L’assurance à l’heure des objets connectés

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Permettre à votre assureur de surveiller votre manière de conduire, votre mode de vie ou votre habitation. Cela paraissait impensable voici 10 ans. Mais l’essor des objets connectés change progressivement la donne. Pour les assureurs, la tendance dessine de nouvelles opportunités, mais modifie sérieusement leur métier.

En fin d’année passée, l’assureur NN, l’ex-pôle assurance du groupe ING, proposait un concours original aux internautes, clients ou non : gagner un Fitbit, ce bracelet connecté qui compte, chaque jour, le nombre de vos pas, les calories brûlées et les distances parcourues. Cinq cents heureux gagnants se sont vu offrir ce petit bracelet qui fut assorti d’un nouveau challenge. Pour remporter des inscriptions gratuites à une course à pied dont NN est partenaire, les gagnants sont invités à marcher, huit semaines durant, quelque 7.500 pas par jour. Pour contrôler la moyenne parcourue, l’assureur demande aux participants de lui donner accès aux données générées par le bracelet qu’ils ont gagné. Une plongée inédite pour un assureur belge dans le big data des objets connectés. Mais NN n’est pas le seul groupe d’assurances à s’engouffrer dans la brèche technologique ouverte par les objets connectés. Un peu partout dans le monde, les compagnies testent de nouveaux concepts ou lancent de nouveaux services.

Payer en fonction de sa conduite

L’assurance auto est sans conteste l’un des domaines où les avancées offertes par les objets connectés sont les plus sollicitées. Chez nos voisins français, Direct Assurance propose à ses assurés, via YouDrive, d’embarquer dans leur véhicule un boîtier connecté. Celui-ci analyse leur type de conduite (vitesse, accélérations, prise des virages, etc.). Chaque conducteur se voit attribuer un “score” de (bonne ?) conduite qui donne lieu à une adaptation de la prime d’assurance. Avec un score de 90 et plus, l’assuré voit sa prime baisser de 40 %, tandis qu’avec un score inférieur à 50, il paiera 10 % de plus ! “Aujourd’hui, le niveau de risque et donc les prix des polices sont calculés par des actuaires sur base de profils clients homogènes (lieu d’habitation, tranche d’âge, etc.), analyse Simon Castex, associé chez Productize, agence spécialisée dans l’Internet des objets. Le calcul est donc basé sur des données historiques. Pour se différencier, de plus en plus de compagnies pourront même introduire un tarif dynamique dépendant du comportement spécifique du client, ce qui se fait déjà aux Etats-Unis ou en France avec YouDrive.”

L'assurance à l'heure des objets connectés
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En Belgique, Axa propose l’application Axa Drive sur smartphone. Celle-ci fournit aussi un score de conduite à ses utilisateurs. Sans impact sur le prix de l’assurance auto pour le moment. Ce test intéresse visiblement le public puisque l’appli a été téléchargée 65.000 fois. “La philosophie qui sous-tend les systèmes de connexion de la voiture consiste à mieux mesurer le risque, décrypte Gunter Uytterhoeven, chief marketing officer d’Axa Belgium. C’est très utile, car jusqu’à présent les statistiques classiques d’un assureur ne permettent pas une mesure aussi précise. Avec des détecteurs connectés, nous remontons l’information pour chaque conducteur. Pour l’instant, l’initiative n’a pas d’objectif commercial en Belgique car il s’agit encore d’un test. Mais cela permet d’ores et déjà de réaliser de la prévention auprès des conducteurs.” La prévention est clairement l’un des objectifs visés par les assureurs qui ont recours aux objets connectés. “L’idée est d’anticiper autant que possible, analyse Frédéric Valluet, directeur des solutions assurance chez MarkLogic, firme de logiciels américaine. Afin de prédire, voire éviter un sinistre.”

