Les start-up doivent-elles engager un CEO expérimenté ?

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Emblématique responsable de start-up fintechs à Bruxelles, Xavier Corman a récemment créé la surprise en cédant son poste de CEO d’Edebex. En s’effaçant de sa start-up, il fait le choix de lâcher le contrôle au profit de la croissance de sa société. Un choix difficile pour beaucoup mais qui se révèle souvent payant.

Après plus de six ans à la tête d’un projet comme Edebex, il était temps qu’il y ait du changement. ” Avec une certaine humilité, Xavier Corman, le patron de la fintech Edebex, explique pourquoi il cède aujourd’hui son poste de CEO à Wim De Ridder, actuel COO de la scale-up et ancien de chez Petercam et Western Union. ” Il ne s’agit pas d’une décision fruit d’ un conflit ou de tensions, insiste Xavier Corman. Mais Edebex est arrivée à un moment où je considère qu’il est bon d’avoir un autre profil à la tête de la start-up. ”

Quand la start-up rencontre ses premiers gros succès, le boss commence à faire face à d’autres types de challenges.

Fondée en 2012, la fintech s’adresse aux PME qui veulent revendre leurs factures pour dégager du cash. Elle les met alors en contact avec des entreprises disposant de liquidités excédentaires et qui cherchent à réaliser un placement leur offrant un rendement plus attractif que ceux disponibles sur le marché. La start-up de son côté prend un pourcentage du montant vendu, compris entre 1,45 et 2,75%. Ce modèle, Xavier Corman et ses équipes l’ont popularisé au point de revendiquer le rachat, par leur intermédiaire, d’environ 400 millions d’euros de factures depuis 2013, sur cinq marchés différents : Belgique, Portugal, France, Luxembourg et Pays-Bas. La start-up compte une quarantaine d’employés, essentiellement en Belgique. Un bateau que Xavier Corman ne se voyait plus piloter : ” Personnellement, je suis meilleur pour construire une start-up que pour la porter à un niveau industriel. Et je pense que c’est dans l’intérêt de la boîte d’avoir un dirigeant meilleur que moi pour les étapes qui l’attendent “. Meilleur pour la boîte… et donc pour Xavier Corman lui-même. En tant que cofondateur, il reste le deuxième plus gros actionnaire d’Edebex après avoir levé 3 millions d’euros auprès de l’industriel français Pascal Bérend en 2015. Son pas de côté pourrait donc s’interpréter comme un calcul intelligent : vaut-il mieux rester CEO et garder le pouvoir dans une start-up que l’on n’arrivera pas à faire grandir autant qu’on ne l’espère ou lâcher les rênes et rester actionnaire d’un fleuron en grosse croissance ?

“Parfois on investit et on remplace le CEO”

Cette question, des tas de créateurs de start-up se la posent régulièrement. Mais ” les fondateurs ne lâchent pas prise facilement, observait Noam Wasserman, auteur de renom et universitaire à Boston, dans un article de référence publié dans le Harvard Business Review en 2008. Dans le cas de quatre entreprises analysées sur cinq, les fondateurs (qui laissent leur poste de CEO à un remplaçant) sont débarqués de ce poste “. Ce sont alors les investisseurs qui, prenant le contrôle de la start-up, poussent pour que ce changement ait lieu. ” Il arrive en effet que l’on arrive dans une start-up et qu’une des premières choses que l’on suggère, c’est de remplacer le CEO, nous glisse un investisseur professionnel. Même si l’on respecte et apprécie le travail réalisé par le fondateur-CEO, le remplacer se révèle parfois nécessaire. La décision peut sembler cruelle mais elle est prise dans l’intérêt de la start-up et de sa croissance. Un bon fondateur n’est peut-être pas le CEO idéal pour mener la start-up à l’étape d’après. ”

