Paul Vacca

Faust 2.0: le nouveau pacte de la célébrité

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Il ne faut plus que les stars “prêtent” leur image à un produit qui leur est extérieur, mais qu’elles “donnent” de leur personne.

Evoquer le mythe de Faust pour décrire les affres de la célébrité est un archétype des plus classiques. Des écrivains d’hier aux influenceurs d’aujourd’hui en passant par les stars de cinéma ou les vedettes de la téléréalité, court toujours l’idée que la réussite résulterait d’un pacte passé avec le diable ou, si l’on ne croit pas au diable, avec le public. Et qu’il existerait toujours, pour qui accède à la lumière, une contrepartie à payer. Ce mythe nourrit tout autant les grands récits hollywoodiens – comme Sunset Boulevard ou All About Eve – que les micro-fictions, rumeurs ou “paparazzades” des magazines people autour de la grandeur et servitudes des célébrités.

Il ne faut plus que les stars “prêtent” leur image à un produit qui leur est extérieur, mais qu’elles “donnent” de leur personne.

Reste que les clauses du pacte, elles, ne sont pas immuables. Le contrat n’était pas régi selon les mêmes termes à l’époque du muet, empreint d’une certaine verticalité, qu’à l’ère d’Instagram et de TikTok, où l’on est contrait de mimer une certaine proximité. La nature même de la célébrité mute en même temps que les médias se transforment. C’est ce qui ressort de l’article de la journaliste Amanda Hess dans le New York Times qui décrypte le nouveau rapport des célébrités à la publicité.

Il fut un temps où les stars qui se commettaient dans des spots publicitaires étaient irrémédiablement déchues. Exception faite pour les produits de luxe ou de mode, cela équivalait à descendre de l’Olympe: la preuve que la star était comme n’importe quel être humain, animée par le besoin de payer des factures ou le signe fatal d’une perte de mojo.

Or, les choses changent sur ce terrain, note Amanda Hess. A l’appui de sa démonstration, elle prend l’exemple de George Clooney. Au début des années 2000, l’acteur qui a entamé un mariage publicitaire avec Nespresso souhaite que la campagne ne soit diffusée qu’à l’étranger. Une pratique très courante à l’époque aux Etats-Unis, où les stars acceptaient de s’acoquiner avec des marques commerciales… mais pas à domicile. Fatalement, le public américain finit par prendre connaissance de ces spots via internet. “What else?” dira-t-on. Eh bien, cela provoqua une campagne de dénigrement au point que Clooney jugea utile de se justifier: les cachets auraient servi à financer un satellite de surveillance visant un criminel de guerre soudanais. Le péché de publicité racheté par une contrition citoyenne.

Pourtant, en 2017, quand l’acteur s’associe pour créer une marque de tequila, revendue depuis pour un milliard de dollars, il ne s’en cache nullement et l’évoque ouvertement en interview. Et ne subit aucun retour de bâton. C’est que le pacte a changé. On accepte désormais que les stars fassent de la publicité, mais sous certaines conditions: il ne faut plus qu’elles “prêtent” leur image à un produit qui leur est extérieur, mais qu’elles “donnent” de leur personne. Il faut que les célébrités investissent et s’investissent dans le produit qu’elles défendent.

Les réseaux sociaux ont en partie modifié le rapport à la célébrité le rendant plus personnel (ou perçu comme tel) avec une certaine forme d’authenticité (ou perçue comme telle): on demande que la star promeuve un produit auquel elle croit vraiment, à savoir ses propres affaires. Ainsi, on ne compte plus le nombre de projets “authentiques et personnels” portés par des célébrités: Rihanna pour du maquillage, Ellen DeGeneres pour des oreillers, Drake pour du champagne, Jennifer Garner pour des aliments bios pour bébé, Snoop Dogg pour du cannabis ou Gwyneth Palthrow avec sa marque Goop, etc., etc. A se demander si le pacte faustien ne s’est pas soudainement inversé. Et si désormais, pour une star, avoir sa marque n’est pas devenu la marque qui en fait précisément une star.

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