Comment le numérique aide les ONG à récolter des dons

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Les temps changent aussi pour les appels aux dons en ces temps confinés. Blockchain, intelligence artificielle et taux de conversion sont mis à profit pour optimiser le ciblage. De nouveaux espaces de visibilité se créent, jusqu’à… Twitch.

Nul n’échappe à la transformation digitale, pas même le milieu caritatif où s’impose désormais une nouvelle exigence de professionnalisation, laquelle passe par des outils permettant d’optimiser la traçabilité, la récolte de données et le reporting, et cela à l’image du reste de l’économie digitale.

Depuis mars, les ONG – mises à rude épreuve par le Covid-19 – rivalisent de techniques pour favoriser l’appel aux dons. Pour épauler leurs efforts, les organisations peuvent compter sur une nouvelle garde de start-up et autres responsables marketing, bien décidés à exploiter le potentiel du numérique pour favoriser le recrutement de nouveaux donateurs.

Optimisation du taux de clics

L’un des enjeux du moment consiste à simplifier le processus même du don sur un site web, une problématique bien plus complexe qu’on le pense avec la multiplication des écrans de taille différente (ordinateur, tablette, smartphone).

Simon-Pierre Breuls, CEO d’Universem, a accompagné la Croix-Rouge dans un long processus d’analyse visant à comprendre le comportement des visiteurs du site web face à la page de donation. La section dédiée n’atteignait pas les objectifs fixés : abandon, blocages. ” On a fait des tests A/B avec des outils analytiques poussés, explique-t-il ( les tests A/B comparent plusieurs versions de la même page web afin d’en mesurer l’efficacité, Ndlr). Ce long travail a permis de comprendre, par exemple, qu’un ancien pop-up rendait le processus de don complexe. Nous avons dû le simplifier, en avançant une hypothèse à la fois. ”

L’un des enjeux du moment consiste à simplifier le processus-même du don sur un site web.

Résultat de ce travail ? Aujourd’hui, en pleine pandémie, l’appel au don se fait depuis un bouton plus clairement identifié qui mène à une page simplifiée de trois colonnes, parfaitement adaptée à chaque écran (ordinateur, téléphone, tablette) : le montant du don, les coordonnées et le paiement. Pour arriver à ce résultat, il a fallu faire usage de techniques digitales pour optimiser le taux de conversion aux dons (de sang ou d’argent).

La technique utilisée par Universem a pour nom CRO ( conversion rate optimization), un processus qui consiste à créer, pour les visiteurs d’un site web ou d’une application, une expérience de nature à les transformer en clients. ” Dans le cas de la Croix-Rouge de Belgique, on parlera évidemment de donateurs, explique Simon-Pierre Breuls. Tout cela est très technique, évidemment, mais ce n’est pas très différent d’une boutique dont des éléments sont modifiés à la vitrine. C’est en modifiant les éléments les uns après les autres que l’on parvient à trouver la méthode adaptée pour relancer les ventes. Nos tests A/B nous ont permis d’atteindre des résultats tangibles, avec un taux de conversion 43 % supérieur à ce qu’il était avant la refonte. ”

Albert Derasse (D-AIM):
Albert Derasse (D-AIM): “Rajeunir la cible est une évidence.”© PG

La méthode mise en place offre d’ailleurs des résultats impressionnants en pleine crise de Covid-19 : ” Sans entrer dans le détail, on peut dire que si le trafic a légèrement augmenté depuis le début de la campagne Urgence Covid (un peu plus de 10 %), c’est le taux de conversion en dons qui est spectaculaire, précise Simon-Pierre Breuls. On est ici à plus de 70 % “.

Rajeunir les donateurs

A côté des efforts que peuvent mettre en place les organisations pour améliorer leur taux de conversion, d’autres misent sur le rajeunissement de leur cible de donateurs. Cela peut se faire de différentes manières. En février 2019, Memisa (coopération au développement) était la première ONG à accepter les dons en cryptomonnaies comme le bitcoin, en collaboration avec la plateforme belge Bit4You. De son côté, la branche belge de Médecins Sans Frontières (MSF) noue depuis deux ans des partenariats de visibilité originaux, notamment dans le domaine de l’e-sport.

