Hackers: qui sont-ils vraiment?

Qui sont vraiment les hackers, ces férus d’informatique épris de libertés numériques que l’on qualifie de “pirates”, qui démontent les systèmes et luttent contre la censure? La journaliste Amaelle Guiton a enquêté et livré des témoignages de ces individus trop souvent caricaturés. Entretien.

Le grand public sait souvent au mieux qu’il y a des gentils et des méchants hackers. Mais dans son ouvrage Hackers, au coeur de la résistance numérique, publié en mars aux éditions Au Diable Vauvert, la journaliste Amaelle Guiton dresse une galerie de portraits beaucoup plus précise : hacktivistes, Anonymous, défenseurs du logiciel libre, pirates aux mille visages, cyberdissidents, défenseurs des libertés numériques, inventeurs d’une nouvelle politique… Son enquête, qui démythifie un milieu mal connu, vaut le détour.

Leurs motivations, leur éthique, leurs doutes, leurs sujets de friction, leurs aspirations… Faisons connaissance avec les hackers.

A-t-il été facile d’entrer en contact avec les hackers que vous avez interviewés pour votre livre?

Beaucoup plus que ce que l’on pourrait croire. Toute une partie se passe en ligne sur les IRC (un protocole de tchat, ndlr). C’est vrai qu’il y a un peu de méfiance vis-à-vis des journalistes, car le milieu a été échaudé par l’image donnée de lui dans les médias. Mais à partir du moment où on a établi le contact, il est facilité parce qu’ils savent qu’un journaliste protège ses sources. Même à Berlin où cela a été un peu plus difficile, toutes les portes se sont ouvertes. En fait ce n’est pas un milieu fermé ni secret, à partir du moment où on ne les regarde pas comme des bêtes curieuses. Car ce sont des gens qui sont avides de partager ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Par exemple, on peut discuter avec des Anonymous assez facilement.

Qu’est-ce qu’un hacker? Qu’est-ce que cela n’est pas?

Hacker, c’est comprendre comment fonctionne un système, bidouiller, se le réapproprier, le détourner. Le but, c’est de maîtriser l’ordinateur pour ne pas qu’il vous maîtrise. A partir de ce moment là, certains vont utiliser ces compétences à des fins d’escroquerie ou de destruction, ce sont les crackers. Pour les hackers prime la liberté de communication, d’information, et le partage. Par exemple, Telecomix fait régulièrement des conférences pour sensibiliser les journalistes à la sécurité des communications sur internet. Comme tout le monde, j’avais fini par associer hacker et pirate informatique. Mais il ne faut pas confondre hackers et crackers. Les hackers construisent des choses. Il y a un écart entre l’imagerie dominante et la réalité de ce que sont ces gens là. Après, on peut être d’accord ou pas avec leur point de vue, par exemple sur la neutralité absolue d’internet, c’est autre chose.

Comment se fait le passage du technique au politique?

Il n’est pas forcément verbalisé, mais il existe des passerelles naturelles en raison de l’éthique des hackers, autour de la liberté de communication, et de la dimension d’éducation populaire de leurs actions. La porte-parole du Chaos Computer Club (la plus grosse association européenne de hackers, ndlr) dit que si on ne transmet pas ses connaissances on ne fait pas vraiment partie de la communauté. En outre, comme il y a de plus en plus de régulation, notamment européenne, les hackers y réagissent. Le passage à l’hacktivisme se fait par ce biais là. Les Printemps arabes ont également été des déclencheurs, du fait de l’exposition à la censure et la surveillance. D’autant plus que les technologies employées pour la censure sont celles d’entreprises occidentales, comme Amesys. Pour les cyberdissidents, hacker devient une question de vie ou de mort. Certains hackers en Europe ont décidé de s’engager vis-à-vis de ces gens pour les aider à faire circuler l’information. Pour les hackers, couper internet, c’est une attaque contre le monde dans lequel ils vivent. C’est un peu comme si on attaquait leur pays.

De nombreux exemples dans votre livre font référence aux hackers allemands. Pourquoi l’Allemagne a-t-elle cette importance dans le hacking?

C’est le pays d’Europe où la communauté hacker est la plus structurée et la plus importante, historiquement. S’y déroule notamment le Chaos Communication Camp, un rendez-vous international de hackers dont les billets partent en quelques heures. Les Allemands ont mené quelques actions spectaculaires, comme détourner de l’argent – qu’ils ont rendu le lendemain – en utilisant une faille du minitel allemand (le “BTX-Hack”, ndlr), afin de démontrer qu’il n’était pas sécurisé. Il y a eu aussi beaucoup de débats en Allemagne autour de la pédopornographie, durant lesquels ils ont réussi à faire abandonner un projet de loi qui incluait le filtrage.

Vous dites que les hackers allemands sont même consultés par “les plus hautes autorités”?

Aujourd’hui le Chaos Computer Club joue un rôle d’expertise technique auprès de la cour constitutionnelle allemande. Même la chancelière les rencontre. Et c’est en Allemagne qu’a percé le Parti Pirate.

Que pensent les hackers que vous avez rencontrés des Anonymous?

