Les nouvelles pépites de la hi-fi
A côté de marques historiques ou de défricheurs comme Bose ou Sonos, d’autres plus récentes ont construit leur image sur le mariage de la technologie et du design, n’hésitant pas à user de matériaux rares ou innovants, à des prix presque accessibles. Entre produits de luxe et hybridation, incursion dans le nouveau monde de la hi-fi.
Pour ses aficionados, le Devialet Gold Phantom Premier (2.590 euros) est l’enceinte connectée ultime. Avec une pression acoustique de 108 décibels et 4.500 watts crête (soit le volume sonore d’un avion à réaction), elle s’affranchit de tous les défauts sonores : ” zéro saturation, zéro distorsion et sans souffle “, soit la définition du ” son pur ” selon son directeur général, Franck Lebouchard. Pour ses fanatiques, écouter un Phantom requiert des espaces de démonstration particuliers et des salles d’écoute fermées, et relève de l’expérience physique : grâce au tweeter en titane pur de grade 1, couplé à une puissance extrême et à des basses ultra-profondes, chaque note résonne de manière parfaitement limpide. Sur de la musique électronique, du R’n’B ou de la pop, les basses diffusées par salves massives, frappent la poitrine. Avec son design futuriste à la HR Giger, le Phantom procure également une excitation visuelle : le mouvement de ses deux woofers latéraux (ces haut-parleurs qui ne diffusent que les fréquences les plus basses) est hypnotique. Littéralement. Et ce, quelle que soit votre opinion sur le son qu’ils produisent.
Difficile d’admettre, à l’époque où les enceintes Bluetooth sont vendues moins de 50 euros, qu’on puisse en débourser plusieurs milliers dans de simples haut-parleurs. Et pourtant…
88 brevets
Pas moins de 88 brevets et presque trois ans de recherche et développement (R&D) auront été nécessaires pour ce véritable bijou de technologie assemblé sous vide près de Melun, au sud de Paris, et 30 fois plus petit qu’une enceinte standard de même catégorie. A l’origine de la technologie, un ingénieur : Pierre-Emmanuel Calmel. Alors qu’il travaille chez l’équipementier de télécommunications Nortel, il se met en tête de fabriquer ” l’ampli idéal “. Depuis, pour fabriquer le Phantom, 22 usines fournissent des pièces originales de haute technicité. La trajectoire de l’entreprise française Devialet est tellement exceptionnelle qu’elle secoue toute la scène high-tech depuis quelques années. Une start-up montée par trois fanas bien déterminés à miniaturiser le son haut de gamme. Pas moins de 160 brevets et 160 millions d’euros levés : en 13 ans, Devialet est devenue l’une des plus grandes stars de la french tech. La clé de son succès ? Une technologie de rupture qui mêle analogique et numérique, et des soutiens de poids. Soit un quatuor d’actionnaires entrepreneurs tels Xavier Niel (Free), Marc Simoncini (Meetic), Jacques- Antoine Granjon (Vente-privee) et Bernard Arnault (LVMH). Une bonne dose d’argent asiatique, aussi, comme celui du géant électronique taiwanais Foxconn, fabricant des iPhone d’Apple. Et pour relever le plat, une belle sauce de milliardaires people au rang des aficionados, tel Jay-Z, l’infatigable mari de Beyoncé, ou Andy Rubin, le créateur d’Android.
Depuis 2017, la start-up parisienne déroule son plan de conquête du monde, imposant progressivement ses enceintes design et haut de gamme en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Cette année-là, la marque s’offre un showroom vertigineux au coeur de l’opéra Garnier tandis que les célèbres Ateliers Gohard dorent à la main le modèle Gold Phantom Opéra de Paris, un bijou de 4.500 watts et 108 décibels à 2.890 euros. En octobre 2019, nouvelle prouesse technologique : la petite soeur de la Phantom Premier, baptisée Reactor, part à la conquête du grand public en passant sous la barre des 1.000 euros. Depuis, le son Devialet a été intégré à la nouvelle Freebox Delta du célèbre opérateur télécom, à l’enceinte Sound X de Huawei (indisponible en Belgique) et à Altice US, avec l’enceinte connectée Amplify : un grand coup pour sortir de la niche du très haut de gamme. Ce n’est pas tout : dans un marché mondial du son estimé à 40 milliards d’euros, Devialet veut s’imposer aussi dans les objets connectés et notamment dans les voitures autonomes, l’objet de son partenariat avec le constructeur Renault.