Voilà deux ans que Thibault Dujardin- Bazier, digital unit team leader chez MSF Belgium, organise des événements réunissant des personnalités du jeu vidéo durant des tournois dont les profits sont reversés à l’association. En 2019, pas moins de 89.000 euros ont été récoltés durant un événement réunissant 14 streamers durant 75 heures, grâce aux services de dons intégrés à la plateforme de streaming de jeux vidéo Twitch.

La crise actuelle est une nouvelle mise en pratique de cette technique : les plateformes de streaming sont le canal que l’association a choisi d’occuper de manière ludique pour récolter des dons pour la lutte contre le coronavirus, dans le domaine de l’e-sport, mais aussi à l’occasion d’un tournoi d’échecs en ligne. Là non plus, rien de neuf sous le soleil, mais une déclinaison mise en place immédiatement à partir d’une technique rodée.

L’édition 2020 a malheureusement tourné court. ” Nous avons réuni 40 joueurs dans une salle durant 75 heures également, mais nous avons dû arrêter au bout de 30 heures à cause de l’interdiction de rassemblement imposée par le gouvernement “, déplore Thibault Dujardin-Bazier. Satisfecit : l’avortement imposé par les autorités a permis de récolter rien moins que 120.000 euros et a donné des idées à MSF. L’antenne belge s’est ainsi rapprochée de ses homologues français, suisses et espagnols pour réunir la crème des gamers locaux durant une compétition – toujours en cours – et dont l’objectif est fixé 2 millions d’euros pour la lutte contre la pandémie.

Une occasion unique de toucher un public plus jeune, particulièrement sensible aux ténors du domaine de l’e-sport. ” Rajeunir la cible est une évidence “, commente Albert Derasse, directeur de la filiale belge de D-AIM, une entreprise qui conseille des directions marketing à l’aide de solutions basées sur l’intelligence artificielle. ” Les experts en récolte de dons sont unanimes, il faut faire venir au don les plus jeunes, mais en gardant à l’esprit qu’on donne en général plus tard dans la vie. Les réseaux sociaux offrent, certes, visibilité et viralité mais aussi deux désavantages de poids : d’une part, ce sont souvent des micro-dons, de l’autre, l’ONG n’a aucune vue sur le profil des donateurs. ”

Si Thibault Dujardin-Bazier confirme que le portrait-robot du donneur est flou, en raison principalement de la réglementation RGPD, l’objectif recherché ici est très différent : ” Les joueurs et les DJ réunissent des communautés immenses sur Twitch ou YouTube, qui dépassent très largement l’audience des médias traditionnels, indique Albert Derasse. Nous avons d’autres cibles également, qui sont très porteuses, notamment les DJ qui se filment ou encore des joueurs d’échecs en ligne sur Twitch. Le potentiel est énorme “.

Mi-avril, MSF Belgium lançait une opération de visibilité avec Kiosk Radio à Bruxelles : ” Une semaine entière de mix a été dédiée à MSF Belgium dans la campagne que nous lançons dans le cadre de la crise du Covid-19, commente encore l’expert. Nous touchons ainsi, notamment via Facebook, des donateurs potentiels qui ne sont généralement pas présents sur les grands médias. Certes, nous ne récoltons pas des données de ciblage précises, mais notre visibilité est magnifiée. Et il ne faut pas s’y méprendre, ce ne sont pas les post-adolescents que nous touchons ainsi mais des adultes allant de 20 à… 47 ans “.

L’incertitude qui plane autour de la durée du déconfinement donne de nouvelles idées au responsable de l’unité digitale : ” Là, mon prochain objectif, c’est Tomorrowland, indique Albert Derasse. Il est impossible de dire où nous en serons à ce moment-là, mais nous inscrire dans une diffusion en ligne des performances de DJ, c’est une opportunité unique pour nous ” ( entre-temps, les festivals de l’été, dont Tomorrowland, ont été annulés, Ndlr).

