Le marché des TV s’aplatit

© Reuters

Les ventes de téléviseurs connaîtront cette année leur premier recul depuis 2003. La faute à un marché mature et à de nouvelles fonctionnalités qui ne séduisent pas encore le consommateur. Les fabricants espèrent se refaire grâce aux TV connectées et à l’OLED, le futur standard technologique.

L’année 2012 s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices. Deux grosses compétitions sportives coup sur coup, c’est généralement l’assurance d’un rush au rayon des écrans plats. Et pourtant, ni l’Euro de football, ni les Jeux olympiques de Londres n’auront poussé les consommateurs à mettre la main au portefeuille pour un nouveau téléviseur de salon dernier cri. A la Fnac, la morosité domine. “Nous sommes déçus, confirme Jo Van Liedekerke, product manager home (TV, vidéo, son) à la Fnac. Avec ces événements sportifs, nous nous attendions au moins à faire jeu égal avec 2011, qui était déjà une année difficile. Or, si nous avons connu une très légère progression entre janvier et avril, depuis la mi-mai c’est très mauvais.”

Maigre consolation : la Fnac affirme faire légèrement mieux que les tendances du marché, qui s’établissent d’après l’institut d’études de marché GfK à – 8 % en volume et – 12 % en valeur sur les cinq premiers mois de l’année (voir graphique p. 43), par rapport à la même période en 2011. Le reste de l’année ne rattrapera pas une tendance à la baisse. Pour la première fois depuis 2003, les ventes de téléviseurs vont reculer en Belgique (voir graphique p. 43). L’âge d’or de l’écran plat semble définitivement derrière nous.

Si les consommateurs réfrènent leurs pulsions d’achat, c’est évidemment parce que la crise économique est passée par là. Mais c’est aussi tout simplement parce qu’ils ont déjà remplacé leur bon vieux tube cathodique par une TV moderne. “Le taux de pénétration des écrans plats atteint 96 % en Belgique, pointe Jürgen De Mesmaecker, business unit manager chez GfK Retail & Technology. Le marché est arrivé à maturité, et le potentiel de renouvellement est faible.” La tendance actuelle des achats est soit à l’acquisition d’un écran d’appoint, soit au remplacement de l’écran plat de première génération, qui est transféré du salon à une chambre ou à la cuisine.

La 3D ? Un gadget

Les fabricants de téléviseurs font face à une équation complexe : comment convaincre un consommateur déjà bien équipé d’acheter un objet dont il n’a pas fondamentalement besoin ? Lorsqu’ils sont apparus sur le marché, la supériorité des écrans plats par rapport aux téléviseurs massifs d’antan était évidente : qualité d’image, design, encombrement limité… L’avantage concurrentiel des nouvelles dalles saute moins aisément aux yeux.

Pour attirer les clients vers les écrans les plus récents, les fabricants multiplient les trouvailles technologiques, sans forcément rencontrer le succès escompté. Apparue pour la première fois en 2009, la 3D était censée booster les ventes. Les fabricants attendaient beaucoup de cette nouvelle fonction “révolutionnaire”. Problème : le contenu filmé en 3D n’a pas suivi, et les consommateurs n’ont pas vraiment adhéré à une technologie imposant l’achat de (coûteuses) lunettes. Aujourd’hui, la 3D est intégrée sur la plupart des nouveaux écrans. Mais ce n’est pas un facteur déterminant d’achat. “La 3D est presque devenue un gadget”, tranche Jo Van Liedekerke (Fnac).

TV intelligente

Les fabricants sont beaucoup plus optimistes au sujet des téléviseurs connectés à l’Internet (smart TV). Ces écrans disposent d’un accès à Youtube, Facebook, à des plateformes de vidéo à la demande ou encore à des jeux en ligne. La smart TV constitue une étape supplémentaire dans l’optique de la convergence, c’est-à-dire l’accès aux mêmes fonctions et applications quel que soit l’appareil utilisé : ordinateur, smartphone, tablette et donc TV. Mais, à nouveau, le manque de contenu réellement attractif laisse le consommateur dubitatif sur l’intérêt des téléviseurs connectés tels qu’ils existent aujourd’hui.