Retour de flammes
Quelques mois après la Reactor, Cabasse Audio, autre marque française de hi-fi et home cinéma, dévoilait The Pearl Akoya. L’entreprise brestoise spécialisée dans le son, et depuis 2014 filiale du montpelliérain Awox, a créé et développé ce haut-parleur triaxial de 22 cm le plus compact du marché, tout en garantissant un son sans aucune altération, coloration ou distorsion grâce à un système breveté de calibration automatique. Un concentré de technologie et de luxe qui a séduit les oreilles exigeantes des critiques. Cette enceinte de streaming HD ultra-compacte mise elle aussi sur sa qualité acoustique et sa puissance pour concurrencer directement la Phantom Reactor de Devialet. Sur le plan technique, The Pearl Akoya développe une puissance sonore de 115 dB et permet la lecture de tous les fichiers audios haute résolution. Pilotable à la voix, elle est dotée d’un haut-parleur coaxial pour les médiums et les aigus, associé à un ampli 2 × 300 watts, et un woofer de 17 cm pour les basses, alimenté par un ampli de 450 watts. Avec cette configuration, la Pearl Akoya est capable de reproduire une bande de fréquences de 30 à 27.000 Hz. Nous sommes donc bien dans l’univers de la hi-fi, mais à des prix presque démocratiques (1.490 euros).
Pour Cabasse, la création de ces enceintes grand public marque quasiment une renaissance, après plus de 60 années d’expérience sur le marché. ” Nous avons pris la Sphère, notre enceinte la plus chère (185.000 euros). Le challenge était de la réduire d’1,30 m à 22 cm de diamètre pour moins de 2.000 euros “, explique Alain Molinié, PDG d’AwoX / Cabasse. Dans cette course au son parfait, AwoX a investi plus de 7 millions d’euros pour la recherche et développement. L’ambition du fabricant breton était de ” ne pas faire de compromissions sur le luxe et la qualité exceptionnelle du son, tout en l’amenant à un prix qui soit le plus grand public possible. ” Après trois ans de recherche et des milliers d’enceintes vendues, Alain Molinié compare la société, fondée en 1960 par le physicien et musicien Georges Cabasse ” aux constructeurs de Formule 1 qui produisent ensuite des voitures de sport en petites séries “.
Nouveaux matériaux
Difficile d’admettre, à l’époque où les enceintes Bluetooth sont vendues moins de 50 euros, qu’on puisse encore en débourser plusieurs milliers dans de simples haut-parleurs. Et pourtant, en dépit des nouveaux modes de consommation de la musique, le secteur de l’équipement hi-fi reste l’un des plus dynamiques. A côté de noms bien installés comme Bowers & Wilkins, McIntosch, Marantz ou Nagra, une nouvelle génération de fabricants secoue le monde de l’audio avec des innovations qui vont souvent à rebours des idées reçues. Dirigées par des ingénieurs passionnés ou des inventeurs particulièrement créatifs, ces minuscules structures prouvent qu’on peut marier innovation et design, plaisir des yeux et des oreilles.
La hi-fi existe donc encore. A mille lieues de l’électronique ” grand public “, de jeunes pousses fleurissent sur les décombres d’une industrie donnée – à tort – pour disparue. La preuve aussi en Scandinavie où un autre acteur, bien plus confidentiel que Devialet, est sans doute à l’aune d’une autre révolution. Depuis 40 ans au Danemark, la société Dansk Skalform réalise des pièces de fonderie, notamment pour l’industrie automobile (Audi, BMW, Land Rover, McLaren, Porsche et Rolls-Royce). Un jour, Søren Dissing, le propriétaire des lieux, caresse le doux projet de mouler également des enceintes… Il met au travail son équipe et élabore un prototype. Les résultats s’avèrent tellement encourageants qu’il décide de lancer sa propre marque : Jern ” la fonte “. L’enceinte Jern est lourde et compacte, 12 kg en moyenne. Elle est surtout très inerte, ce qui procure un son d’une incroyable clarté.
