La Chine changera-t-elle l’Internet mondial ?

© Reuters

Dopés par l’explosion de l’usage du Web en Chine, les géants chinois du Net commencent à regarder en dehors de leurs frontières. Et, étendard du foisonnement innovant chinois, de plus en plus de start-up émergent en Chine ou à destination d’un public plus large. Certains pronostiquent un impact important sur l’Internet dans un avenir proche.

“La Chine changera-t-elle l’Internet mondial ?” La question, un brin provocatrice, est lâchée sur les ondes de BFM par Thierry Happe, cofondateur du forum français Netexplo qui scrute, chaque année, les grandes tendances du Web et des start-up à travers le monde. En 2007, Netexplo avait notamment épinglé une start-up permettant de gazouiller 140 signes en ligne… un certain Twitter, qui a pris son envol quelques années après. Thierry Happe s’interroge sur la montée de la puissance web de la Chine. Bien qu’il opère toujours un contrôle strict sur les internautes (des millions de messages sont quotidiennement censurés sur les réseaux sociaux), l’Empire du Milieu mettrait-il progressivement en place sa conquête de la Toile ? Pour Thierry Happe, la réponse ne fait aucun doute à la vue du dernier classement mondial des start-up innovantes élaboré par Netexplo. Dans son top 500, 20 % viennent de Chine. Et trois entreprises se retrouvent même dans le top 10 (Electronic Tattoos, China Survival Manual et ConnectCubed).

Sans compter qu’un certain nombre de mastodontes de la Toile se sont déjà développés en Chine. Dans un premier temps, les Chinois se sont contentés de s’inspirer des stars internationales du Web et ont lancé une série de clones, dont certains sont entre-temps devenus de véritables géants, taille du marché oblige. Il faut dire que peu de sites mondiaux ont réussi à véritablement s’imposer sur le (très particulier) marché chinois. Ainsi, Amazon peine à dépasser quelques pour cent de part de marché tandis que les alternatives locales comme Tmall ou 360buy cartonnent. De même, le géant mondial des enchères fait pâle figure face à son concurrent local Taobao Marketplace. Pour se faire remarquer, eBay a d’ailleurs dû s’allier, fin 2012, avec le spécialiste du luxe et de la mode Xiu.com. Ces “me too”, comme on les appelle, ne surprennent pas William Chou, Technology, Media & Telecommunications national managing partner chez Deloitte China : “Il y a 3 millions d’étudiants chinois à l’étranger. Ils apprennent à connaître le marché et les technologies internationales. Et leur compréhension du marché chinois et de sa culture leur permettent d’adapter aux besoins locaux les innovations en provenance, par exemple, des Etats-Unis.” Mais qu’on ne s’y méprenne pas : ces copies locales sont loin d’être des petits joueurs. La taille du marché leur permet, en cas de succès, de devenir des acteurs colossaux.

Les géants chinois du Net s’appellent Tencent, Alibaba ou Baidu. Tencent, fournisseur de services web, se veut le troisième groupe Internet au monde… Le site d’e-commerce Alibaba, quant à lui, approcherait les 500 milliards de dollars de transactions en 2012. Et, d’après Reuters, il pèserait plus… qu’eBay et Amazon réunis ! Baidu est le moteur de recherche made in China. Et s’il n’atteint pas (encore ?) les sommets de son rival américain (Google), l’entreprise est loin d’être petite : elle dispose de plus de 70 % de parts de marché de la recherche en Chine, loin devant Google. Et, en 2011, son bénéfice net dépassait le milliard de dollars. Et si les créateurs de ces sites n’atteignent pas encore le niveau de popularité de Mark Zuckerberg (Facebook) ou de Larry Page et Sergey Brin (Google), ils font fortune. Ma Huateng, fondateur de Tencent en 1998, compterait parmi les 100 plus riches de la Terre et a même été épinglé par le Time dans sa liste des personnalités les plus influentes en 2007. Robin Li, créateur de Baidu, trônait en 86e place du classement des milliardaires de Forbes.

D’un marché gigantesque au marché mondial

Ces géants chinois profitent de l’ex-plosion du Net dans leur pays. De fait, la population est de plus en plus connectée : avec 564 millions d’internautes, elle est la première population connectée au monde, devant les Etats-Unis. Et avec des utilisateurs de plus en plus à la pointe. Ils sont nombreux à surfer via leur téléphone portable alors que beaucoup n’avaient même pas d’ordinateur auparavant. Il faut dire que la Chine compte pas moins… de 1,1 milliard d’abonnés au mobile ! Et un nombre étonnant d’internautes chinois (environ 80 %) se sont inscrits sur un réseau social. Aujourd’hui, les stars montantes sont WeChat qui permet des vidéoconférences ou encore Sina Weibo, sorte d’équivalent de Twitter.

