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Données médicales: “Ils savent tout sur vous”

Des médecins travaillant pour une compagnie d’assurances ont accédé aux données médicales d’une série de patients belges. Cette grave intrusion, qui vient d’être dévoilée par nos confrères du journal De Morgen, est une nouvelle preuve concrète de notre totale impuissance à garder le contrôle sur nos données numériques les plus intimes.

Saviez-vous que neuf millions de Belges ont confié leur dossier médical à la plateforme en ligne e-health ? Faites le test, connectez-vous sur masanté.be. Il y a une forte probabilité pour que votre historique de santé (consultations, examens, rapports médicaux, vaccinations, radiographies, interventions chirurgicales, hospitalisations, allergies, maladies, etc.) soit stocké sur cet espace partagé, où peuvent se connecter la plupart des professionnels des soins du pays.

Grâce à ce dossier médical en ligne, un service d’urgence qui accueille un patient peut instantanément connaître ses antécédents médicaux. C’est un outil indispensable, qui peut sauver des vies. Mais la consultation, le traitement et le partage de ces données doivent s’accompagner de garde-fous. L’actualité démontre malheureusement que les digues ont sauté, puisque des médecins totalement étrangers au traitement des patients ont accédé à leurs dossiers. ” Scandaleux “, a réagi le cabinet de la ministre de la Santé Maggie De Block (Open Vld). Il y a eu des défaillances, il faudra donc resserrer la vis. C’est une question de confiance. Celle-ci s’est déjà fortement distendue avec les géants du Net comme Google et Facebook, les grands spécialistes mondiaux du triturage de données personnelles. Il ne faudrait pas que le même phénomène s’étende à des institutions plus proches de nous.

La crainte, légitime, est de voir se développer une forme de surveillance numérique de notre intimité. La gravité de l’intrusion tient au fait qu’une compagnie d’assurances, par l’intermédiaire d’un médecin travaillant pour elle, se permet de fouiner dans l’historique de santé de certains patients. On peut facilement imaginer l’idée : vérifier qu’un assuré est bien atteint de la pathologie qu’il a déclarée ou qu’il n’a pas dans son dossier médical de circonstances excluant sa couverture.

Les dérives ne sont pas loin. Grâce à la technologie, la porte s’entrouvre vers un système assurantiel reposant non pas sur la collectivisation des risques, mais sur le monitoring permanent des comportements individuels. Et si, demain, votre assureur revoyait votre prime à la hausse parce que votre balance connectée indique que vous mangez trop gras, trop sucré, trop salé ? Parce que votre historique de géolocalisation montre que vous n’allez à la salle de sport qu’une fois par mois ? Parce que votre bracelet connecté dénonce le fait que vous faites moins de 6.000 pas par jour ?

Dans ” A la Trace. Enquête sur les nouveaux territoires de la surveillance ” (Ed. Premier Parallèle), le journaliste Olivier Tesquet met en garde sur ce contrôle permanent de nos paramètres vitaux : ” La santé est un excellent prisme pour percevoir les dangers d’une existence séquencée en histogrammes, surtout dans une société qui, par son obsession du bien-être, fabrique des malades. Imaginez que votre frigidaire sache que vous buvez trop de sodas. (…) Imaginez que ces informations soient transmises à votre assureur, qui s’inquiète pour votre cholestérol “.

Nous ne nageons pas en plein fantasme dystopique. Aux Etats-Unis, un assureur octroie des réductions à ses clients qui acceptent d’être suivis à distance par leur bracelet Fitbit. Des patients atteints d’apnée du sommeil ont perdu une partie de leur remboursement parce qu’ils n’utilisaient pas suffisamment leur masque à oxygène dont les données sont transmises à leur compagnie d’assurance.

En Europe, nous pensons être loin de tout ça. Nous nous targuons d’avoir adopté le RGPD, un règlement protégeant strictement notre vie privée. C’est un bel outil. Mais il ne nous a pas empêchés de capituler face aux grandes plateformes internationales qui nous abreuvent d’ingénieux services gratuits en échange de nos données personnelles. Dans le domaine de la santé, ce genre de compromis n’est pas acceptable.

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