Impression 3D : évolution ou révolution ?

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En créant des objets tridimensionnels commandés par ordinateur et fabriqués par dépose de matière, la technologie “3D Printing” serait en passe de bouleverser le monde de l’industrie et le quotidien de Monsieur Tout-le-monde. “Gare aux fantasmes”, préviennent cependant les chercheurs Thierry Dormal et Alain Bernard…

Troisième révolution industrielle selon The Economist, nouvelle aube qui changera notre quotidien d’après Wired ou encore science-fiction devenue réalité pour France 2 : il n’est pas un jour sans que la sphère médiatique ne s’émerveille de l’additive manufacturing. “Cela fait 25 ans que nous développons l’impression 3D en toute discrétion mais depuis quelque temps le téléphone n’arrête pas de sonner, s’amuse Thierry Dormal. Quand j’entends que d’ici peu, il suffira de remplacer un organe vital par son double 3D ou que les voitures seront bientôt conçues à la chaîne selon le même principe, je me dis qu’il faut calmer le jeu”, avance ce professeur à l’ULg, spécialiste de la question en tant que responsable depuis 1990 du département Rapid Manufacturing au Sirris, une structure wallonne qui accompagne la mise en oeuvre d’innovations technologiques.

Brevetée dès le milieu des années 1980 puis améliorée au cours des années, l’impression 3D poursuit en réalité tranquillement son chemin. A partir d’un “simple” fichier informatique et d’une machine plus ou moins sophistiquée, le procédé permet de créer une tasse à café, un rond de serviette, une maquette d’architecture ultra-complexe mais aussi des prothèses de maxillaire ou des pièces d’avions aussi solides et fonctionnelles que si elles sortaient de la forge. De quoi donner le tournis. D’autant que le procédé ne repose plus sur le principe soustractif d’enlèvement de matière mais d’addition en empilant strate par strate, couche après couche, des fils de plastique en fusion et autres poudres métalliques à prise ultra-rapide. Moins de déchets pour une production adaptée aux besoins, comme le rêve d’une économie de la demande toute keynésienne enfin réalisée. Un vaste champ des possibles, complexe, pointu que les scientifiques cultivent à leur rythme. Rien à voir avec le buzz du “miracle 3D” qui s’est propagé à la vitesse d’une campagne de marketing viral et qui, selon Alain Bernard, pionnier du 3D Printing et professeur à l’Ecole centrale de Nantes, ne doit rien au hasard. “L’une des raisons pour lesquelles cette technologie fait subitement parler d’elle tient au fait que l’un des brevets fondamentaux du procédé, et déposé par la firme Stratasys, est tombé dans le domaine public. Tout est parti de là. L’accès libre à ce brevet a permis à des sociétés de développer en toute légalité le procédé et de le décliner sur des machines grand public, conviviales qui répandent l’idée d’une technologie “presse-bouton”.

Tel est le cas de l’américain 3D Systems qui propose pour un peu plus de 1.000 euros son imprimante Cube qui a la taille d’une cafetière électrique… “Bien que ces machines user-friendly soient tout à fait étonnantes, note Alain Bernard, elles sont limitées dans leurs applications. Dotées d’un système fermé, elles sont adaptées pour des petites pièces et en petit nombre. Pour une patère, un vase, un porte-clefs, ça va. Faire croire que tout un chacun pourra demain répliquer tout et n’importe quoi est fallacieux. Quant aux appareils moyen et haut de gamme dont les prix s’échelonnent entre 15.000 et 600.000 euros, ils sont peu compatibles dans leur fonctionnement avec l’environnement domestique.”

Sans parler, pour les imprimantes les plus démocratiques, de la lenteur du temps d’impression, des ratés fréquents de fabrication ou de la stratégie commerciale des fabricants qui gardent la main sur les onéreuses recharges de matière (ABS ou PLA) dont ils sont les seuls revendeurs. Des broutilles pour les défenseurs du procédé qui parlent d’un avènement comparable à celui de la machine à vapeur ou de l’électricité. Pour les plus optimistes, le 3D printing remplacera bientôt les bonnes vieilles méthodes de coupe, de pliage, de pressage et de moulage de nos usines vouées à l’histoire ancienne. “Les machines 3D ne sont pas là pour rivaliser avec quoi que ce soit, poursuit Alain Bernard. Affirmer cela, c’est se tromper. Elles sont complémentaires. L’expression troisième révolution industrielle est exagérée, je parlerais plutôt d’évolution, y compris d’évolution culturelle. Pourquoi ? Parce que les machines 3D sont en train de s’implanter dans les écoles et vont faire progressivement partie des usages. Cette technologie permet de penser différemment la conception des objets. Les contraintes physiques n’existent presque plus. Toutes les formes sont réalisables. Et ça, c’est une rupture avec les habitudes. Mais, dans bien des secteurs, nous en sommes encore au stade de recherche. Pour l’heure, on démontre des concepts qui ne sont pas du tout envisagés sous l’angle de la rentabilité économique, et c’est normal. Tant que ce n’est pas au point techniquement, ce n’est pas la peine de se demander ce que cela va rapporter”

Christopher Mims, ex-éditorialiste au MIT (Massachusetts Institute of Technology), va plus loin : hormis la fabrication de séries limitées et de petites pièces customisées, l’impression 3D est selon lui une pure idéologie qui se situe en dehors de toute réalité de production de masse. En dépit de ses qualités, elle serait incapable de se substituer, entre autres pour des raisons de coût, à des techniques comme le moulage par injection plastique.

La technologie dont tout le monde parle trouve pourtant déjà des débouchés bien réels dans des domaines comme l’aéronautique ou la médecine. “Ce sont 10.000 prothèses céramiques qui proviennent de la technique additive et sont implantées chaque année dans le corps humain”, rappelle Thierry Dormal. Mais il en est d’autres où le flou règne en maître. Un brouillard qui permet à chacun d’interpréter les ombres comme il l’entend… Alors que les prototypes de machine 3D dédiés au monde de la construction n’en sont qu’à leurs premiers balbutiements de laboratoire, certains commentateurs se réjouissent déjà de ce moment imminent où l’on “printera” des maisons en série à base de sable et de liant, comme on imprime un tee-shirt. Chez nous, dans les pays déshérités et bien sûr, sur la Lune… Sir Norman Foster, le grand architecte londonien, ne planche-t-il pas en partenariat avec l’ESA, l’Agence spatiale européenne, sur des habitations lunaires conçues en 3D printing ? Mais à l’image des structures gonflables et des maisons volantes en plastique des années 1960, chaque époque n’a-t-elle pas ses matériaux fétiches et ses utopies architecturales ? Le président Obama est peut- être plus terre à terre, lui qui a abandonné le projet Constellation qui prévoyait pour 2020 “le retour de l’homme sur la Lune” mais qui a financé en 2012 dans l’Ohio un institut de recherche autour de la fabrication additive pour un budget de 50 millions d’euros. Ce qui est beaucoup pour un établissement mais bon marché pour une troisième révolution industrielle…

ANTOINE MORENO

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