Les 5 coups de génie de WeChat dont il faut s’inspirer

En Chine, on peut commander un taxi avec WeChat et le payer avec WeChat Pay. © Getty Images

Mastodonte dont les activités sont relativement méconnues en Europe, l’application WeChat, véritable couteau suisse, fondée par le conglomérat chinois Tencent, est devenue une source d’inspiration pour de nombreux entrepreneurs.

Avec une valorisation de 130 milliards de dollars, la marque chinoise Tencent occupe désormais la huitième place du classement mondial des marques publié la semaine passée par le cabinet Kantar. Juste derrière les Gafa, Microsoft ou Visa. Mais devant McDonald’s, Coca-Cola ou Disney. Une sacrée position pour un acteur que peu d’Européens connaissent réellement. Au mieux, le connaissent-ils comme le ” T ” de l’acronyme BATX, pour Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi, les mastodontes de la tech chinoise.

L’indicateur clé de performance, pour WeChat, n’est pas le temps passé par les utilisateurs sur son appli, mais le nombre de problèmes qu’elle leur permet de résoudre. ” – Jean-Christophe Liaubet (Fabernovel)

Tencent est en effet l’un de ces conglomérats du Web actif dans des domaines aussi variés que la musique en streaming, le paiement, l’e-commerce, la voiture connectée, etc. Il possède WeChat, dont les audiences et les statistiques n’ont rien à envier aux géants du Net américains : plus d’un milliard de personnes l’utilisent, ce qui en fait la cinquième plateforme la plus populaire au monde, derrière Facebook, YouTube, WhatsApp et Messenger. En Chine, il est d’ailleurs presque impossible de trouver des détenteurs de smartphones qui n’auraient pas WeChat. D’après l’étude The shape of the connected China, menée par Fabernovel, l’application dispose d’un taux de pénétration de 92% en Chine. A titre de comparaison, Facebook n’aurait qu’une pénétration de 63% aux Etats-Unis. Voici donc les cinq coups de génie qui ont fait de WeChat un succès phénoménal.

1. Se concurrencer soi-même

Pour bien comprendre le phénomène WeChat, il faut remonter à son origine, en 2011. A l’époque, le groupe Tencent rencontre déjà un énorme succès en Chine. QQ, sa messagerie instantanée pour desktop compte pas moins de 650 millions d’utilisateurs. Sa valorisation le place en troisième position des entreprises web les plus puissantes, derrière Google et Amazon ! Pourtant, alors que rien ne l’y obligeait, Tencent n’a pas peur de prendre un risque colossal pour se lancer sur le marché du smartphone : lancer une messagerie d’un nouveau genre (inspirée par le succès de la messagerie KIK au Canada) qui aurait bien pu… détruire tout le business de QQ.

Pour dénicher les bonnes idées, Tencent a mis au défi ses équipes. Mais dans un premier temps, le succès n’est pas au rendez-vous… et Tencent comprend très vite qu’il faudra proposer plus qu’un tchat. L’entreprise y ajoute donc les messages vocaux, la vidéo et la photo. WeChat devient alors un succès phénoménal : le cap des 100 millions d’utilisateurs est atteint après 433 jours seulement… alors qu’il en a fallu 1.650 pour Facebook ! La firme joue donc la carte de l’innovation avant qu’un pure player ne se lance sur le créneau et ne cannibalise ses activités. Autre exemple bien connu : Apple, au lancement de l’iPhone qui allait court-circuiter le marché de sa vache à lait de l’époque, l’iPod. Le succès de l’iPhone n’est plus à démontrer.

Les 5 coups de génie de WeChat dont il faut s'inspirer
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2. S’inspirer de ses propres problèmes

Comme dans toute entreprise, la tradition des ” enveloppes rouges “, contenant les étrennes que les Chinois s’offrent aux grandes occasions, était de mise chez Tencent WeChat. ” Mais au fur et à mesure que les équipes grandissaient, note Anu Hariharan, partenaire du célèbre Y Combinator, la pratique devenait fastidieuse pour les managers contraints d’offrir de nombreuses enveloppes rouges. Du coup, ils ont demandé une solution technique pour résoudre ce problème. ” Sans penser que cela deviendrait un prototype pour une fonction populaire de WeChat, les WeChat Red Packets.

En trois semaines, une vingtaine de développeurs ont créé ce service, l’ont testé en interne et auprès de leur réseau proche. Lancée en 2014, lors du Nouvel An chinois, la fonctionnalité est rapidement devenue une ” buzz “. Le premier jour, 5 millions d’utilisateurs avaient essayé Red Packet.

Le coup de génie, en plus de partir d’un besoin interne de ses équipes, a été d’utiliser le mobile et sa place prépondérante dans le quotidien des Chinois pour convertir en numérique des traditions ancestrales et capter de nouveaux usages, très populaires. Lors de la saison du Nouvel An chinois en 2015, 1 milliard de Red Packets ont été échangés. Et le service constitue aujourd’hui l’un des usages les plus populaires du système de paiement de WeChat : WeChat Pay.