De l’indemnisation à la prévention

Cela s’applique dans bien des cas, notamment dans le cadre d’une assurance habitation. “Dans la maison, les détecteurs d’incendie connectés ou des capteurs de fuite d’eau peuvent eux aussi contribuer à réduire la gravité de certains sinistres, avance Quinten Fraai, CEO de NN Belgium. Par exemple en permettant d’avertir les services de secours ou les réparateurs avant qu’il ne soit vraiment trop tard.” C’est ainsi que certains assureurs lancent des actions sur ce créneau. Chez nous, Axa a réalisé une opération avec Nest (Google) pour offrir des détecteurs d’incendie connectés aux personnes ayant un contrat d’assurance habitation chez Axa. “Pour l’instant, nous ne collectons pas les données de ces appareils”, précise Gunter Uytterhoeven. Mais la maison mère d’Axa, dans l’Hexagone, propose, elle, depuis le mois d’octobre passé, son service “Maison connectée”. Concrètement, il s’agit d’un véritable hub connecté pour les particuliers qui veulent surveiller leur habitation : caméra de surveillance, capteurs d’intrusion, lumières connectées, détecteurs d’eau ou de fumée. Le rôle d’Axa ? Proposer des services — payants — à la carte pour une durée au choix (week-end, semaine, mois, année) : envoi d’un agent de sécurité, prise en charge des réparations, etc. “Grâce à l’Internet des objets, les assureurs vont passer d’une logique d’indemnisation à une logique de prévention. Ils pourront optimiser la gestion des risques voire réduire les coûts grâce à une intervention plus rapide et plus efficace des services d’assistance”, note Simon Castex de Productize. A l’avenir, ils pourraient même aller encore plus loin. “La première étape est bien d’avertir l’assuré que quelque chose arrive dans sa maison, mais la seconde étape sera d’agir directement, prédit l’expert Frédéric Valluet. Imaginons que l’on détecte une fenêtre restée ouverte, la domotique en plein développement actuellement permettra à l’avenir de la fermer à distance pour éviter le sinistre.”

Baisser le coût de recrutement

On le voit, l’assurance connectée crée un nouveau niveau de la relation avec le client. “Notre rôle va évoluer progressivement, confirme Gunter Uytterhoeven. Jusqu’à présent, l’assureur indemnise un dégât et se trouve dans une position d’attente qu’un événement se produise. Mais de plus en plus, nous aurons un rôle de coaching et la valeur de la compagnie d’assurances sera de réduire le risque pour le client. Cela, bien sûr, au travers de la prévention, mais aussi en détectant plus rapidement un risque ou un incident pour en limiter les dégâts.” Imaginons, en effet, qu’une maison munie de détecteurs d’incendie connectés alerte l’assurance du départ de l’incendie et que celui-ci prévienne les services de secours plus rapidement : cela peut diminuer les dégâts… et donc les coûts pour l’assureur.

Un raisonnement qui tient également la route dans le domaine de la santé. “Chacun sait qu’une activité physique régulière est bénéfique pour la santé, insiste le CEO de NN Belgium. Voilà pourquoi les gagnants de notre concours qui le souhaitent peuvent s’inscrire à un challenge. En effectuant en moyenne 7.500 pas par jour pendant huit semaines, ce qui demande généralement un léger effort mais qui n’est pas inaccessible, chacun des participants remportera deux inscriptions à une course à pied des NN Urban Trail Series en 2016. Et selon les spécialistes, une fois que l’on attrape le virus de la course à pied, les bienfaits sont plus que sensibles.” A l’heure où les balances, les tensiomètres, etc. se connectent au Web, certains pourraient imaginer des services à valeur ajoutée (ou des incitants suffisamment forts) qui pousseront le consommateur à dépasser sa crainte actuelle d’être “fliqué” par son assureur et de l’accepter comme coach dans le cadre d’une relation de prévention. Tout bénéfice pour les compagnies d’assurance qui, aujourd’hui, sont souvent vues “comme un mal nécessaire qui se traduit par le paiement d’une prime”, note Frédéric Valluet. “Un assureur n’a pas ou peu de contacts avec ses assurés. Il entre en relation avec ceux-ci au moment de la souscription du contrat, de son renouvellement ou à l’occasion d’une indemnisation en cas de sinistre. Grâce à l’Internet des objets, les assureurs ont l’opportunité d’engager une relation plus positive et plus régulière.” Idéal pour diminuer le coût de recrutement de nouveaux clients qui se chiffre entre 50 et 500 euros, selon Frédéric Valluet.

