Registre UBO: une nouvelle obligation aux implications considérables
D’ici la fin septembre, tous les bénéficiaires effectifs de quelque forme de société ou d’entité juridique devront être identifiés au sein du registre UBO. Ce dernier sera accessible à tout un chacun, y compris vos concurrents et le fisc… Ce registre constitue ainsi un pas de plus vers un cadastre des fortunes complet en Belgique.
Depuis le 31 octobre 2018, les bénéficiaires de toutes les entreprises doivent être identifiés au sein d’un registre baptisé UBO pour Ultimate Beneficial Owner (bénéficiaire effectif final). Ce registre est géré par l’Administration générale de la Trésorerie au sein du SPF Finances. Selon la loi du 18 septembre 2017, transposant une directive européenne, chaque entreprise devait communiquer l’identité des bénéficiaires effectifs pour le 31 mars 2019 au plus tard, une date limite qui a été reportée au 30 septembre 2019. A défaut, l’amende peut atteindre 50.000 euros…
La loi anti-blanchiment de 2017 avait défini ce que le législateur entend par bénéficiaire effectif. Dans le cas d’une société, il s’agit de toute personne physique détenant une participation de plus de 25% ou exerçant un contrôle sur la société par d’autres moyens (notamment via un pacte d’actionnaire). Toutes les formes de participation sont prises en compte, y compris si elles sont détenues indirectement.
Les constructions actionnariales, pouvant être basées sur des accords privés/familiaux ou impliquer des structures internationales, doivent ainsi être révélées, souligne Didier Leclercq, legal partner chez BDO. “Si aucune personne physique ne répond à la définition de bénéficiaire effectif ou en cas de doute sur l’identité des personnes identifiées, le dirigeant principal de la société doit être renseigné dans le registre UBO”, confirme-t-il.
Perte d’anonymat
Toutes les sociétés sont concernées, du petit commerce local aux géants cotés sur Euronext Bruxelles en passant par les sociétés simples (sans personnalité juridique), ex-sociétés civiles de droit commun. Ces dernières étaient plébiscitées par de nombreux spécialistes de la planification patrimoniale en raison de leur flexibilité et de leur anonymat. Celui-ci est doublement remis en cause par l’obligation d’enregistrement auprès de la Banque-Carrefour des entreprises et l’identification des bénéficiaires dans le registre UBO. Et ce n’est pas tout, le registre ne cible pas que les sociétés, mais l’ensemble des constructions juridiques, ce qui inclut les ASBL, les AISBL, les fondations, les fiducies, les trusts, etc.
Pour chaque personne renseignée dans le registre UBO, l’entreprise doit dévoiler l’identité, l’adresse et surtout caractériser l’intérêt du bénéficiaire effectif : rôle, qualité, bénéficiaire individuel ou avec d’autres personnes, étendue de l’intérêt, nombre d’intermédiaires pour les bénéficiaires effectifs indirects. Il s’agit donc d’une véritable mise à nu concernant de très nombreux Belges allant de l’administrateur d’une ASBL locale au milliardaire en passant par les nombreux indépendants actifs en société. La fin d’un anonymat auquel beaucoup étaient attachés, qu’il s’agisse de se protéger ou de garder confidentiels certains arrangements familiaux.
Les adeptes du dicton “pour vivre heureux, vivons cachés” doivent également faire leur deuil de l’anonymat. Certains redoutent l’utilisation qui pourrait être faite de ces informations, notamment par des personnes malintentionnées.
L’épisode du kidnapping en 1983 de Freddy Heineken, PDG du géant brassicole à l’époque, continue de hanter les esprits de beaucoup de personnes fortunées. Première fortune belge, Alexandre Van Damme a ainsi développé une véritable phobie des médias. Alors qu’il semblait en pole position pour reprendre le Sporting Club d’Anderlecht dont il est fan, il a préféré s’exiler en Suisse. Selon des bruits de couloir, la publication en 2015 pour la première fois d’une photo de lui par la RTBF a largement contribué à son choix.