Le numérique au secours des échanges papier

Si Twitch et Facebook renvoient une image plus moderne des associations caritatives, le secteur reste encore très largement attaché à ses pratiques anciennes. Les ONG communiquent peu sur les grands médias publicitaires de masse mais disposent d’un lien direct et solide avec les donateurs grâce à des rendez-vous annuels (anniversaire, expédition de l’attestation fiscale) plus propices à susciter l’envie d’effectuer un nouveau don. Aussi curieux que cela puisse paraître, en 2020, la plupart des appels aux dons sont toujours lancés par courrier : ” Maîtriser les coûts est donc une obligation dans un domaine où chaque euro compte “, explique Albert Derasse.

Le secteur caritatif jouit d’une véritable culture historique du marketing direct mais il est désormais épaulé par l’exploitation des mégadonnées. Une génération numérique vient au secours de l’analogique : ” Aujourd’hui, pour les fréquenter régulièrement, je peux vous affirmer que ce sont des très bons direct marketeers qui sont aux commandes, précise le responsable de D-AIM. Ils viennent très souvent du secteur privé – la banque, les télécommunications, la grande distribution – dont ils appliquent des méthodes déjà éprouvées. Ils ont déjà touché aux sujets de l’intelligence artificielle, les maîtrisent et connaissent la puissance des algorithmes dans le domaine du marketing “.

Les appels aux dons lancés depuis le début de la pandémie font appel à des techniques éprouvées : celles des algorithmes prédictifs.

L’analyse des données permet de livrer un score qui traduit la probabilité qu’un don survienne au niveau individuel : ” Ce score, ils l’utilisent pour affiner le ciblage et diminuer les risques de perte d’abonnés (ce qu’on appelle typiquement le churn), poursuit Albert Derasse. Pour cela, ils vont, par exemple, ne cibler que les seuls profils qui sont susceptibles de répondre à une sollicitation donnée, sur base des analyses. On parlerait d’ upselling dans le domaine purement commercial, on pourrait ici parler d’ upfunding “.

Simon-Pierre Breuls (Universem):
Simon-Pierre Breuls (Universem): “C’est en modifiant les éléments les uns après les autres que l’on parvient à trouver la méthode adaptée pour relancer les ventes.”© PG

L’intérêt de placer l’intelligence artificielle au coeur d’un processus ? ” Dans le cas d’une ONG, l’événement à prévoir est double. D’une part, augmenter le volume des dons. De l’autre, pousser un maximum de donateurs à devenir réguliers, car c’est bien cela l’enjeu. ”

La question qui préoccupe encore fortement les décideurs des ONG est la suivante : comment toucher de potentiels nouveaux donateurs, si possible réguliers ? Les appels aux dons lancés depuis le début de la pandémie font appel à des techniques éprouvées : celles des algorithmes prédictifs. Ceux-ci permettent, par exemple, de déterminer la probabilité avec laquelle une personne est susceptible d’effectuer un don grâce à un score. Ne seront ciblés que les donateurs susceptibles de répondre favorablement à une sollicitation.

Mêmes recettes, seule la finalité change… La rupture tient dans les moyens d’approche dans le processus de recrutement : ” D’où une volonté encore plus forte d’effectuer des analyses fouillées pour optimiser le résultat des campagnes, indique Albert Derasse. L’IA répond parfaitement à cela, car avec du scoring, on colle des timbres sur les bonnes enveloppes. ” Le sujet passionne notre interlocuteur : ” Les ONG ne sont qu’une petite partie de nos clients, mais c’est un domaine où nous pouvons déployer des techniques redoutables d’efficacité. Une partie du livre que je vais publier en septembre aux éditions liégeoises Edipro leur est entièrement consacrée “.

Par Cédric Godart.

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