Primes personnalisées ?

Pour l’instant, les assureurs se montrent prudents en Belgique et en Europe. Le plus souvent, leurs actions liées aux objets connectés portent essentiellement sur des opérations marketing ou des services gratuits de prévention. Et cela ne concerne encore que quelques centaines, voire quelques milliers d’assurés. Tant NN Belgium qu’Axa soulignent ne pas (encore) utiliser les données de ces objets connectés à des fins commerciales ou d’analyse. Mais ces données que génèrent ces objets connectés sont capitales : “L’une des grandes opportunités offertes aux assureurs par les objets connectés est de mieux connaître les comportements et les habitudes de leurs clients en collectant une immense quantité de données”, souligne le cabinet français de conseils Solucom dans une de ses études sur le secteur. “Mais surtout, ils en facilitent l’exploitation grâce à des capteurs dédiés qui enregistrent des informations spécifiques, ajoute-t-il. Les assureurs pourraient donc segmenter plus finement leurs portefeuilles et donc proposer des offres commerciales mieux ciblées.” Est-ce à dire que le sacro-saint principe de la mutualisation des risques pourrait voler en éclats au profit d’une individualisation des primes ? “C’est déjà parfois le cas, répond Frédéric Valluet. Regardez le cas de YouDrive en France. Mais ce ne sera sans doute pas la norme. On verra sans doute une nouvelle segmentation des marchés : on peut imaginer des produits d’assurance moins globaux mais adaptés à des profils plus spécifiques réalisés sur la base des nouvelles données collectées. Cela permet une prise en compte des comportements individuels dans une tarification collective. Avec, dans un monde idéal, une diminution globale des primes.” Reste une question capitale : celle des “mauvais risques”. Que se passera-t-il pour ceux qui ne sont pas jeunes, prudents et en bonne santé ? Un enjeu éthique dont les assureurs devront tenir compte…

Mais cette évolution vers l’assurance totalement connectée ne se fera évidemment pas en quelques mois. Il faudra du temps. Tout d’abord, parce que la pratique se heurte aux questions de l’utilisation des données privées. Beaucoup d’assurés se montreront réticents. Par ailleurs, des questions règlementaires se poseront inévitablement. Quels sont les droits des assureurs par rapport à la collecte, l’analyse et le stockage de ces données privées ? Et ont-ils le droit de tarifer leurs primes en fonction des données que leur fournissent les objets connectés ? Pour Frédéric Valluet, “il y aura forcément un retard législatif sur ces questions et de fortes différences géographiques. Il faudra, dans un premier temps, que le secteur établisse des chartes de bon usage en attendant une clarification législative”. Autre obstacle à dépasser : les systèmes informatiques des assureurs. “La capture et le traitement d’une masse importante de données n’est pas simple, note l’expert de MarkLogic. Cela nécessite le plus souvent des adaptations importantes de l’infrastructure. Et tous les assureurs ne sont pas à la pointe à ce niveau.” Ce qui pourrait permettre à certaines start-up de s’engouffrer sur ce créneau. Ainsi, la jeune firme new-yorkaise Oscar, très orientée sur la technologie, commence (doucement) à bouleverser le secteur des soins de santé et de l’assurance santé. La société assure la gratuité des visites de contrôle chez un médecin et de certains médicaments, et adopte également la technologie des objets connectés pour maintenir ses assurés en bonne santé (montres, etc). Cela séduit : non seulement, la start-up compte déjà 75.000 clients dans les deux Etats américains où elle est active. Mais en plus, elle a rejoint le club fermé des start-up valorisées à plus d’1 milliard de dollars (à deux ans, elle vaut 1,75 milliard de dollars !) grâce à des investisseurs de taille (comme Google, Goldman Sachs, etc.). Un nouvel argument pour motiver les dinosaures de l’assurance à s’intéresser de très près à l’Internet des objets…

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