Que le départ soit volontaire ou imposé par des VC ( venture capitalists) désireux d’augmenter rapidement la valorisation de la start-up, l’enjeu peut se résumer autour de ce que Noam Wasserman appelle, dans un livre du même nom, ” le dilemme des fondateurs “. L’auteur lance cette grande question : ” Les fondateurs de start-up veulent-ils être riches ou être les rois ? ” ( Rich or King ? ). Pour l’auteur, qui a mené des recherches auprès de centaines de start-up américaines, ” l’option Rich consiste à faire en sorte que l’entreprise soit mieux valorisée en laissant tomber son poste de CEO et le contrôle sur les décisions majeures. L’option King, quant à elle, permet au fondateur de continuer à prendre les décisions pour sa start-up et le contrôle sur le conseil… mais souvent en construisant une start-up qui a finalement moins de valeur. ”

Pourquoi ? Au départ, ” l’entreprise n’est qu’une idée dans la tête de son fondateur qui possède toutes les informations sur l’opportunité d’affaire, sur le produit, le service innovant ou le business model qui sera construit sur cette opportunité. Ainsi que sur les clients potentiels. ” C’est lui qui crée ” son bébé “, engage les premiers employés, développe la culture d’entreprise. Il est l’aventurier motivé par l’opportunité qu’il identifie, le créatif qui adresse un problème avec une solution innovante. Il construit le produit ou le service, le peaufine pour correspondre au marché qu’il cible. Il crée, invente, développe. Aux premiers moments, ” la start-up est un petit atelier, analyse Xavier Corman, fondateur d’Edebex. On fait de l’artisanat, puis lorsque cela prend de l’ampleur, il faut transformer l’atelier en une industrie. Cela requiert un tout autre profil “.

Xavier Corman, ex-CEO d'Edebex
Xavier Corman, ex-CEO d’Edebex ” Je pense que c’est dans l’intérêt de la boîte d’avoir un dirigeant meilleur que moi pour les étapes qui l’attendent. “© JONATHAN VAHSEN

Construire ou faire grandir ?

Car comme le souligne Noam Wasserman, quand la start-up rencontre ses premiers gros succès, le boss ” commence à faire face à d’autres types de challenges. Il doit être capable de construire une société qui fait du marketing, qui vend de gros volumes de produits et qui propose un service après-vente aux clients. Les finances deviennent plus complexes et le CEO commence à dépendre de responsables financiers et de comptables. L’entreprise doit être plus structurée et le CEO doit mettre en place des process, développer des rôles bien précis et une hiérarchie managériale “. Des tas de nouvelles tâches qui ne sont pas forcément le point fort d’un fondateur. Ou qui souvent, simplement, ne l’intéressent pas. ” Ce que j’aime c’est construire, nous glissait Xavier Corman et c’est là que je suis meilleur. ” Pas mal d’entrepreneurs admettent d’ailleurs préférer les challenges de la création que la ” routine ” de la gestion.

Dans un excellent post LinkedIn intitulé Si, pourquoi, et comment les fondateurs doivent engager un CEO professionnel, Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, évoque son expérience personnelle. ” J’aime les premières étapes qui consistent à construire la boîte, écrit-il. Les petites équipes, la mise en place d’un tout nouveau produit, etc. Ce moment est excitant, frais et pousse aussi à se concentrer sur ce que les fondateurs aiment le plus : résoudre des problèmes intéressants, développer des nouvelles technologies et concevoir une stratégie unique. Mais si vous rencontrez le succès, alors le job de CEO change drastiquement. Une fois le nombre de 50 employés atteint, le CEO doit se concentrer sur les process et l’organisation, et ce n’est pas ce qui me passionnait. Par exemple, je n’aimais pas diriger des réunions d’équipes hebdomadaires. Je préférais résoudre des challenges intellectuels et déterminer des stratégies, plutôt que de débattre des promotion à accorder ou déterminer des timelines pour les projets. ” Résultat : quatre ans après la création de LinkedIn, Reid Hoffman cède sa place de CEO à Dan Nye qui avait déjà dirigé des structures plus grosses que LinkedIn. ” Dan nous a aidés à faire évoluer LinkedIn d’une start-up centrée sur son produit à une société complète, écrit-il. En tant que CEO, il a mis en place un vrai département des ventes, reconstruit une équipe exécutive et a doublé la taille de la boîte. ” A cette période, le fondateur avait conservé la main sur le produit. Une erreur selon lui, alors que les cycles produits ont été considérablement raccourcis avec l’émergence d’Internet, ” le CEO doit être impliqué aussi dans le produit “.