Fabrice Grognard, tax partner chez BDO, souligne pour sa part que les actionnaires s’inquiètent de l’accès à ces informations. Certaines peuvent être sensibles d’un point de vue économique, notamment si la structure actionnariale est dévoilée auprès des concurrents. Le registre géré par l’Administration générale de la Trésorerie est en effet largement consultable. Même s’il a été développé dans l’optique de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, il sera consultable par l’ensemble des agents du fisc. Plus troublant encore dans un pays plutôt habitué à la discrétion : le grand public aura également accès au registre UBO. Des garde-fous ont heureusement été prévus.
Monsieur Tout-le-Monde n’aura pas accès à certaines informations comme le prénom, l’adresse complète de résidence, la date de naissance du bénéficiaire effectif ou son numéro de registre national. Ces informations sont réservées aux autorités (publiques) compétentes et aux entités assujetties par la loi, à savoir les titulaires de professions économiques, les conseillers, les notaires, les avocats, les banques.
Dissuader les petits curieux
Le libre accès est par ailleurs limité aux sociétés, sur la base d’une recherche par nom ou numéro de l’entreprise afin de ne pas permettre au grand public d’obtenir en un clic une vue sur le patrimoine d’une personne. Dans le cas des autres entités juridiques concernées par le registre UBO, celui qui demande un accès aux informations du registre doit démontrer un intérêt légitime selon la FAQ publiée par le SPF Finances.
Afin de dissuader les petits curieux, des frais administratifs sont prévus pour accéder aux informations, de l’ordre d’une dizaine d’euros. Suffisant pour réfréner votre voisin qui voudrait tenter de savoir ce que vous possédez, mais pas les concurrents de votre entreprise ou des personnes malintentionnées par exemple. Didier Leclercq précise à ce titre que “l’Administration générale de la Trésorerie, gestionnaire du registre, pourra sur demande masquer les informations concernant les bénéficiaires mineurs ou frappés d’incapacité.”
Une dernière forme d’exception concerne les bénéficiaires craignant pour leur sécurité. Pour obtenir un masquage partiel ou total des informations les concernant, ils doivent toutefois démontrer que la divulgation de ces informations les “exposerait à un risque disproportionné, un risque de fraude, d’enlèvement, de chantage, extorsion, harcèlement, de violence ou d’intimidation”, précise l’arrêté royal du 30 juillet 2018 portant sur les modalités d’application du registre UBO. “Cette exception est toutefois très encadrée, selon Didier Leclercq. On ne connaît pas encore les modalités d’application exactes, mais il est d’ores et déjà acquis que les bénéficiaires qui souhaitent simplement rester discrets ne pourront compter sur cette possibilité.”
Fabrice Grognard souligne que tous les bénéficiaires doivent communiquer les informations nécessaires au gestionnaire du registre UBO. Les exceptions concernent en effet la mise à disposition des informations et nullement leur communication à l’Administration générale de la Trésorerie. L’administration fiscale sera donc dans tous les cas informée de vos intérêts dans différentes sociétés et entités juridiques. Pour le tax partner de BDO, cette réalité s’inscrit dans le cadre d’une transparence fiscale accrue et de la mise en place petit à petit d’un véritable cadastre des fortunes. Ce qui semblait encore impossible il y a une quinzaine d’années apparaît désormais de plus en plus faisable, voire probable.
Longtemps l’argument pratique a servi les opposants au cadastre des fortunes. Les exemples d’impôts sur la fortune à l’étranger étaient épinglés pour démontrer que cette tâche titanesque coûterait cher et rapporterait peu. Depuis 2005 et la décision de supprimer les titres au porteur, beaucoup d’eau a toutefois coulé sous les ponts (Lire l’encadré “Les grandes dates du cadastre des fortunes”). La crise financière de 2008 a fait basculer l’opinion publique. Un cadastre des fortunes apparaît même à portée de clavier pour le fisc belge. D’autant que ce dernier dispose depuis longtemps d’un cadastre des biens immobiliers en Belgique.
