Le nouveau Graal des géants du Net

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Facebook, Twitter et Google misent aujourd’hui sur les contenus diffusés en direct pour séduire non seulement les utilisateurs de ces plateformes, mais aussi les médias et, surtout, les annonceurs. Gros plan sur une tendance qui risque de bouleverser bientôt le paysage audiovisuel.

C’est l’histoire d’une pastèque. En direct, sur Facebook, il y a quelques jours à peine. A priori, le récit peut sembler anecdotique, voire complètement débile, mais l’explosion de ce fruit, en temps réel, a pourtant drainé les foules et marque une étape importante dans l’histoire du plus célèbre des réseaux sociaux. Le 9 avril dernier, plus de 800.000 personnes ont en effet regardé sur Facebook la retransmission d’une étrange expérience pendant 45 minutes : celle menée par deux employés du site américain BuzzFeed en train de ceindre méthodiquement une pastèque de plusieurs dizaines d’élastiques jusqu’à son explosion spectaculaire sous la pression croissante de ces 690 caoutchoucs tendus.

Le mot “direct” est important. Très important. Car l’internaute ne se trouve plus dans le cas de figure d’une ixième vidéo déjà tournée qu’il regarde, revoit et partage volontiers sur Facebook. Il assiste ici à “l’événement” tel qu’il est en train de se dérouler et il se retrouve au coeur d’une retransmission 100 % live qui était jadis l’apanage des médias traditionnels comme la radio ou la télévision.

Lancée il y a quelques mois déjà pour une poignée d’initiés, la fonction Facebook Live est depuis peu accessible à tout un chacun et incarne aujourd’hui un réel tournant dans la stratégie du réseau social qui compte 1,6 milliard d’utilisateurs dans le monde : elle permet désormais à n’importe qui de devenir média via son smartphone et de diffuser n’importe quel fait d’actualité en direct, qu’il s’agisse de l’éclatement d’une pastèque, d’un concert privé ou d’une prise d’otages. Et plus l’événement sera important, plus Facebook risque de faire ombrage aux chaînes de télévision classiques…

Rattraper Twitter

Facebook n’est cependant pas le premier des réseaux sociaux à oser l’aventure des vidéos en direct. A vrai dire, le géant américain tente plutôt de combler son important retard sur son concurrent Twitter. Avec son application de vidéo en direct Periscope, cette plateforme dispose en effet d’une sacrée réputation en la matière que l’on a pu notamment mesurer chez nous au moment des attentats de Bruxelles. Le 22 mars dernier, nombre de témoignages “anonymes” se sont propagés via ce nouveau canal d’information, montrant ici l’évacuation de l’aéroport, là le bouclage du quartier européen. En direct, toujours, et pas à la télé.

Depuis l’avènement des réseaux sociaux en général et de l’application Periscope en particulier, les médias traditionnels ont perdu le monopole de l’information en direct et, surtout, de l’exclusivité. Aujourd’hui, le citoyen lambda n’est plus seulement le public-cible des journalistes, il en est également devenu la source, au grand dam de certains patrons de presse qui voient s’effriter le fameux quatrième pouvoir. Le smartphone des mobinautes est devenu une “arme de réaction massive” et le scoop est à portée de n’importe quel chanceux qui se trouve au bon endroit au bon moment.

Maladies de jeunesse

Aux premières loges de la scène médiatique, les institutions publiques, les artistes, les sportifs et les people sont conscients du phénomène et tentent d’apprivoiser ces nouveaux canaux d’information sur les réseaux sociaux que sont Periscope et Facebook Live. Avec plus ou moins de bonheur puisque les risques de dérapages et de moqueries sont évidemment nombreux. On se souvient encore de la gaffe monumentale du footballeur Serge Aurier, joueur au PSG, qui avait traité son entraîneur de “fiotte ” en direct sur Twitter, mais aussi des railleries à l’encontre du président français lorsque le compte Periscope de l’Elysée (27.000 followers) s’aventura, le mois dernier, à retransmettre une visite de François Hollande au sein de l’entreprise Showroom Privé. Sur cette application de Twitter, les commentaires des internautes apparaissent directement à côté de la vidéo diffusée en direct et inutile de dire que les internautes étaient plutôt irrespectueux à l’égard de François Hollande. Si l’originalité de la démarche méritait d’être saluée, l’utilisation de ce média participatif par l’entourage du président a dans ce cas précis montré rapidement ses limites, le coup de pub se transformant carrément en couac de com’.

Mais le domptage se fait progressivement et, aujourd’hui, ce sont aussi les initiatives citoyennes qui s’approprient l’outil de la vidéo en direct pour faire passer leurs messages via Periscope, à l’instar du mouvement Nuit Debout qui multiplie les “reportages” et autres discours sur Twitter, histoire de combler le vide médiatique laissé par les chaînes d’info en continu. Davantage réceptifs aux nouvelles technologies, les nouveaux sites d’infos relaient d’ailleurs le mouvement, comme Newsmonkey chez nous, actif via Periscope avec le mot-clé #NuitDeboutBxl, suivis timidement par certaines grandes chaînes de télé qui reprennent parfois, ici et là, ce genre d’images “amateur” dans leurs JT.