EBay : de 30 à 14.000 personnes

Dans pas mal de cas emblématiques, le fondateur s’entoure d’un CEO plus expérimenté et décide de former, avec lui, un duo. Ce fut le cas chez eBay, trois ans après sa création, lorsque Pierre Omidyar, le fondateur du site d’enchères, engagea Meg Whitman. Visionnaire, le fondateur d’eBay a recruté sa CEO alors qu’il était à la tête d’une start-up de 30 personnes. Lorsque Meg Whitman a rencontré Pierre Omidyar, le contraste était énorme : le fondateur-codeur et son équipe travaillaient dans un relatif ” chaos “, en dehors de toute structure et sans véritable process. Il se dit qu’eBay n’avait même pas encore de réceptionniste. Meg Whitman, de son côté, affichait sur son C.V. des postes à responsabilités chez Bain & Company ou Procter & Gamble. Quand elle est arrivée chez eBay, quelque temps avant que la société n’entre en Bourse, la nouvelle CEO a commencé par mettre en place des outils de management aussi basiques que des calendriers pour organiser les réunions… Sous son règne de 10 ans à la barre d’eBay, elle a noué des deals déterminants (avec AOL, par exemple) pour attirer du trafic sur la plateforme. Et c’est aussi sous son impulsion que le site d’enchères s’est lancé dans une grande expansion internationale à coups d’ouvertures à l’étranger et d’acquisitions. Résultat ? En quelques années, la start-up de 30 personnes est devenue un empire de 14.000 employés servant pas moins de 182 millions d’acheteurs partout dans le monde.

Des duos à succès fondateur/CEO, le monde de la tech en compte beaucoup d’autres : cela a été le cas avec Tim Koogle chez Yahoo ! aux côtés de Jerry Yang, avec Dick Costolo chez Twitter pour aider Jack Dorsey ou encore Eric Schmidt recruté par le duo de fondateurs de Google… Bien sûr, des tas de contre-exemples existent aussi. Et certains, comme Ben Horowitz ( lire l’encadré plus bas), préfèrent les fondateurs à la tête de la boîte. Avec pas mal d’arguments. Cela fait écrire à Reid Hoffman que ” les deux approches peuvent fonctionner. C’est une décision hautement personnelle et la bonne réponse dépend de l’entrepreneur et de son équipe, en ce compris les cofondateurs et les investisseurs. Il peut être un Steve Jobs ou un Pierre Omidyar “. Et de préciser qu’être un fondateur est un état d’esprit pas un job description. Des CEO qui rejoignent la boîte après le lancement peuvent aussi devenir, d’une certaine façon, des ” fondateurs “…

“Pourquoi préfère-t-on des fondateurs-CEO”

Si beaucoup estiment souhaitable qu’un fondateur passe la barre de sa start-up une fois que cette dernière trouve son marché et commence à grandir, tous ne s’inscrivent pas dans cette vision. Ben Horowitz, entrepreneur américain à succès et gros investisseur dans la tech avec son compère Marc Andreessen, pense l’inverse. Dans un célèbre blog de 2010 intitulé Why We Prefer Founding CEO’s, il explique son choix d’investir, de préférence, dans des start-up toujours dirigées par leur fondateur. Outre l’impressionnante série d’entreprises tech à succès dirigées par leurs emblématiques créateurs (Amazon, Dell, Oracle, Salesforce, etc.), il met en avant trois grandes forces du fondateur-CEO. D’abord, en tant qu’entrepreneur, sa connaissance globale et complète du business, du marché, de ses équipes et de la technologie. Ensuite, son autorité morale en tant que fondateur et ” père ” du projet. Enfin, son dévouement complet sur le long terme pour emmener la start-up vers le succès. ” La start-up est le boulot de leur vie, écrit Ben Horowitz. Leur engagement émotionnel dépasse leurs actions dans la boîte. Leur but, dès le départ, consiste à créer quelque chose de significatif. Les CEO professionnels, à l’inverse, sont souvent guidés par des buts à court terme. Ils sont payés en stock options, bonus trimestriels et annuels. ”

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