Comment le nain Xpenditure s’est greffé au géant Sodexo
Deux ans après son rachat par le mastodonte Sodexo, que reste-t-il de la start-up belge spécialisée dans le traitement automatisé des notes de frais ? Le patron de la “corp-up” explique le délicat processus d’intégration d’une start-up locale dans une multinationale.
Des canapés, un babyfoot, un open space et des photos de la dernière fête négligemment accrochées au mur. Quand on débarque à Malines dans les locaux de Rydoo, on plonge directement dans le cliché classique de la start-up sympa, potache et survoltée. Et pourtant, les 80 collaborateurs de la jeune pousse, anciennement connue sous le nom d’Xpenditure, ne travaillent plus pour une start-up. Ils font désormais partie d’un groupe international tentaculaire.
En mars 2017, le géant français de la restauration Sodexo a fait main basse sur deux start-up : la belge Xpenditure, spécialisée dans le traitement automatisé des notes de frais professionnels, et la française iAlbatros, focalisée sur la gestion des voyages d’affaires. Ces deux start-up ont fusionné en 2018 sous la marque Rydoo. Celle-ci est une filiale à 100 % de Sodexo, un mastodonte qui pèse 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 460.000 personnes dans le monde !
Opportunisme et humilité
Le groupe français a racheté ces start-up de manière opportuniste. ” C’est plus rapide de reprendre une application existante que d’en développer une nouvelle “, reconnaît le CEO de Rydoo, Sébastien Marchon. N’est-ce pas aussi une sorte de constat d’échec, une façon de reconnaître que Sodexo ne dispose pas des compétences nécessaires en interne pour évoluer vers ce nouveau business ? ” Chez Sodexo, nous avons la culture de l’humilité. Nous savons ce que nous sommes capables de faire et ce qui nous échappe. En misant sur le savoir-faire de ces start-up, nous avons réussi à nous diversifier très rapidement “, pointe le CEO. Pour les start-up, l’avantage est double. Tout d’abord, accéder à une nouvelle source de financement, grâce au soutien d’un grand groupe aux fondamentaux solides. Et ensuite, accéder rapidement à des clients qui font plus facilement confiance aux marques établies comme Sodexo qu’aux jeunes pousses innovantes.
Sodexo a fait le choix de laisser une forte autonomie à sa filiale.
Rydoo est un fétu de paille au sein de la multi- nationale française. Mais son activité est en forte croissance. Ce jeune département de l’entreprise a pour objectif de développer une nouvelle source de revenus pour Sodexo. Avec une ambition assumée : ” Quand le groupe se lance dans une nouvelle activité, c’est pour devenir leader mondial. D’ici 2022, nous voulons être un acteur incontournable du voyage d’affaires et des frais professionnels “, pose Sébastien Marchon. Cet ancien responsable des voyages d’affaires chez American Express a intégré Sodexo en 2015. Le groupe français l’a propulsé à la tête de Rydoo avec pour mission de piloter et intégrer cette corp-up, un concept représentant le mariage d’une grande entreprise ( corporate) et d’une start-up.
Ce type de rapprochement entre deux cultures d’entreprise très différentes n’est pas évident à mettre en place. Mais Sébastien Marchon pense être sur la bonne voie . “Quatre-vingt pour cent des corp-up échouent, estime le CEO. Ici, la greffe a pris. Il faut dire que nous sommes bien aidés par notre croissance à deux chiffres.” Sodexo est en quête de rentabilité sur cette activité, mais la progression de Rydoo stimule les équipes, selon le CEO, qui insiste sur leur stabilité : ” Sur les 150 personnes du début, moins de 20 ont quitté l’entreprise “.
