Aerospacelab: “J’espère produire deux satellites par jour”
La start-up fondée par Benoît Deper a réussi en juin le lancement d’un premier satellite d’essai, Arthur. Elle prépare une véritable chaîne d’assemblage de satellites, surfant sur le succès de SpaceX et la percée des micro-satellites.
D’ici trois ou quatre ans, la future usine d’Aerospacelab produira jusqu’à deux satellites par jour en Wallonie. C’est l’objectif visé par Benoît Deper, fondateur de la start-up née en 2018. L’entreprise, basée à Mont-Saint- Guibert, développe des micro- satellites à des tarifs attractifs pour développer de l’intelligence géospatiale, la recherche d’informations tirées d’analyse d’images. Elle fait partie des entreprises nées dans le sillage de SpaceX, créée par Elon Musk, qui a bousculé le marché spatial avec des lanceurs nettement moins chers que ceux qui faisaient le marché, notamment ceux de la société européenne Ariane, qui en a été déstabilisée.
Le 30 juin dernier, l’entreprise wallonne a lancé son premier satellite de 25 kg, Arthur (le prénom du fils de Benoît Deper, deux ans et demi), sur un lancement d’une fusée Falcon de SpaceX. “Jusqu’à maintenant, tout fonctionne comme prévu”, assure le CEO de l’entreprise, qui occupe 75 personnes au siège de Mont-Saint-Guibert.
Des micro-satellites d’environ 150 kg
Ce genre de vol d’essai est indispensable pour que les clients commerciaux confirment leurs intentions de recourir à Aerospacelab. “Nous allons envoyer un satellite de test tous les six mois pour mieux définir leur enveloppe, leur capacité. Le prochain sera plus gros, environ 150 kg. C’est le format qui intéresse la clientèle.” Le premier satellite “commercial” devrait être lancé fin 2022.
Aerospacelab développe et fabrique de petits satellites qui permettront d’améliorer l’exploitation de l’observation spatiale dans des domaines comme l’agriculture, la sécurité et même la finance des traders. La société assure aussi l’analyse des données.
Le cousinage entre Odoo et Aerospacelab
Le point commun entre Odoo et Aerospacelab? Leurs fondateurs respectifs, Fabien Pinckaers et Benoît Deper, sont tous deux sortis de l’UCL et font partie du comité du cercle des ingénieurs. Fort actifs à bien des choses, ils n’étaient pas le plus assidus dans les auditoires. Tous les deux sont “disruptifs” dans leur domaine, pour employer un terme consacré. Odoo pousse l’approche du logiciel ouvert dans les programmes de gestion, qui n’était pas son domaine de prédilection. Et Aersospacelab développe une nouvelle méthode de construction et de conception de satellites, plus rapide et meilleur marché. Ils ont aussi un actionnaire commun, le français Xange (groupe Siparex), qui a investi en 2014 dans Odoo, en 2018 dans Aerospacelab. Enfin, Aerospacelab compte bien utiliser des logiciels Odoo open source pour gérer sa production.
“Dans le domaine agricole, les satellites font du bon boulot qualitativement mais quantitativement, il n’y a pas assez d’images, estime-t-il. Sentinel-2, de l’ASE ( Agence spatiale européenne, Ndlr), est le meilleur satellite au monde pour cela mais il ne produit qu’une image par semaine. Le problème, c’est quand il y a des nuages: vous n’avez une bonne image que toutes les deux ou trois semaines. Les résultats sont alors difficiles à exploiter pour les cultures. Pour améliorer le service, il faudrait obtenir une image par jour, ce qui fait, compte tenu de la météo, une bonne image tous les deux ou trois jours, ce qui permet de ne pas rater pas les échéances: mettre de l’engrais, arroser ou pas, etc. Dans le contexte actuel, augmenter la cadence serait trop cher. En abaissant le prix par satellite, on peut améliorer le service.” D’ailleurs l’ASE est l’une des premières clientes d’Aerospacelab. Elle est notamment intéressée par un satellite cousin de Sentinel-2 sur le mode low cost.
Pour se développer, Aerospacelab va construire une chaîne de fabrication de satellites en Wallonie.
“On est à l’aube d’une transformation”
Benoît Deper se montre critique sur le secteur spatial tel qu’il s’est développé, ou plutôt figé, depuis l’épopée du programme Apollo et de la navette spatiale. “C’est un secteur qui a une image high-tech, mais il est devenu plutôt médiocre”, aime-t-il répéter. Il est surtout constitué d’agences publiques et a longtemps été fourni par un petit nombre d’entreprises à des coûts élevés, avec des processus de développement très longs. “On est à l’aube d’une transformation”, estime-t-il.
Deux initiatives ont bousculé les choses, les CubeSat et SpaceX. Depuis deux décennies, des universités américaines ont travaillé sur des nano-satellites bon marché, appelés CubeSat, des approches standardisées et miniaturisées (un CubeSat de base fait 10 cm sur 10 cm). Ils sont lancés gratuitement en grappes par la Nasa, du moins pour les universités, en même temps que des plus gros satellites. Aerospacelab s’en inspire. “Les CubeSat sont des satellites de 1 à 20 kg destinés à être installés dans des boîtiers fermés, des dispensers. Nous voulons construire de plus gros satellites, entre 100 et 300 kg, en s’inspirant de la philosophie CubSat qui a formé une génération d’ingénieurs”, continue Benoît Deper. Il n’achète pas de composants sur étagère, comme c’est possible pour les CubeSat, pour des raisons de qualité et préfère les concevoir et les assembler maison, en ce compris les panneaux solaires. C’est que ces satellites doivent tenir cinq à sept ans…
Un premier satellite d’essai lancé
L’arrivée des fusées Falcon de SpaceX a réduit le coût des lancements, qui se font dans une approche nouvelle, dite de rideshare (véhicule partagé). Les lancements reviennent à moins d’un million de dollars par satellite. Le satellite Arthur a été lancé dans une fusée qui comptait 85 satellites.
