Portés par la hausse du trafic internet en période de confinement, médecins, infirmières et autres professionnels de la santé ont été propulsés stars du Web. Pour le meilleur et parfois le pire.
Un cocktail explosif. ” Le confinement a créé un boom de fréquentation des réseaux sociaux, de l’ordre de 23% “, épingle Maha Karim-Hosselet, cofondatrice de l’agence MKKM- Social Media Experts. Et alors que de nombreuses marques et entreprises ont imposé une diète à leur communication, médecins et scientifiques se sont, eux, retrouvés sous le feu des projecteurs. ” Des personnes méconnues auparavant ont été starifiées, comme par exemple Emmanuel André (médecin microbiologiste devenu un temps porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19, Ndlr) ou Marius Gilbert (épidémiologiste), adoptant diverses techniques pour accroître leur popularité en ligne. ”
Première source d’information pour les moins de 35 ans, Facebook et consorts sont en effet aussi devenus un réflexe pour bon nombre d’entre nous. ” Le citoyen n’attend plus l’heure du JT ou la sortie du journal, il a pris l’habitude d’aller à la source. Ou plus exactement à ses propres sources, celles à qui il accorde confiance. Et si la source porte une blouse blanche, c’est mieux “, estime Vincent Pittard, cofondateur de l’agence Réputation 365.
Raison garder
Par les temps qui courent et par la rapidité du phénomène, il y aurait pourtant lieu de craindre les effets secondaires nocifs de ces médias sociaux faiseurs d’experts. ” Le problème, c’est que dans cette crise, on navigue dans un océan d’incertitudes. Les études scientifiques se contredisent, les experts préconisent des pistes différentes et prêchent parfois pour leur chapelle. Le politique doit faire des choix et laisse le citoyen avec des peurs, des rancoeurs et des suspicions de manipulation. Tous les ingrédients pour faire pousser des théories du complot et relayer des fausses informations “, affirme le spécialiste de l’e-réputation.
Si le scientifique veut convaincre ses pairs, ce n’est certainement pas les réseaux sociaux ou l’exposition médiatique qui vont l’y aider. C’est même le contraire.” Vincent Pittard (Réputation 365)
Des intervenants aux compétences difficilement vérifiables assènent ainsi parfois des vérités tout aussi invérifiables qui nourrissent des craintes ou des préjugés. ” L’émotion prime sur la raison. Les gens écoutent ce qu’ils veulent bien entendre. C’est le principe des biais de confirmation. Et ces biais cognitifs enferment ceux qui y croient dans une bulle d’information. Les algorithmes des réseaux sociaux font le reste : vous ne voyez plus que des informations auxquelles vous adhérez et vous avez l’impression que tout le monde est du même avis que vous “, poursuit Vincent Pittard.
Savant charismatique
Etre influenceur n’est pas si aisé, de surcroît dans les domaines de la santé ou de la science. Il semble persister une sorte de dilemme entre le devoir d’information honnête et pertinente à l’égard des internautes et la crainte d’être perçu comme moins professionnel justement parce qu’on est actif sur les réseaux sociaux.
” Tout dépend de l’objectif et de la cible. Si le scientifique veut convaincre ses pairs et développer son influence dans le milieu académique, ce n’est certainement pas les réseaux sociaux ou l’exposition médiatique qui vont l’y aider. C’est même le contraire “, expose le cofondateur de Réputation 365.
Par ailleurs, avec les dizaines de milliers d’abonné(e)s survient la possibilité de monétiser cette nouvelle image de marque. Une situation qui pose question sur le plan déontologique. Les partenariats rémunérés risquent par exemple de ressembler à une validation médicoscientifique. Or, ” toutes les dimensions publicitaires ou par rapport aux professionnels de la santé sont très cadrées. Il n’y a donc pas vraiment de brandization “, rappelle Maha Karim-Hosselet, de l’agence MKKM.
Monsieur courbe
Pour la première fois invité sur le plateau de la RTBF parce qu’il fallait bien un expert, Marius Gilbert, directeur du laboratoire d’épidémiologie spatiale de l’ULB (Spell), est fin pédagogue. Bon client, ce diplômé en sciences biologiques agricoles et docteur en écologie des insectes ravageurs a connu une véritable métamorphose. “Il publiait sur Twitter son graphe de l’avancement de la pandémie tous les jours peu après la conférence de presse avec chaque fois un petit mot d’explication. Le nombre de ses abonnés a grimpé jusque 1.000 abonnés par jour, retrace Maha Karim- Hosselet, de l’agence MKKM. Il a appliqué la méthode qui fonctionne toujours sur les réseaux sociaux : communication précise et ciblée sur son domaine d’expertise, régularité et interaction avec ses interlocuteurs. Aujourd’hui, il y est suivi par 12.500 personnes.”
Toubib de supermarché
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Le docteur Jeffrey VanWingen en a encore récemment fait l’expérience. Ce médecin de famille du Michigan ne cherchait qu’à rendre service lorsqu’il a posté sur YouTube, le 24 mars dernier, ses conseils pour réduire l’exposition au coronavirus dans le cadre des courses. Une vidéo de 13 minutes, riche de quelques erreurs d’appréciation, mais qui flirte actuellement avec le seuil des 30 millions de vues uniques. Car dans un élan de panique, des internautes l’ont rendue virale, propageant la (dés)information…
TikTokDoc
Souriant médecin trentenaire de Portland, Jason Campbell débarque sur l’application de partage vidéo TikTok fin février sous le pseudo @drjcothedc. En quelques semaines, ses chorégraphies à l’énergie communicative détonnant avec le climat anxiogène de la pandémie l’aident à franchir le cap symbolique du million de “J’aime” sur son profil qui rassemble désormais près de 250.000 abonnés.