“Nous sommes une victime collatérale de l’Unizo”
La Cour constitutionnelle a récemment annulé la loi de 2018 encadrant notamment les prestations réalisées aux travers de plateformes Web d’économie collaborative. Sur le site de la start-up Listminut, 80% des utilisateurs réalisent des prestations sous le régime de cette loi. Rencontre avec Jonathan Schockaert, CEO de Listminut.
La loi encadrant l’économie collaborative et les activités complémentaires a récemment été annulée par la Cour Constitutionnelle considérant, en bref, qu’il s’agit de concurrence déloyale pour l’ensemble des indépendants du pays. Cette loi déployée par Maggie De Block en 2018, élargissant en fait la loi imaginée dès 2016 par Alexander De Croo, prévoyait l’exemption totale d’impôts sur les revenus générés par tous les petits boulots pour autant qu’ils restent sous la barre des 500 euros mensuels. Cette loi touchait à la fois les start-up d’économie collaborative, les plateformes comme Deliveroo ou Uber Eats mais aussi les clubs de sports, les associations, etc. Un coup dur pour pas mal d’associations et clubs de sport qui s’appuyaient sur des personnes bénéficiant de ce régime. C’est aussi le cas pour certaines entreprises. Dont la start-up Listminut qui met en relation les internautes avec des prestataires de services (bricolage, jardinage, cours de rattrapage, etc). Interview de Jonathan Schockaert, co-fondateur et CEO de Listminut.
L’annulation de la loi de 2018, permettant aux gens d’avoir une activité complémentaire et de gagner 500 euros par mois sans être taxés, représente-t-elle un gros problème pour Listminut ?
Cela a forcément un gros impact puisque cette loi régit environ 80% de notre activité. La plupart de nos prestataires passent sous ce régime lorsqu’ils réalisent des jobs. Cette loi encadrait parfaitement notre activité et la philosophie avec laquelle nous opérons. Nous souhaitons évidemment que les prestataires paient des impôts et des taxes, mais de manière proportionnée. Un prestataire qui va tondre la pelouse de son voisin une fois ponctuellement doit-il être enregistré comme indépendant, avec tout ce que cela implique (cotisations, impôts, lourdeur administrative) ? Il essaie et cela lui met le pied à l’étrier et quand il voit qu’il peut en vivre, il passe indépendant et commence à payer cotisations et taxes. Et on le constate ; chaque semaine au moins, un prestataire “particulier” devient indépendant.
Sans cette loi, votre business de plateforme peut-il continuer à exister ?
Bien sûr. En soi, nous allons nous adapter. On pourrait imaginer ne travailler qu’avec des prestataires professionnels et réaliser la mise en contact des internautes avec des pros, qui représentent aujourd’hui 15% des prestataires de notre base de données. Mais ce n’est pas ce qu’on souhaite, ce n’est pas dans la philosophie de ce qu’on développe. On s’est battus pour faire évoluer les choses et la loi nous semblait idéale, car elle permettait non seulement aux particuliers d’essayer une activité avant de passer en indépendant ou en société. Mais en plus, elle permettait d’éviter aux gens de faire du travail au noir car on sait bien que les particuliers réalisent des petits jobs par-ci par-là. Via Listminut, au moins, ils sont encadrés et assurés.
C’est pourtant ce que certains reprochaient à l’économie collaborative : permettre aux particuliers de trouver des clients et de faire des prestations sans les déclarer. Et donc de faire de la concurrence déloyale aux indépendants…
Et cette loi réglait cela justement… Mais il faut arrêter de croire que l’économie collaborative est une black box comme certains le disent. Nous générons des fiches fiscales pour chaque prestataire particulier et déclarons chaque prestation de service. Et, soyons honnêtes : le “black” existe aussi chez les indépendants, peut-être même bien plus. Quand ils disent que l’économie collaborative facilite le travail au noir, c’est l’hôpital qui se fout de la charité… La loi qui vient d’être annulée encourageait justement les prestataires particuliers à passer par une plateforme et à déclarer leurs revenus…
Il se dit que l’annulation de la loi de 2018 pourrait pousser le gouvernement à relancer la “Loi De Croo” imaginée en 2016 et qui permettait aux prestataires sur les plateformes de n’être taxés que 10% sur un maximum de 6000 euros par an. Cela vous arrangerait ?
A la base c’est la loi qui encadrait l’économie collaborative donc une bonne partie de notre business. Mais avec un gouvernement en affaires courantes, peu de choses peuvent vraiment se passer. Cela reste flou. Car même si on en revenait à la “Loi De Croo”, l’Unizo pourrait l’attaquer et elle pourrait aussi être annulée un an après. Que les prestataires ne soient pas taxés jusqu’à une certaine limité ou qu’ils soient taxés 10%, cela reste moins que des indépendants dont c’est le métier. Et c’est normal : la contribution de chacun doit être proportionnelle. Est-ce que la Cour constitutionnelle jugera cela comme déloyal ? En tout cas, on est en train de constater que l’Unizo est aussi puissant que le secteur des taxis qui a tué ou freiné les start-up Djump, Heetch ou encore le service Uber Pop… Surtout, on constate bien ici la difficulté pour une start-up d’avancer avec ce flou juridique, et d’être tellement dépendant d’une législation comme celle-là, qui change sans cesse. On va à contre-courant, on le sait. Là, nous avons l’impression de refaire un bon en arrière et de revenir à une situation qui ne tenait pas compte des évolutions induites par l’apparition de l’économie collaborative et des outils Web.
Malgré tout, c’est le propre d’une start-up innovante que de pivoter…
Nous allons trouver la manière de nous adapter, je n’en ai aucun doute. Nous avons une bonne communauté et une belle équipe de 18 personnes. Nous devons voir comment nous adapter. Mais est-ce que pour Listminut cela vaudrait la peine de pivoter à nouveau alors que nous avons pris plusieurs années à mettre en place notre business model actuel de l’abonnement ? Devons-nous capitaliser sur les 15% d’indépendants qui génèrent 20% de notre business, travailler jour et nuit pour arriver à revenir au stade actuel de l’activité ? Nous avons une vision ambitieuse et on veut faire changer les choses. Revenir en arrière parce que “le monde n’est pas prêt” ne nous correspond pas. On peut bien sûr évoluer : on n’est d’ailleurs jamais aussi forts que lorsqu’on est dos au mur.
Toutefois, il est important de savoir que les indépendants sur notre plateforme ne réalisent que des travaux de type jardinage ou bricolage. Mais Listminut c’est aussi, des babysitters, des professeurs qui donnent des cours de rattrapages, des femmes de ménages, des aides aux seniors… Ce sont parfois des pensionnés qui restent actifs. Voilà notre ADN. Je pense que l’Unizo ne visait pas vraiment une plateforme comme Listminut qui ne fait vraiment pas de concurrence déloyale aux indépendants. Au contraire. Mais nous sommes une victime collatérale… Pour l’instant, les effets de la loi continuent jusque fin de cette année, mais c’est important de comprendre que l’économie collaborative ne va pas mourir à cause de cela. Le monde change, cela prend parfois du temps, mais l’économie collaborative était là avant cette loi et sera là après. Pour une fois que le gouvernement accompagnait le changement, ce sont les groupes d’intérêts qui freinent l’innovation… C’est dommage, mais pas insurmontable !
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