L’autre approche qui inspire Benoît Deper est le développement agile. “Je l’ai expérimenté à la Nasa quand j’y ai été en stage”, continue-t-il. L’agence américaine voulait étudier cette approche qui marie la Silicon Valley et le spatial, où les processus sont généralement très longs et coûteux. “Dans la version classique, linéaire, on commence par faire deux ou trois ans d’études théoriques pour définir un cahier des charges, puis on fabrique la machine, on la teste et on l’envoie. C’est impossible d’avoir un cahier des charges parfait du premier coup, donc chaque changement bouscule le planning et les coûts. L’approche agile, cela consiste à sortir des mises à jour à un rythme élevé, toutes les semaines, par exemple pour un logiciel. Il s’agit de versions incomplètes mais vous gagnez du retour d’expérience de chaque version, vous déminez plein de problèmes avant d’arriver à la version finale.”
Mesurer des stocks de pétrole
Quel est le marché potentiel pour des satellites bon marché, de quelques millions d’euros (lancement compris) la pièce? “Il est important mais les prévisions sont difficiles à faire. Il y a les prévisions faites par Euroconsult, mais il n’avait pas vu venir deux ou trois révolutions du marché spatial. SpaceX et le lancement de plus de 1.600 satellites Starlink (pour l’accès à internet), personne ne les a vus venir.”
Alors, Benoît Deper visite des clients potentiels. Par exemple, le monde des traders est très intéressé par des données en temps réel sur les échanges commerciaux, en mesurant les variations du nombre de bateaux dans les ports, de conteneurs, de camions, d’avions, bien avant que les statistiques officielles soient publiées. “Il y a des domaines où l’amélioration peut être très significative. Des concurrents vendent du monitoring de stocks de pétrole avec une image par mois, ça ne veut rien dire. Il faut une plus grande fréquence, ce qui nécessite de grosses centaines de satellites pour amener de l’information qui a du vrai contenu”, continue Benoît Deper.
“Nous pouvons mesurer l’évolution des stocks de pétrole avec un mélange d’images optiques et radar, l’analyse thermique permet, par exemple, de relever le niveau d’une cuve de pétrole”, poursuit le CEO. Cela intéresse aussi les compagnies pétrolières elles-mêmes pour vérifier leurs données internes.
La difficulté est de stabiliser le business model. “A l’origine, nous partions de l’idée de lancer nos satellites, quelques dizaines au minimum, et de vendre les données. Mais à mesure que nous avons des contacts, il y a une grande variété de demandes.” Certains clients préfèrent acheter les données ou leur analyse, d’autres souhaitent acheter des satellites, avec ou sans le lancement. D’autres souhaitent installer un élément sur un satellite existant pour y faire des expériences, dans le domaine médical/pharmaceutique par exemple.
Une future usine à satellites pour 2024
Pour se développer, Aerospacelab doit construire une chaîne de fabrication de satellites. “Nous souhaitons en sortir jusqu’à deux par jour, soit jusqu’à 440 satellites par an”, assure Benoît Deper qui est en train de boucler le dossier de cette megafactory, dont le lieu est encore confidentiel. “Mais ce sera en Wallonie”, promet-il. L’usine devrait être prête en 2024 pour une production à partir de 2025. En attendant une chaîne de production plus petite, de 2.000 m2, est en voie d’aménagement à Louvain-la-Neuve, dans les anciens bâtiments de recherche de Shell (parc Monnet). “Nous souhaitons y produire deux satellites par mois.” Le premier satellite, Arthur, a été fabriqué au siège social de l’entreprise où une salle propre a été mise en place.
Ces développements imposeront un financement supplémentaire. Aerospacelab se développe sur une levée de 11 millions d’euros en 2018, souscrite par un venture capitalist français, Xange, la SRIW et des business angels. Une nouvelle levée de capital devrait avoir lieu d’ici la fin de l’année.
“Je dessinais des navettes spatiales”
L’espace intéresse Benoît Deper depuis longtemps. “Je dessinais des navettes spatiales quand j’étais petit”, explique-t-il. Il avait entrepris ses études dans cette perspective, comme ingénieur civil à l’UCL. Puis, il a suivi des formations, notamment à Supaero à Toulouse. Il a fait un stage à la Nasa et à l’ASE. Il a participé pendant trois ans à un projet fou, Swiss Space Systems, une start-up lancée en 2012 pour développer une navette à lancer depuis un avion afin de lâcher des satellites ou faire voyager des passagers en vol suborbital (un peu comme le fait Virgin Galactic). Faute de moyens (“il aurait fallu des centaines de millions, sinon un milliard d’euros”), le projet s’arrêta. Benoît Deper a alors envisagé un MBA à l’IMD de Lausanne. “J’ai renoncé, puis j’ai demandé à y faire des travaux de recherche” qui consistaient en fait à concevoir les bases de ce qui deviendra Aerospacelab. C’est à l’IMD que l’ingénieur a pu mieux appréhender la dimension business du marché de l’espace.
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