Préserver la culture start-up
Sodexo a fait le choix de laisser une forte autonomie à sa filiale afin de lui permettre de continuer sur la lancée. Les équipes sont restées à Malines pour Xpenditure, en France et en Pologne pour iAlbatros. Elles sont toujours aussi jeunes qu’au départ : 28 ans de moyenne d’âge. Les dirigeants de chaque start-up d’origine ont également continué l’aventure et intégré le comité de direction de Rydoo. Le CEO, qui a pourtant fait toute sa carrière dans de grands groupes très structurés, cherche à préserver la ” culture start-up ” qui régnait chez Xpenditure et iAlbatros : ” La première fois que j’ai vu mes collaborateurs jouer à la PlayStation, j’étais un peu surpris, confie Sébastien Marchon. Mais j’ai aussi constaté que les gens étaient extrêmement motivés et attachés au projet. Quand on a lancé la marque Rydoo, certains employés sont restés au bureau toute la nuit et se sont contentés d’une heure de sommeil. C’est un investissement qu’on voit très rarement dans les grands groupes. ”
Si les activités de Rydoo représentent un vrai relais de croissance pour Sodexo, Sébastien Marchon estime qu’elles sont aussi à la source de retours d’expérience utiles au groupe. ” Je n’ai jamais autant appris qu’au contact de ces start-up “, souligne le CEO. Le patron évoque une nouvelle manière de fonctionner, beaucoup plus directe, qui le pousse à organiser le travail différemment. Il plébiscite désormais une organisation en petites équipes agiles – les squads – qui planchent sur un projet spécifique de manière très autonome. Et il défend un management plus horizontal : ” Je ne prends pas les décisions tout seul. Je m’appuie sur les fondateurs, qui ont fait une chose que je n’ai jamais faite : créer une boîte. ”
Rydoo, la marque issue de la fusion des start-up Xpenditure et iAlbatros, est passée de 150 à 300 employés depuis son intégration dans Sodexo.
Elle compte 6.500 sociétés clientes et 550.000 utilisateurs finaux dans 63 pays.
Son chiffre d’affaires atteint plusieurs dizaines de millions d’euros et a progressé de 60% en un an.
Vincent Molly est professeur à la KULeuven et à l’Antwerp Management School. Il vient de publier avec PwC le premier baromètre belge du corporate venturing. Selon cette étude, le phénomène de la corp-up (coopération entre une start-up et un grand groupe) progresse en Belgique : si 20 % des PME et grandes entreprises ont travaillé avec une start-up au cours des trois dernières années, elles sont 25 % à le faire en 2019.
TRENDS-TENDANCES. Qu’est ce qui explique le succès des corp-up ?
VINCENT MOLLY. Ce phénomène est apparu dans les années 1960, essentiellement pour des raisons financières. Les grands groupes ont voulu faire comme les fonds de venture capital qui gagnaient beaucoup d’argent en investissement dans de jeunes entreprises. Dans les années 2000, ces raisons financières se sont doublées de motifs stratégiques : les grandes entreprises se sont rendu compte que les start-up pouvaient leur apporter de la valeur ajoutée. Ces dernières années, l’innovation joue un rôle de plus en plus important dans la multiplication des corp-up : pour rester compétitives, les entreprises doivent rester à la pointe dans leur business et se tournent dès lors vers les start-up créatives. Pour un grand groupe, la coopération stratégique avec une start-up permet aussi d’améliorer son image de marque et d’attirer de nouveaux talents.
Quel est l’intérêt pour une start-up d’intégrer un grand groupe ?
L’avantage principal est l’accès au marché. Par exemple, la start-up Playlane, qui commercialise des jeux numériques pour enfants, cherchait à conclure un partenariat avec Disney. Pour y parvenir, elle s’est fait racheter par Cartamundi, qui travaillait déjà avec le géant américain. Des raisons financières peuvent aussi jouer : la grande entreprise joue alors le rôle d’un fonds d’investissement.
La greffe prend-elle toujours ?
Non. Ce n’est pas facile de marier une petite structure agile avec un grand groupe très structuré. Pour la grande entreprise, il est important de bien sélectionner la start-up, mais aussi de lui laisser une certaine autonomie. Il ne faut pas l’intégrer totalement, cela risque de tuer la capacité d’innovation et l’esprit d’entreprendre qui font le succès des start-up.
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