Samsung, le leader du marché mondial des téléviseurs (39 % de parts de marché en valeur sur la Belgique), tente de convaincre le client en misant sur une interface plus intuitive pour ses smart TV, avec commande vocale et gestuelle. “Nous entraînons les vendeurs en magasin, afin qu’ils montrent l’ensemble des fonctionnalités disponibles sur nos TV connectées, explique Bruno Tazzer, product manager TV chez Samsung. Et ça fonctionne : 60 % des personnes qui achètent une smart TV Samsung connectent effectivement leur écran à Internet.” Reste à voir s’ils utilisent ces services connectés, ou s’il s’agit d’un autre “gadget” sympathique mais pour l’instant anecdotique.

Autre axe de croissance pour les fabricants : la qualité d’image. Après le plasma (sur le déclin), le LCD, puis le LED se sont imposés. Désormais les fabricants misent sur l’OLED, la technologie du futur, qui dévoilera ses premiers écrans au troisième trimestre de l’année. Meilleur contraste, longévité accrue, écrans ultra-fins, l’OLED possède de sérieux atouts. Dans un premier temps, comme ce fut le cas pour le plasma et le LCD, les écrans OLED attaqueront le haut du panier, avec des modèles “géants” de 55 pouces, soit 140 cm de diagonale. “Ils seront très chers. On parle de 8.000 à 9.000 euros, indique Jo Van Liedekerke (Fnac). Les volumes décolleront lorsque les prix baisseront aux alentours de 4.000 à 5.000 euros.”

Prix agressifs

Cette nouvelle technologie, qui ne devrait devenir mainstream que dans deux ou trois ans, met un peu de baume au c£ur des fabricants et des distributeurs, qui sont actuellement confrontés à une perte de valeur monumentale sur le marché de l’écran plat. Les progrès technologiques et l’augmentation de la taille des écrans se sont en effet accompa-gnés d’une baisse continue des prix ( voir graphique p. 45), conséquence directe de la concurrence effrénée que se livrent les acteurs du marché. “Le marché est beaucoup plus difficile que nous le pensions en début d’année, confirme Joël Demunck, responsable des achats consumer electronics chez Mediamarkt. Vu la pression continue sur les prix, nous avons procédé à un remodeling de notre département TV. Nous avons réduit le nombre de modèles présentés et mettons en évidence certains produits qui s’écouleront en volumes plus importants. Nous nous alignons aussi sur les prix très agressifs pratiqués sur Internet.”

Du côté de la Fnac aussi, le nombre de références a été réduit de près d’un tiers, essentiellement dans le milieu de gamme, où les différences entre modèles sont moins marquées. Objectif de la man£uvre : fluidifier la gestion du stock, ce qui est essentiel dans un marché de volume, a fortiori lorsque les prix sont sous pression. “Les marges sur les téléviseurs sont devenues comparables avec celles de l’informatique, elles sont donc faibles, mais les volumes sont tellement importants que nous devons être présents sur ce marché, atteste Jo Van Liederke (Fnac). Les usines tournent, les quantités qui en sortent sont énormes, il y a une grosse pression sur les stocks et les prix chutent. C’est une spirale dont on aimerait sortir, mais la lutte entre les marques continue et le marché retombe chaque fois dans le même piège.”

Restructurations et réorganisations

Ce piège s’est refermé sur la plupart des fabricants, qui ne parviennent pas – ou plus – à gagner d’argent en produisant des téléviseurs ( lire l’encadré p. 44). Coup sur coup, de gros acteurs du marché ont annoncé des restructurations et des réorganisations dans leur structure, afin d’isoler leur division TV déficitaire. C’est ce qu’a fait Philips, le dernier fabricant européen, en créant TP Vision, une joint-venture (dont elle détient 30 %) avec la société TPV Technology, basée à Hong Kong.

Philips TV, qui occupe la deuxième place en Belgique en termes de parts de marché, et qui se focalisait plutôt sur le haut de gamme, espère ainsi élargir sa base de clientèle. “Notre objectif est d’être présent sur tous les segments de marché. Le volume est très important si l’on veut être un acteur mondial, explique André Van Lembergen, TV marketing manager chez TP Vision. Grâce à notre nouvelle structure, nous serons plus autonomes et plus réactifs. Cela nous permettra d’être dans la course aux nouvelles technologies.” Les investissements lourds que supposent ces adaptations technologiques ne se feront cependant pas sans discernement. Le 4K, appelé à remplacer dans le futur le standard Full HD, ne fait pas forcément partie des priorités de Philips. “Nous sommes en train d’évaluer l’opportunité d’investir dans une technologie pour laquelle le contenu est encore inexistant, poursuit André Van Lembergen. Je rappelle qu’en Belgique, à part sur Blu-Ray, il n’existe aucun programme disponible en full HD.” Il serait donc trop tôt (et trop côuteux) pour miser sur le 4K.

