“Grâce à la numérisation, des emplois seront créés”

Hal Varian © .

Hal Varian, économiste en chef réputé de Google, était récemment en Belgique. Lorsqu’on l’écoute parler, on perçoit d’emblée qu’il ne voit que des opportunités dans l’économie digitale… Selon lui, la vie privée à laquelle nous renonçons en échange de services gratuits est un ‘fair deal’.

Hal Varian (69 ans) influence quotidiennement la vie de milliards de personnes depuis qu’il est devenu économiste chez Google en 2002. Ce professeur américain en économie a participé à l’élaboration du système grâce auquel Google gagne de l’argent avec des publicités. Le plus gros des 74,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires, la société internet américaine le gagne en faisant surenchérir continuellement et très rapidement les annonceurs les uns contre les autres.

“Conjointement avec mon collègue Carl Shapiro, j’avais écrit Information Rules, dont le CEO de Google de l’époque, Eric Schmidt, était fan. Dans ce livre, nous décrivions les principaux concepts stratégiques sur la manière dont le secteur technologique travaille”, raconte Varian qui était dernièrement en Belgique pour deux conférences. L’une d’elles se tenait dans le cadre d’une chaire au sujet des sociétés à fort potentiel de croissance à la KU Leuven, sponsorisée par la société de gestion de patrimoine Econopolis. “Outre l’économie de l’information, les enchères sont l’un de mes autres centres d’intérêt. Schmidt m’a demandé en 2002 si je voulais optimiser le mécanisme d’enchères de Google pour des résultats de recherche sponsorisés. L’idée de mettre des publicités automatisées aux enchères était alors relativement nouvelle.”

“Les premières années chez Google, mon attention s’est surtout portée sur l’optimisation des nombreux mécanismes d’enchère qui ont été mis au point. Ensuite, j’ai aussi obtenu la responsabilité des spécialistes de données, qui sont entre-temps passés au nombre de 300. Et ces dernières années, je suis surtout en charge de la recherche d’une meilleure politique pour la propriété intellectuelle, l’innovation, les brevets, etc.”

Entre-temps, quasi chaque grande société technologique a des économistes à son service. Pourquoi des économistes préfèrent-ils une telle carrière à celle du monde académique ?

Varian: “Il y a beaucoup plus de possibilités pour expérimenter et les sociétés technologiques sont assises sur d’énormes quantités de données de valeur. En outre, dans une société comme Google, c’est aussi facile d’impliquer d’autres départements dans votre recherche. Parfois, vous désirez disposer de connaissances en marketing, la fois suivante vous désirez intégrer du machine learning (forme d’intelligence artificielle, NDLR). En fait, Google est une université.”

Et celle-ci vit de publicités et développe des voitures autonomes.

“Cette dernière est en fait un hasard. L’armée américaine stimule depuis des années déjà la recherche dans les voitures autopilotées. Sergey Brin et Larry Page (fondateurs et actionnaires de contrôle de Google, NDLR) ont vu les prototypes que l’université de Stanford avait développés pour ce programme de recherche. Ils ont immédiatement compris que les données géographiques de Google Maps et Streetview pouvaient faire rouler ces prototypes dans un environnement bien plus challengeant que la plaine désertique où les tests traditionnels étaient effectués, notamment la banlieue de la Silicon Valley.”

“De ce fait, d’autres sociétés technologiques ont également pris le train en marche et finalement les producteurs de voiture ont aussi enclenché la vitesse supérieure. Ils y travaillaient depuis plus longtemps déjà, mais avec des objectifs spécifiques comme l’amélioration du cruise control ou du freinage automatique. Grâce à tous ces efforts supplémentaires, je pense que nous assisterons à de très rapides bons résultats dans les voitures autonomes.”

Dans ce contexte, on prédit un repli dans la possession d’une voiture. Allons-nous continuellement surenchérir pour commander une course en taxi, comme les annonceurs surenchérissent les uns contre les autres pour Google ?

“Les gens veulent savoir à l’avance combien une chose va leur coûter. Il y aura pourtant sûrement des prix fluctuants, pour mieux ajuster l’offre et la demande.”

Les voitures autonomes coûteront beaucoup d’emplois

“Cette crainte existe à chaque révolution technologique, et elle est à chaque fois infondée. Autour de 1900, le métier de maréchal-ferrant était encore populaire, vingt ans plus tard une telle personne est devenue mécanicien. Il en sera à nouveau ainsi maintenant. Du fait de la digitalisation, des emplois seront créés. Oui, on m’a parlé de la grande restructuration chez ING. Au cours d’un lunch avec des économistes belges, j’ai entendu des doutes à propos du fait que la digitalisation en soit réellement une des causes principales. La digitalisation des services bancaires est en fin de compte en route depuis longtemps déjà. Je ne connais pas précisément la situation, mais je pense que c’est un concours de circonstances, avec les faibles marges d’intérêts comme facteur exceptionnel.”

Maintenant, les révolutions technologiques se succèdent rapidement. De ce fait, il y a beaucoup plus d’incertitude.

“Le meilleur conseil de carrière que je puisse donner est d’essayer d’être complémentaire avec quelque chose qui devient bon marché et omniprésent. On crée par exemple beaucoup plus de données, donc les spécialistes de données sont dans ce cas très utiles. Aussi convient-il d’avoir une large base de compétences différentes.”

Mais même cela semble être insuffisant. L’intelligence artificielle s’améliore constamment et menace beaucoup d’emplois de bureau. Peut-être le vôtre aussi ?