“Private equity” et aides du gouvernement

Pas étonnant que, portés par un marché gigantesque en plein foisonnement et inspirés par les géants du Net, les entrepreneurs chinois se lancent à l’assaut de la Toile, et pas seulement dans leur pays. Qui sont ces entrepreneurs ? Pour Thierry Happe (Netexplo), la tendance n’est pas uniquement limitée aux frontières de la Chine. Il insiste d’ailleurs sur le terme “d’influence chinoise. Dans les lauréats de Netexplo, l’un a été fondé par une entrepreneuse chinoise basée aux Etats-Unis, l’autre par un Canadien à destination des traders de Hong Kong…” Ceux qui déploient leur projet en Chine, sont “pour la plupart des jeunes, dans la vingtaine, analyse William Chou (Deloitte). Ils ont bénéficié d’une éducation de haut niveau en dehors des frontières chinoises et reviennent pour lancer leur entreprise.”

Ils sont aussi encouragés par de nombreuses initiatives pour doper l’entrepreneuriat et l’innovation. Selon le partner chez Deloitte à Pékin, il n’y aurait pas moins de 2.672 fonds de private equity prêts à investir dans l’innovation les 260.000 millions de dollars disponibles. Le gouvernement se montre, d’ailleurs, “un bon soutien pour l’innovation et la créativité, insiste William Chou. Dans certains cas, il propose des incitations comme des prêts à taux réduit, des réductions ou la suppression d’impôts aux entrepreneurs et à leurs projets.” Renaud Edouard-Baraud, CEO de L’Atelier BNP Paribas Asia, effectue la même constatation : “Il y a un véritable discours sur l’innovation, ce qui est assez nouveau et lié au fait que les Chinois se rendent compte de la nécessité de passer d’un système de quantité à un système de qualité. Tout un écosystème se met alors en place, autour d’incubateurs et d’espaces de coworking, entre autres.”

A l’assaut du marché mondial

Reste que pour l’instant, les grands acteurs de l’Internet dans l’Empire du Milieu restent, pour la plupart, cantonnés à ses frontières. Rares sont les initiatives chinoises à trouver de véritables débouchés à l’international. “Cela ne signifie pas que ces entreprises n’en sont pas capables ou que leurs produits ne sont pas bons, commente William Chou. En réalité, beaucoup de ces acteurs du Net sont encore concentrés sur leur développement en Chine où ils veulent d’abord solidement s’imposer. S’ils sont numéro un dans les grandes villes, ils doivent encore se battre pour conquérir les villes secondaires. Ils veulent continuer à pénétrer le marché avant d’attaquer l’international.” Renaud Edouard-Baraud ajoute que les Chinois n’ont pas encore fini d’épuiser le filon de la langue : “Ils peuvent encore conquérir un public chinois à l’international. Où qu’on aille en Asie et même ailleurs dans le monde, on trouve une importante diaspora qui permet aux géants du Net de sortir de leur isolement.”

L’expert de l’Atelier constate néan-moins que la volonté de toucher un public plus large commence à se faire sentir. Il cite la très populaire application WeChat qui dispose de sa traduction en anglais et touche déjà un certain public hors de Chine. Le site de microblogging Weibo a déjà séduit des personnalités qui s’en servent pour draguer l’inter-naute chinois. Des noms ? Bill Gates, Tom Cruise, Brad Pitt ou… Christine Lagarde ! Autre développement hors du pays : Baidu qui a annoncé, en janvier, un par-tenariat avec l’opérateur Orange pour co-développer un navigateur mobile destiné aux smartphones dans les pays émergents, Afrique et Moyen-Orient en tête.

Enfin, on devrait voir s’intensifier dans les mois et années à venir les acquisitions de start-up internationales par des entreprises chinoises pour prendre pied sur d’autres territoires. Il faut dire qu’elles ne sont pas en manque de cash. La tendance a déjà été amorcée ces dernières années. Ainsi, Tencent aurait acquis plus d’une dizaine de start-up aux Etats-Unis et en Europe dans l’univers du Web, des réseaux sociaux, et du jeu vidéo : Riot Games, Epic Games, Zam, Everyme, Waddle, etc. Reste que pour espérer véritablement s’imposer au niveau mondial, les acteurs chinois devront avant tout pouvoir s’affranchir de la censure gouvernementale qui freine, de toute évidence, l’adoption de leurs services par les Occidentaux avides de pouvoir totalement jouir de leur liberté d’expression.

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