Objectif pub

Efficace en termes d’impact immédiat, la vidéo en direct semble devenue aujourd’hui l’obsession des géants du Net puisque, après Twitter et Facebook, c’est au tour de Google de travailler à présent sur une nouvelle application de vidéo en direct baptisée YouTube Connect et qui devrait être lancée avant l’été. L’objectif ? Retransmettre les péripéties les plus anodines des internautes mais surtout les événements majeurs qui “font du clic” sur la Toile. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les réseaux sociaux sont entrés dans la danse des droits de retransmission pour les grandes manifestations sportives. Un moment convoités par Facebook et Amazon, les droits de certains matchs de la ligue de football américain (NFL) viennent ainsi d’être raflés par Twitter, ce qui met encore un peu plus à mal le monopole des chaînes de télé traditionnelles dans ce business sportif. Et bien sûr, le contrat passé entre la NFL et le réseau social prévoit la diffusion de séquences sur Periscope, avant et après le match, histoire de garder les foules le plus longtemps possible sur Twitter et de leur imposer, pourquoi pas, de la publicité.

Tout l’enjeu est bel et bien là : qu’il s’agisse de Facebook avec son application Live, de Twitter avec Periscope et bientôt de Google avec YouTube Connect, l’idée des géants du Net est de profiter de la force du direct pour rentabiliser leur plateforme. Et qui dit opportunité de monétisation, dit forcément publicité. A court terme, on peut donc s’attendre à ce que des spots de pub soient diffusés au tout début de la retransmission d’une vidéo en direct et même plusieurs fois au cours d’un événement “saucissonnable “, exactement comme cela se fait déjà en télé.

Car le créneau de la vidéo est commercialement porteur. Si l’on en croit les projections du bureau d’études américain eMarketer, les vidéos en ligne devraient en effet générer plus de 13 milliards de dollars de recettes publicitaires rien qu’aux Etats-Unis en 2018 (soit près de 11,5 milliards d’euros) et la part des retransmissions en direct devrait y croître de manière spectaculaire avec des taux d’engagements plus élevés de la part de l’internaute, ce qui plaît aux annonceurs. Facebook Live et Periscope disposent en effet d’un sérieux avantage sur la “télé de papa” : ils offrent à leurs utilisateurs une palette d’outils – bouton like, émoticônes, commentaires… – qui leur permettent de réagir, en temps réel, au contenu de la vidéo diffusée en direct. Une interaction précieuse qui rend le consommateur plus attentif, plus actif et donc plus réceptif aux messages publicitaires.

Des marques aux aguets

Mais comment les marques peuvent-elles récupérer le phénomène naissant de la vidéo en direct sur les réseaux sociaux ? Doivent-elles s’improviser créatrices d’un contenu 100 % live ou, au contraire, miser plutôt sur des mini-spots publicitaires qui seraient diffusés avant la retransmission d’événements sur Facebook Live ou Periscope ? Cofondateur de l’agence de stratégie digitale belge Mountain View, Cédric Cauderlier mise plutôt sur la première option, tout en se montrant très prudent : “Tout dépend de l’ADN de la marque car toutes les marques n’ont pas besoin d’être présentes sur Facebook ou Twitter, explique ce digital strategist. Celles qui ont une vraie communauté et qui ont du contenu à proposer peuvent et doivent saisir l’opportunité de diffuser, de temps en temps, des vidéos en direct sur les réseaux sociaux. Pour une marque de mode, cela peut être par exemple la visite d’un atelier de fabrication qui est inaccessible au public ou bien la retransmission d’un défilé habituellement réservé aux journalistes. La valeur principale de ce genre d’outils est l’instantanéité et les marques peuvent donc en jouer.”

Conseillant différents clients comme Brussels Airlines, Club Med ou Jaguar dans leur stratégie digitale, Mountain View a ainsi mené récemment une action sur Facebook Live et Periscope pour le compte de Katusha, l’une des meilleures équipes de cyclisme professionnel dans le monde. A l’occasion du lancement de la Katusha Sports, la société belge a ainsi assuré plusieurs retransmissions de vidéos en direct, dévoilant ici la présentation des nouveaux produits ; là les coulisses de l’événement ou encore le discours du CEO de l’équipe cycliste russe. L’objectif étant de toucher de manière originale la communauté d’un million de fans que compte Katusha à travers ses pages Facebook et Twitter, mais aussi celles de ses coureurs vedettes.

Révolutionnaire, la diffusion de vidéos en direct sur les réseaux sociaux va probablement bouleverser, à moyen terme, les habitudes de consommation de médias par l’utilisateur lambda, mais les grands éditeurs de contenus pourraient toutefois en bénéficier. Facebook vient ainsi de signer des partenariats avec le New York Times, BuzzFeed et le Huffington Post afin de “pousser” la retransmission de leurs vidéos en direct sur sa plateforme. L’idée étant, à terme, de se partager les revenus publicitaires générés par la diffusion de ces contenus exclusifs, portés par une marque média forte soutenue par les annonceurs.

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