Les décodeurs sont-ils obsolètes?

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Gilles Quoistiaux Journaliste Trends-Tendances

Tous les opérateurs proposent désormais une offre télécom intégrant une connexion internet, mais sans décodeur. Objectif: répondre aux nouveaux usages de la “génération Netflix”, moins friande de la “télé de papa”.

Orange vient de lancer TV Lite. Cette offre télécom low cost s’affiche à 8,50 euros par mois. Elle est proposée aux clients de l’opérateur qui bénéficient déjà d’un package à 50 euros, combinant l’internet fixe et le mobile. L’originalité de cet abonnement TV est qu’il ne nécessite pas de décodeur. Le client accède donc aux 15 chaînes de télévision proposées (La Une, RTL, France 2, etc.) via sa connexion internet, et non via la traditionnelle box. Pour retrouver les programmes de télévision classique, dite linéaire, l’utilisateur doit ouvrir l’application dédiée, développée par Orange. Il peut donc regarder ses émissions favorites sur son smartphone, sur sa tablette ou sur sa TV connectée. Il peut aussi utiliser un petit appareil (Google Chromecast, Amazon Firestick…) permettant de diffuser du contenu vidéo depuis son smartphone vers son téléviseur.

Proximus, Orange, Voo ou Telenet pourraient un jour devenir une simple application parmi d’autres sur les TV connectées.

Ces nouveaux modes de consommation des médias sont de plus en plus répandus: selon Orange, un Belge sur six possède un Chromecast. Ce type d’outil est souvent utilisé pour diffuser sur grand écran des contenus venant de plateformes comme Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, YouTube ou encore Auvio (RTBF). Désormais, ces technologies permettent aussi d’accéder aux programmes de la “télé de papa”. Enfin, pas tous les programmes, puisque la nouvelle offre d’Orange, comme celles de ses concurrents (voir tableau comparatif ci-dessous), est limitée à une sélection de chaînes.

Cette sélection vise les milléniaux, les digital natives, qui sont nés avec internet. Cette tranche de la population est habituée à naviguer sur les plateformes de streaming mais elle se détourne peu à peu de la télévision linéaire. Les opérateurs tentent donc de la convaincre d’y retourner, avec des offres légères adaptées à son style de consommation. “Avec cette offre TV Lite, nous cherchons à atteindre, dans notre base de clients, une audience qui ne trouve pas chaussure à son pied. Chaque mois, nous voyons qu’un certain nombre de nos clients internet ne sont plus intéressés par un package TV full options“, indique-t-on chez Orange.

Le risque, pour les opérateurs, est de voir les clients bouder progressivement les offres TV. Aujourd’hui, il est tout à fait possible de prendre une connexion internet et de consommer de la vidéo uniquement via des plateformes de streaming. Pour les opérateurs télécoms, qui ont bâti leur succès sur des offres triple play (TV + internet + téléphonie), ce serait une petite catastrophe. C’est ce qui les pousse à proposer ces nouvelles offres light, sans décodeur.

Les décodeurs sont-ils obsolètes?

Des séries, du foot et Koh-Lanta

Avant Orange, les trois autres (gros) opérateurs du pays se sont déjà lancés dans l’aventure. Chez Voo, on commercialise Zuny depuis un an. Cette formule à prix plancher (39 euros/mois) se distingue en intégrant un “pack séries”, notamment des productions HBO piochées dans le catalogue BeTV, la chaîne payante qui fait partie du groupe Nethys (maison mère de Voo). Une option foot est prévue. Moyennant un supplément de 7 euros, le client peut aussi accéder à une sélection de chaînes de TV linéaire. “Nous voulons satisfaire un marché difficile à attirer avec la marque Voo, qui a une image familiale. Nous nous positionnons différemment, avec une offre et un ton plus jeunes”, explique Frédéric Campodonico, responsable de Zuny chez Voo.

La moyenne d’âge des clients se situe entre 25 et 30 ans, mais Zuny convainc aussi les étudiants en kot ou des consommateurs plus âgés à la recherche des meilleurs tarifs – les price seekers comme les décrit notre interlocuteur. Les 17 chaînes faisant partie de la sélection ont été choisies sur la base de sondages effectués dans la clientèle ciblée. Si TF1 fait partie du lot, c’est notamment parce que l’émission Koh-Lanta revenait souvent en tête des demandes. Même si l’assortiment a été savamment choisi, Frédéric Campodonico est quand même surpris du succès de cette option TV: “Plus de 30% des clients Zuny prennent l’option TV. D’habitude, pour du contenu additionnel, on se situe autour de 15 à 20%”, souligne-t-il. Cela montre que la télévision linéaire, grâce à certains programmes phares, a encore ses adeptes chez les milléniaux.

Mais on l’a compris, ce type d’offre a ses limites. Par rapport à un pack TV classique, le client doit faire l’impasse sur de nombreuses chaînes. Il ne bénéficie pas non plus de toutes les options. Par exemple, chez Voo, la fonction d’enregistrement des programmes n’est pour l’instant pas disponible, et l’assistance n’est accessible que sur internet, pas via un call center. Néanmoins, pas mal de clients se satisfont parfaitement de ces limitations. “Beaucoup de gens considèrent qu’ils payent trop cher pour trop de services. Certains de nos clients trouvent même que 17 chaînes, c’est déjà beaucoup. Mais faire un système totalement à la carte, c’est très compliqué”, pointe Frédéric Campodonico.

Ringardisés, les opérateurs?

Ces offres light ont donc abandonné le bon vieux décodeur. Proximus propose une formule similaire (Epic Combo Light), Telenet également (TV Flow). Si les opérateurs peuvent se passer de la box pour ces offres ciblées “jeunes”, pourraient-ils le faire à l’avenir pour l’ensemble des packages télécoms? De l’avis des principaux intéressés, ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Les offres actuelles répondent à un besoin précis et ne permettent pas de proposer aux clients l’ensemble des services disponibles dans les formules classiques. En Belgique, les consommateurs sont habitués à payer (cher) pour un service premium. A l’heure actuelle, 85% des ménages belges ont un décodeur branché à leur téléviseur. Et s’ils sont de plus en plus nombreux à avoir un abonnement à une plateforme de streaming (56% des Belges de 18-34 ans, d’après une enquête d’Orange), ils ne délaissent pas pour autant les chaînes de télévision traditionnelles. Il n’y aurait donc pas péril en la demeure. Mais la brèche ouverte par Netflix & Cie ne pourrait-elle pas, à terme, ringardiser les services proposés par les opérateurs? Proximus, Orange, Voo ou Telenet pourraient un jour devenir une simple application parmi d’autres. Chez Orange, on estime que ce scénario n’est pas écrit: “Bien entendu, nous voyons les applications comme Netflix arriver sur les TV connectées et sur d’autres équipements comme le Chromecast. Mais avec ce genre de support, on ne retrouve pas l’ensemble du contenu sur une application unique. Le décodeur TV permet d’uniformiser le tout et d’offrir une meilleure expérience au client, plus simple et plus intégrée.”

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