Cela fait débat. Sur un serveur Anonymous, ça part dans tous les sens, on ne sait jamais à qui on a affaire. Cela pose problème à certains. Les hackers voient les attraits et les limites du concept et de leurs modes d’action. Par exemple, les attaques DDoS (rendre indisponible un serveur en le saturant de requêtes, ndlr) sont justifiées dans certains cas, pas dans d’autres. Pour certains elles polluent le réseau, et ralentissent le web sans changer grand-chose. Pareil pour le défacement (remplacer la page d’accueil d’un site par une autre, ndlr) : pour certains c’est l’équivalent d’un sit-in, pour Telecomix c’est une atteinte à la liberté d’expression. Enfin, concernant la divulgation de données personnelles, j’ai rencontré très peu de gens qui y étaient favorables. L’éthique générale c’est plutôt la protection pour les faibles, la transparence pour les puissants.

Il n’y a pas que les Anonymous qui sont anonymes… On trouve énormément de pseudos dans votre livre. Cette culture de l’anonymat va-t-elle de pair avec l’absence des hackers sur les réseaux sociaux par exemple?

Il y en a qui utilisent leur nom sur certains réseaux sociaux. Il y a quelque chose de l’ordre du jeu dans l’utilisation de pseudos. Les hackers utilisent en fait beaucoup les réseaux sociaux, mais pas n’importe lesquels. Leur culture de la protection de la vie privée les conduit à utiliser Twitter et très peu Facebook. Sauf les hackers égyptiens ou tunisiens, par exemple, pour lesquels Facebook a joué un rôle important.

Les hackers sont-ils un peu paranos?

Ils sont méfiants. En même temps, quand on voit l’affaire Amesys et la progression des technologies intrusives, on se dit qu’ils n’ont peut-être pas tort… Si on ne se protège pas, on est traçable.

Les hacktivistes prennent-ils des risques réels en aidant les cyberdissidents?

Oui, mais ils estiment qu’ils en prendront toujours moins que les gens sur le terrain. Ils disent qu’ils ne sont pas des héros. Par moment, en revanche, certains ressentent de l’épuisement et une certaine saturation émotionnelle. Il y en a qui craquent.

Travaillent-ils souvent dans l’informatique? Quel est leur rapport à l’argent? Est-ce mal vu de jouer les mercenaires en utilisant ses compétences en hack? Par exemple vous dites que l’armée américaine elle-même vient recruter dans les meetings de hackers.

Beaucoup travaillent dans l’informatique, en tant qu’administrateur système, développeur de logiciels, etc. Ils sont souvent autodidactes. Frédéric Bardeau, auteur d’un livre sur les Anonymous, dit que l’argent est un impensé chez eux. Ce qui est vrai, c’est que la plupart disent qu’ils font ça par goût de l’apprentissage et par jeu. Dans leur tête cela doit être exclu de tout rapport marchand. Il est clair que leur expérience est très appréciable dans le domaine de la sécurité informatique. La question d’utiliser ses compétences dans le cadre professionnel fait débat chez eux, non pas par rapport à l’argent en fait, mais par rapport au pouvoir, car la culture libertaire est très forte chez les hackers. La porte-parole du Chaos Computer Club m’a dit “on ne mord pas la main qui vous nourrit”. Cela pose des problèmes d’indépendance.

Quelqu’un emploie l’expression de “hippie du net”. La comparaison est alléchante pour le côté utopiste et libertaire, la contre-culture… Vous la faites vôtre?

Il y a du vrai et du faux. Il y a eu dans les années 70 une agrégation de la culture hacker et hippie, en Californie. Chez Apple et d’autres. Il y avait chez eux l’idée de changer la vie. Les hackers ont un vrai sens du collectif, de l’échange. Ce qui a changé c’est leur rapport aux structures collectives. Il y a probablement une certaine désillusion chez les hacktivistes vis-à-vis des structures militantes traditionnelles.

Comment les hackers voient-ils l’évolution de leur “mouvement”? Souhaitent-ils, en lien avec l’éducation populaire dont vous parlez, que tout le monde devienne hacker ou préféreraient-ils au fond rester en marge?

C’est une question compliquée. Ce sont des pratiquants non croyants. Ils ne se voient pas forcément comme un mouvement, ni même comme une communauté, malgré un sentiment d’appartenance. Il y a une forme de “mainstreamisation” des hackers, par exemple chez la Free Software Foundation (l’ONG fondée par Richard Stallman qui fait la promotion du logiciel libre, ndlr), qui les questionne beaucoup. Ils voient bien que les thématiques dont ils sont porteurs font désormais régulièrement la une des journaux. Ils ont envie que de plus en plus de gens s’approprient la technologie, mais apprécient d’être un peu en marge. Le paradoxe est humain. Ils sont prix entre deux feux, la vision d’éducation populaire et citoyenne, et leur envie de rester entre eux.

Sont-ils optimistes face à l’avenir?

Ils sont à la fois inquiets et optimistes. Ils voient se développer la censure et les technologies intrusives, et ils ont l’impression que cela va très vite. Mais ils se disent “on va gagner à la fin”.

Raphaële Karayan, L’Expansion.com

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