3. Jouer sur le sentiment d’appartenance à un groupe

Dès la création de son application, WeChat n’a pas seulement pensé aux utilisateurs comme des individus isolés, mais comme des ” animaux sociaux “. Et tout a été minutieusement construit, dans WeChat, pour renforcer cet effet de groupe. L’idée était simple : veiller à ce que le taux d’adoption augmente au fur et à mesure que d’autres personnes utilisent la fonctionnalité. Autrement dit, plus la plateforme compte d’utilisateurs, plus les autres ont tendance à l’utiliser. Un levier classique dans les réseaux sociaux… ” Le comportement d’un utilisateur individuel peut être très différent de celui d’un groupe, fait remarquer Anu Hariharan. Pour identifier ces opportunités d’effet de groupe, WeChat a observé de près comment les utilisateurs se comportaient entre groupes d’amis et d’étrangers dans la vie quotidienne. ”

Le fondateur de WeChat, Allen Zhang, a directement insisté pour que les fonctionnalités de sa plateforme soient construites en tenant compte de cette réalité en vue d’augmenter l’effet de groupe. Pour cela, l’entreprise chinoise ne s’est pas contentée d’études ou d’enquêtes. Elle s’est basée sur la pratique. Le premier exemple fut la fonctionnalité People Nearby, permettant de localiser les personnes autour des utilisateurs et aiguisant la curiosité des utilisateurs désirant interagir. ” De quoi renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté WeChat “, selon la responsable du Y Combinator. Ce fut un énorme succès qui a permis l’adhésion quotidienne de 100.000 utilisateurs.

4. Supprimer toutes les frictions

Très tôt, Tencent entrevoit que le mobile ne sera pas seulement un nouveau canal de diffusion sur le Web mais bien un tout nouveau style de vie et que le smartphone deviendra une extension permanente des consommateurs, un genre de troisième bras, une sorte de télécommande de la vie. Du coup, l’utilisateur devient une véritable obsession pour la firme WeChat. ” Une théorie importante pour le groupe chinois, observe Jean-Christophe Liaubet, partner chez Fabernovel, consiste à ne plus penser en termes de marché mais bien d’utilisateurs. Tout doit être fait pour les satisfaire. ” Si beaucoup d’entreprises affichent aussi le credo du customer-centric, ” WeChat est l’entreprise qui l’a menée le plus loin possible “, précise Jean-Christophe Liaubet. ” Dans la pratique, toutes les fonctionnalités intéressantes du téléphone mobile sont exploitées correctement. ”

Appareil photo, GPS, accéléromètre, micro, podomètre… Tout doit servir. La fonctionnalité Shake (secouer l’appareil) combinée au Bluetooth permet d’obtenir des réductions dans des boutiques à proximité, l’appareil photo permet de prendre en photo des codes QR pour s’échanger des cartes de visites numériques ou effectuer des paiements. Une pratique courante puisque, désormais, 80 millions de codes QR seraient chaque jour scannés via Wechat.

En permettant la réalisation de centaines de tâches différentes dans son appli, WeChat a révolutionné l’expérience utilisateur en Chine en levant pas mal de frictions. Les Chinois ne devaient plus télécharger 36 autres applis et créer autant de comptes. Tout part de WeChat, devenu un couteau suisse proposant des milliers de ” mini-programmes “, hyper-simples d’utilisation. Résultat : l’adoption est maximale et, selon la firme elle-même, augmente sensiblement le taux de conversion des achats et les commandes en ligne (mais WeChat ne communique pas ses chiffres).

5. Minimiser le temps d’attention

A l’inverse d’acteurs comme Google et Facebook, WeChat ne tire pas l’essentiel de ses revenus de la publicité. Le groupe Tencent n’en tire que 18%. Au contraire, l’essentiel (65%) du chiffre d’affaires de l’application provient des nombreux services qu’elle propose à ses utilisateurs. Du coup, l’appli chinoise n’a pas pour objectif de garder ses utilisateurs le plus longtemps possible dans ses filets. D’ailleurs, elle limite volontairement à deux le nombre de publicités affichées chaque jour, contre une annonce publicitaire tous les 10 posts sur Facebook. ” Le créneau de WeChat consiste à offrir à ses utilisateurs un champ large d’activités en leur promettant d’être le plus efficace possible sans avoir à multiplier le nombre de clics, décrypte Jean-Christophe Liaubet. Le KPI principal (Key Performance Indicator, indicateur clé de performance, Ndlr) pour WeChat n’est pas le temps passé par les utilisateurs sur son appli, mais le nombre de problèmes qu’elle leur permet de résoudre. ”

WeChat accompagne les Chinois dans l’ensemble des activités de leur vie quotidienne. Les utilisateurs y réaliseraient en moyenne 11 tâches différentes chaque jour (shopping, réservation en ligne, etc.). A l’inverse de Mark Zuckerberg, le patron de WeChat refuse que les utilisateurs passent trop de temps sur une même fonctionnalité. S’ils restent trop longtemps sur leur fil d’actualité (Moments), par exemple, ils n’utilisent pas d’autres fonctionnalités plus lucratives…

Pour multiplier les interactions, WeChat noue des partenariats avec des services tiers et joue le rôle d’une plateforme de distribution de services… sur lesquels, évidemment, elle touche une commission. Voilà pourquoi la firme chinoise a noué des partenariats avec des centaines de services. Via WeChat, les utilisateurs peuvent réserver des tickets de train auprès des sociétés de chemin de fer locales, faire appel à un chauffeur au travers de Didi (le Uber chinois), faire du shopping en ligne via le géant chinois JD.com, emprunter un vélo partagé de Mobike, etc. Conscient de la nécessité de multiplier les fonctionnalités pour satisfaire ses utilisateurs, le groupe Tencent derrière WeChat a aussi multiplié les investissements dans des start-up dont les services sont proposés sur sa plateforme. Depuis 2012, elle a investi plus de 65 milliards de dollars dans pas moins de 350 entreprises.

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