Pour cette nouvelle génération de fabricants d’enceintes, le bois apparaît en effet comme le matériau… le moins adapté. ” Si on s’intéresse à la physique et à l’acoustique, on se rend compte qu’il est ce qui est le pire pour la haute-fidélité. Le bois est bon pour les instruments de musique mais pas pour les haut-parleurs “, explique Steven French, porte-parole de Jern. L’instrument de musique doit vibrer et résonner, ce qu’on ne veut précisément pas dans un haut-parleur. Aucun autre son que celui de la musique ne doit se faire entendre. ” Le principe du haut-parleur, c’est de convertir un signal électrique en énergie acoustique, rappelle-t-il . Or, pour perdre le minimum de cette énergie, il est indispensable d’assurer la meilleure stabilité au haut-parleur. Il faut donc bannir les matériaux trop mous comme le bois. ”
Classés parmi les enceintes les plus innovantes du moment, les produits Jern sont donc conçus entièrement en fonte à haute densité de graphite, en quantité artisanale. ” Les bons fabricants de haut-parleurs se donnent beaucoup de mal pour minimiser leur résonance. C’est un défi exigeant et compliqué, et toujours un compromis “, poursuit Steven French. Certains utilisent des matériaux exotiques, comme le noyer – extrêmement coûteux. D’autres du MDF, de la sciure de bois compressée. D’autres encore de l’aluminium parce qu’il est rigide et léger mais nécessite plus de renforts internes pour contrôler les résonances. La fonte, quant à elle, fait sans effort ce que tant d’autres matériaux s’efforcent de réaliser au prix fort. ” Elle réduit les vibrations et les résonances environ dix fois plus efficacement que les enceintes en bois, et cent fois mieux que l’aluminium “, argumente Steven French.
Coulée en fonte avec une structure interne réalisée en nid d’abeilles (ce qui la rend exempte de toute résonance parasite), minuscule mais très lourde, la Jern 12 WS est sans doute révélatrice d’une nouvelle disruption dans la hi-fi. Avec son boomer Wavecor de 146 mm (pour les graves) et son tweeter de 20 mm d’origine ScanSpeak (pour les aigus), le résultat force l’admiration : aération et relief de la scène sonore, absence de son de boîte, qualité des timbres et rapidité sans projection. Une véritable enceinte de luxe miniaturisée, pour le prix de 1.950 euros la paire.
Métaux rares
Cette trouvaille, qui illustre le retour en force de la hi-fi, en dit long sur l’état d’esprit des nouveaux fabricants de matériel audio haut de gamme. Pour assurer la plus parfaite reproduction du son, ils n’hésitent pas à s’approvisionner auprès de fournisseurs plus habitués aux ateliers d’horlogerie et aux usines d’aéronautique. Chez le californien Magico, créé il y a à peine une décennie, les haut-parleurs sont conçus à partir de graphène, un matériau encore plus résistant que l’acier, et de couches de carbone. Quant au tweeter, il associe le béryllium et la poudre de diamant. Des composants haut de gamme choisis pour leurs propriétés et qui expliquent en partie le prix élevé des enceintes Magico, à partir de 15.000 euros. Choix des composants, disposition des éléments, propriétés des matériaux utilisés : tout est calculé au millimètre. Infimes détails ? Il n’y a qu’à écouter pour juger de la différence.
Rafal Naczyk
200.000 unités
La capacité de production annuelle de l’usine d’assemblage de Devialet, près de Melun. Soit un haut-parleur toutes les deux minutes.
Que signifie exactement ” hi-fi ” ?
Ce terme est souvent utilisé pour parler de qualité sonore, un peu à tort. ” Le principe de la haute fidélité, c’est de restituer la musique de la manière la plus fidèle et la plus neutre possible. Et pour obtenir ce résultat, il faut beaucoup de technologie “, rappelle Julien Defrance, expert hi-fi à la boutique New Music à Ixelles et ingénieur du son. Si vous possédez une bonne installation hi-fi ou haute-fidélité, écouter l’enregistrement d’un concert de musique classique devrait vous donner l’impression d’être assis devant un orchestre. Toutefois, cette quête du son parfait peut être subjective : ” La hi-fi est avant tout culturelle. Les fabricants français préfèrent ajouter de la brillance dans les aigus ; les constructeurs allemands privilégient les basses, tandis que les Britanniques ne jurent que par la clarté des médiums “, souligne Julien Defrance. Les années 1950 et 1960 ont vu la démocratisation des équipements stéréos, permettant à chacun de devenir un véritable audiophile. Que vous utilisiez un appareil à bandes magnétiques ou une platine vinyle pour écouter votre musique, votre chaîne haute-fidélité était entièrement personnelle et unique. Mais à cette époque, avoir un système hi-fi nécessitait des connaissances en électronique. Il fallait assembler tous les bons composants tout en respectant la polarité des câbles d’enceintes. Aujourd’hui, écouter de la musique est beaucoup plus facile et presque instantané. Il suffit de parcourir une plateforme de musique en streaming comme Qobuz ou Tidal pour trouver n’importe quel album ou chanson. Cependant, la musique dématérialisée est parfois dépourvue du charme du son hi-fi analogique. La haute-fidélité reste donc avant tout un état d’esprit.
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