État aurait traité les masques vendus en pharmacie avec un produit destiné à rendre dociles les foules, une puce serait injectée en même temps que le vaccin pour contrôler la population, la 5G causerait le coronavirus ou le coronavirus aurait été créé pour installer la 5G. Du grand n’importe quoi, très généralement”, réprouve Alain Luypaert.

Sur 138 demandes portant sur des appels à la désobéissance, les plateformes ont procédé à 31 retraits (22%) :

Facebook : 103 signalements, 29 retraits

Twitter : 23 signalements, 0 retrait

Instagram : 7 signalements, 2 retraits

YouTube : 3 signalements, 0 retrait

Sites web :2 signalements, 0 retrait

En renfort

La section du commissaire Luypaert intervient parallèlement dans le cadre de missions d’appui, pour apporter soutien aux unités de la police fédérale, de la police locale ou encore pour aider en qualité d’experts la magistrature. Une collaboration multidisciplinaire avec d’autres services des SPF Santé, Économie et Finances.

Cela représente jusqu’à présent 104 “demandes de renfort”, les phénomènes concernés étant essentiellement liés à des fraudes (46) et aux troubles de l’ordre public (27).

“Nous avons aussi découvert des sites profitant de la crise sanitaire pour exercer une influence matière de terrorisme, avec notamment un cas de djihadisme. Mais généralement il s’agissait surtout de radicalisation liée à l’extrême droite et des contextes de propagande”, détaille-t-il.

Manque de munitions… légales

Les défis ne sont pas tant technologiques. Plutôt législatifs. Au stade actuel, la police judiciaire fédérale estime que quatre grands textes de loi devraient être modifiés.

La lois sur la fonction de police, d’abord, car elle empêche par exemple les enquêteurs de pouvoir s’identifier comme policiers auprès des personnes recherchées.

La loi MPR (méthodes particulières de recherche) ensuite car elle limite à quelques jours l’observation des individus et ne permettrait pas aux enquêteurs de suivre valablement une personne susceptible de commettre un acte illégal.

La section Recherche sur Internet de la police fédérale voudrait également que soit amendé l’article 150 de la Constitution, celui qui régit le délit de presse, afin que les publications “délictueuses” sur Facebook ou autres soient jugées en cours d’assises.

Enfin, il ne s’agirait pas de modification en soi mais plus d’ajouts au code pénal en vue notamment de fournir une définition légale pour le discours de haine.

“La police travaille sur des éléments qu’elle parvient à relier aux lois sur la discrimination, le racisme et le genre. Nous sommes parfois dans l’impossibilité de poursuivre légalement les infractions de type discours de haine”, expose le commissaire Luypaert.

De même, une définition des fake news dommageables serait nécessaire pour que la PJ puisse poursuivre les auteurs mais aussi solliciter les réseaux sociaux de manière plus précise quant au retrait de ce type de contenus.

Evidemment, renforcer les capacités techniques et matérielles des officiers de police requiert des engagements politiques et budgétaires. Sans oublier la pénurie de talents, la police manquant de programmeurs et autres profils spécialisés, sans pouvoir aligner son offre salariale aux rémunérations pratiquées dans le privé.

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