Paul Vacca

“Le problème n’est pas Facebook, mais le monde des données auquel il participe”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Facebook est décidément entré dans l’ère du soupçon. Dans l’ère des tous les soupçons, plus exactement. Pour preuve, la dernière affaire en date – le scandale Cambridge Analytica – qui hystérise les débats et les consciences.

Face à cette nouvelle tempête, Mark Zuckerberg s’est vu contraint d’adopter une ligne de défense désormais connue : 1. le modèle de Facebook est en soi vertueux ; 2. il n’existe que de mauvais usages qui en sont faits ; 3. il se dit prêt à ” réparer Facebook ” et à tout faire pour que cela ne se reproduise plus. Une défense peu efficace, si l’on en juge par l’échauffement des esprits et l’évaporation de dizaines de milliards de dollars de valeur boursière… Cela n’a pas éteint l’imaginaire dystopique et paranoïaque à la George Orwell : Facebook c’est le mal et il a assuré la victoire de Donald Trump.

Mais Mark Zuckerberg avait-il vraiment le choix dans sa défense ? Si elle séduit les annonceurs comme un alliage précieux, l’ambiguïté constitutive de son modèle – à la fois plateforme ET média – ouvre également la porte à toutes les suspicions. Ce qui a fait son succès, c’est précisément ce qui lui porte préjudice aujourd’hui. Mark Zuckerberg ne peut alors servir qu’une version 2.0 du ” il faut que tout change pour que rien ne change ” pour préserver le coeur de son modèle. Cela génère même un phénomène de ” double imposture “. Un peu à la manière des pièces de Marivaux, où le mensonge se nourrit et se renforce dans le mensonge de l’autre, le flou de la défense de Zuckerberg alimente et justifie en retour des réactions tout aussi floues.

Car il est assez savoureux de constater que les personnes qui s’offusquent de l’exploitation des données personnelles faite par Facebook sont souvent les mêmes qui les partagent sans retenue sur le réseau social via des photos, des statuts et des partages, livrant elles-mêmes leur vie privée.

L’économie de l’agrégation des données personnelles désagrège le lien social. Elle conduit à une individualisation croissante de chacun.

Cela laisse le champ libre aux opposants à Facebook de manier l’hyperbole et le fantasme – ” avec 150 likes, Facebook vous connaît mieux que vos propres parents ” – ne faisant par là-même que renforcer le prix de l’entreprise et la valeur de ses données. En brandissent le spectre de la connaissance intime de chacun de ses membres qu’aurait Facebook, les opposant s’en font à leur insu les meilleurs promoteurs. Et du coup, on a vu des experts prodiguer des conseils pour sauvegarder sa vie privée sur le réseau, par un usage modéré et par une configuration de ses paramètres de confidentialité. Réduire le problème des données à une pure question de protection personnelle au même titre par l’utilisation de crème solaire contre les UV.

Une erreur d’appréciation. Car évidemment, le problème des données personnelles est en réalité tout sauf un problème personnel. En se focalisant sur les fantasmes de profilages publicitaires et sur Facebook, on perd de vue la dimension réelle de la menace que posent tous les acteurs grands ou petits qui font commerce des données personnelles. Le problème ne se réduit pas à l’intimité de chacun – on s’en charge suffisamment nous-mêmes – mais porte sur le modèle de société qui utilise la production des données personnelles. Le problème des données personnelles est collectif et social.

Tout d’abord par le développement d’un modèle économique de société qu’il autorise, où la valorisation des entreprises ne réside plus dans ce qu’elles produisent, mais dans leur seule capacité de capter les données personnelles. D’où cette économie de surchauffe aux mains des géants de l’Internet qui sont détenteurs des tuyaux de données.

L’économie de l’agrégation des données personnelles désagrège le lien social. Elle conduit à une individualisation croissante de chacun via ses données, surtout comportementales. Ce faisant, elle met à mal le principe de mutualisation des risques qui est la base de l’assurance, mais aussi plus largement, de la solidarité via les systèmes de santé ou d’éducation.

Et là, pas besoin des milliers de données de Facebook et de la machine de guerre Cambridge Analytica. Conduire une voiture connectée suffira à renseigner sur votre façon de conduire, vous rendre ou non régulièrement dans une salle de sport vous ouvrira l’obtention ou non d’un crédit, trop de bingewatching constaté sur Netflix augmentera le prix de votre mutuelle… Et en ce sens, le problème de Facebook n’est pas Facebook, mais le monde des données auquel il participe.

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