“Non, je pense qu’on aura besoin de plus en plus d’experts statistiques. L’économétrie et l’intelligence artificielle sont deux cultures différentes, la combinaison assure beaucoup de créativité et il en ressortira encore beaucoup d’innovations. Grâce à l’intelligence artificielle, d’énormes améliorations ont par exemple été faites dans la reconnaissance d’image et vocale et dans les traductions par ordinateur. Souvent, le logiciel bat l’humain.

“Le Machine learning, la technique IA actuellement populaire, est importante pour Google. Nous l’utilisons par exemple pour vérifier l’impact des publicités, si elles conduisent effectivement à un achat. Cela exige un modèle prévisionnel du comportement d’achat.”

Cela vous dérange-t-il que votre recherche soit surtout utilisée pour faire davantage cliquer les gens sur des publicités ?

“Chez Google, les spécialistes de données s’occupent de bien plus de choses que de publicités. Nous analysons par exemple aussi comment améliorer les processus dans les data centers. Les techniques d’analyse développées aujourd’hui apporteront encore beaucoup au secteur privé et au reste de la société.”

Vous êtes un optimiste.

“Oui, mais posez-moi à nouveau la question après les élections présidentielles américaines (rire). Je suis un authentique optimiste, qui pense que la technologie rendra le monde meilleur, comme il y en a beaucoup dans la Silicon Valley. Si je m’inquiète de ce qui menace le progrès technologique ? Je me fais parfois des soucis concernant le cyberespionnage et la fragilité de notre infrastructure IT. Mais je vois cela plutôt comme des problèmes techniques, pas comme des menaces en soi pour l’ensemble de la société”.

La méfiance à l’égard des technologies augmente toutefois, par exemple étant donné la manière dont les gens abandonnent leur vie privée.

“Je pense que c’est un ‘fair deal’, qui est nécessaire si les gens désirent de meilleurs produits. Une société comme Tesla a besoin de données pour améliorer ses voitures. Les voitures acquièrent toujours plus de fonctionnalités et d’améliorations grâce à ces mises à jour continuelles. Il y a aussi beaucoup de bonnes manières de protéger les données. La concurrence aussi contraint les sociétés à collecter des données, elles désirent mieux répondre aux besoins de l’utilisateur que leurs concurrents. C’est pourquoi il ne faut pas voir cela comme concéder des données pour un produit ou un service, mais donner des données pour l’amélioration de celui-ci.”

Depuis longtemps déjà, on prédit que l’analyse de données créera une révolution.

“Le big data a un impact de plus en plus grand. Je suis conseiller pour Kaggle, une plateforme en ligne qui fait correspondre des organisations ayant des données à des spécialistes de données. Ces experts travaillent ensuite avec les données pour résoudre des problèmes pour l’organisation en question. Cela va de prévisions à propos de l’éventuelle rechute d’un malade et de son éventuelle nouvelle hospitalisation, jusqu’à l’analyse des groupes de population ayant un risque d’accident plus élevé. Toutes des choses qui font économiser de l’argent.”

“Un de mes exemples favoris pour démontrer l’importance du big data, est une application pour détecter la maladie de parkinson par le monitoring du tremblement de vos mains lors de l’utilisation d’un smartphone. Nous arrivons dès lors à nouveau à la question de la vie privée. Vous ne désirez probablement pas qu’une application vous contrôle en permanence. Mais qu’en est-il si parkinson est présent dans votre famille ? Dans ce cas, je m’imagine aisément que vous désirez bel et bien savoir rapidement si des symptômes apparaissent.

Toutes les expériences en big data ne sont pas dignes d’une hype.

“Il y a en effet une hype autour du big data et c’est un problème. Le monde extérieur cite souvent ‘Flu Trends’ (le projet de Google pour prédire et cartographier les épidémies de grippe à partir de l’analyse de l’activité de recherche des symptômes grippaux, NDLR) comme un exemple de projet qui ne peut finalement pas répondre aux attentes. Mais c’est à tort. Les premières années, cela se passait bien, mais les deux personnes qui étaient sur le projet ont, au fil du temps, cherché un défi en dehors de Google. Le projet se poursuivait simplement en pilote automatique. De ce fait, la qualité des prévisions a régressé. Nous avons rectifié cela, mais trop tard. ‘Vous voyez bien, le big data ne fonctionne pas du tout aussi bien qu’ils le disent’, fut la teneur dans les médias.”

Peut-être faut-il toutefois émettre une réserve. Malgré une révolution des technologies de l’information, nos chiffres de productivité sont particulièrement bas depuis des années déjà.

“Je me suis déjà souvent penché sur ce problème. D’une part, on dit que l’automatisation améliore tellement la productivité que nous allons perdre nos emplois. D’autre part, nous ne voyons rien dans les statistiques. Une partie de la réponse se trouve dans la manière dont nous mesurons tout cela. Un smartphone combine un téléphone à une caméra, à un GPS, à un lecteur mp3, etc. Dans la composition des chiffres du PIB, la disparition de tous ces anciens produits pèse plus lourd que la popularité du smartphone. Les photos sont encore un bel exemple. En 2000, 80 milliards de photos étaient imprimées au prix de 50 cents par unité. Grâce aux appareils photo digitaux dans les smartphones, nous sommes maintenant à 1.600 milliards de photos, qui ne coûtent plus rien. C’est manifestement un progrès, mais cela ne se reflète pas dans les chiffres.”

Le problème de mesure a toutefois de lourdes conséquences, car une productivité plus élevée crée en général des rémunérations plus élevées.

“En termes réels, l’impact sur le revenu est toujours positif. Les produits deviennent moins chers par l’automatisation. Et un smartphone remplace par exemple un grand nombre d’appareils. C’est une grande économie.”

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