Associations momentanées

Afin de réduire les coûts de développement, l’heure est aussi à la collaboration entre différents acteurs du marché. Philips et LG viennent ainsi d’annoncer une alliance dans le domaine de la smart TV. L’objectif est de créer une plateforme commune permettant aux développeurs de créer des applications compatibles avec des écrans de marques différentes. Les concurrents japonais Sony et Panasonic, qui ont accumulé des pertes monstres ces dernières années, ont de leur côté annoncé un partenariat “technologique” pour la production de téléviseurs OLED. Une ultime tentative, sans doute, pour contrer la percée fulgurante de Samsung, devenu en quelques années le leader mondial du marché.

En attendant l’arrivée de ces écrans OLED à un prix raisonnable, les fabricants devront batailler ferme sur un marché peu réjouissant. “Les perspectives à deux ans ne sont pas exceptionnelles. Dans le meilleur des cas, le marché restera stable”, estime Joël Demunck, responsable des achats chez Mediamarkt. Dans deux ans, c’est justement la Coupe du Monde de football. Un événement susceptible de réveiller les pulsions des consommateurs ?

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Un chiffre : 96 %

Le taux de pénétration des écrans plats en Belgique. Le marché est arrivé à maturité et le potentiel de renouvellement est faible.

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Tous dans les rouge

Les fabricants enchaînent les déconvenues sur le marché des téléviseurs. A croire que personne ne gagne de l’argent dans ce business…

Sony. Le géant japonais de l’électronique va mal. Sur son dernier exercice fiscal (clos en mars), Sony a accumulé la bagatelle de 5,74 milliards de dollars (4,53 milliards d’euros) de pertes nettes. A elle seule, la division TV est responsable d’une perte approchant les 2,2 milliards de dollars, d’après les estimations livrées par Sony fin 2011. Le business TV de l’entreprise est en pertes pour la huitième année consécutive.

Samsung. Le fabricant sud-coréen a le vent en poupe, et pas seulement sur le marché des smartphones. Samsung réalise plus d’un quart des ventes mondiales de téléviseurs et grappille des parts de marché à tous ses concurrents. Son activité globale est largement bénéficiaire. Pourtant, sa division LCD, qui produit des écrans pour téléviseurs mais aussi pour smartphones et tablettes, accuse 504 millions d’euros de pertes en 2011, d’après Reuters. Samsung a décidé de créer un spin-off pour cette activité condamnée à produire progressivement moins de rendement à mesure que l’OLED prend la place du LCD.

Sharp. Numéro quatre du marché au niveau mondial, le fabricant voit ses ventes diminuer, d’après un communiqué financier de l’entreprise, “en raison d’un déclin rapide de la demande au Japon, d’un ralentissement du marché chinois et de l’impact de la baisse des prix.” La division audiovisuelle (TV et GSM) a vu ses ventes baisser de 25,6 % en 2011 et enregistrer une perte opérationnelle de 60 millions d’euros. Au total, la firme accuse une perte supérieure à 370 millions d’euros.

Philips. Les soucis de la firme néerlandaise sur le marché des téléviseurs l’ont conduite à créer une structure autonome nommée TP Vision, en partenariat avec une entreprise de Hong Kong. La vente des téléviseurs Philips est une activité largement déficitaire. En 2011, les pertes cumulées (EBITA) s’élevaient à 333 millions d’euros.

Panasonic. Comme ses coreligionnaires japonais, l’entreprise a subi en 2011 le contrecoup du tsunami, des inondations en Thaïlande et l’impact négatif du taux de change du yen. Les pertes nettes, qui dépassent les 10 milliards de dollars, constituent un triste record pour Panasonic. L’entreprise s’est accrochée à une technologie en déclin, le plasma, récupérée chez Pioneer en 2009. Ses ventes de TV plasma ont fondu de 40 % entre 2010 et 2011. La division AVC (TV, appareils photos, caméras, Blu-Ray) a enregistré une perte opérationnelle de 669 millions d’euros en 2011.

Gilles Quoistiaux

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