Depuis 2015, les Etats membres de l’Union européenne doivent communiquer aux autorités des autres Etats membres les revenus professionnels ainsi que la propriété de biens immobiliers de leurs résidents. Ces dernières années, les échanges d’informations ont dépassé les frontières de l’Europe. Récemment, la Belgique a notamment négocié des échanges sur les propriétés immobilières avec le Maroc ou la Tunisie dans le cadre de discussions sur la convention préventive de double imposition.
Fin du secret aussi à l’étranger
Fin 2014, une nouvelle directive européenne a étendu l’échange d’informations entre pays de l’Union européenne aux intérêts, dividendes et autres revenus financiers, aux soldes des comptes au 31 décembre de chaque année et aux opérations de vente d’actifs financiers. Cette directive est entrée en vigueur en 2017, mettant fin de facto au secret pour les non-résidents au sein de l’Union européenne.
En juillet 2014, l’OCDE a publié une version complète de la “norme mondiale d’échange automatique de renseignements relative aux comptes financiers en matière fiscale” dans le sillage du FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) progressivement imposé par les Etats-Unis. Rapidement, l’échange d’informations financières sur les comptes des non-résidents a ainsi dépassé les frontières européennes. Dès l’automne 2017, pas moins de 49 juridictions participaient au régime CRS (Common Reporting Standard, norme commune de déclaration) dont la Belgique, l’Espagne, la France, les îles Caïmans, l’Italie, les îles Vierges du Royaume-Uni, le Luxembourg, le Portugal, le Royaume-Uni. Ils ont été rejoints en 2018 par 52 autres juridictions dont l’Autriche, la Suisse, Andorre, les Bahamas, Hong Kong ou Monaco.
Toutes ces informations sont communiquées au point de contact central (PCC) en Belgique, un registre géré par la Banque nationale de Belgique (BNB). Depuis 2014, il collecte les numéros de compte et types de contrats (sans indication de montant) détenus par les personnes physiques et morales auprès d’institutions financières en Belgique. Il ne peut être consulté par le fisc que pour faciliter la détection de fraudes. Il suffirait toutefois d’une initiative du législateur pour permettre au fisc de cartographier plus précisément le patrimoine des Belges, tout particulièrement à l’étranger.
Le principal obstacle à un réel cadastre des fortunes en Belgique demeure le patrimoine mobilier détenu localement. La dématérialisation des titres n’a pas suffi à offrir au fisc une vue sur le patrimoine de chacun. Le registre UBO est toutefois un premier pas dans cette direction puisque le fisc saura de quelles entités une personne est bénéficiaire effectif. Evidemment, cette réalité implique un intérêt important dans l’entreprise, ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui détiennent des actions de multinationales cotées en Bourse, des obligations ou des fonds de placement. Actuellement, il est toujours possible de conserver une certaine discrétion sur l’étendue de son patrimoine même pour les personnes plus fortunées. En optant pour un prélèvement à la source, la taxe sur les compte-titres (applicable à partir de 500.000 euros) demeure en effet versée anonymement comme pour le précompte mobilier.
Beaucoup s’attendent toutefois à ce que le fisc belge continue d’avancer vers un cadastre des fortunes détaillé. Pour y parvenir, il ne manque plus que la communication des informations concernant les montants présents sur les comptes et contrats en Belgique. Pour le reste, la réalisation d’un cadastre des fortunes nécessite essentiellement une certaine organisation informatique afin de relier les différentes bases de données : cadastre immobilier, données du point de contact et registre UBO.
Justice fiscale
Fabrice Grognard constate à ce titre que la transparence fiscale est de plus en plus importante dans l’opinion publique. La tendance s’est fortement accentuée depuis la crise de 2008. Le spécialiste de BDO observe ainsi que le sujet de la justice fiscale est revenu à l’avant-plan lors des récentes tensions sociales en Belgique ou en France. “Sauf revirement surprise, la mise en place d’un cadastre des fortunes plus détaillé apparaît ainsi être surtout une question de temps”, estime-t-il. Reste à savoir ce que le fisc pourrait en faire.
Les derniers impôts liés à la fortune n’ont pas fait recette. La taxe sur la spéculation, qui n’aura vécu qu’en 2016, fut un véritable bide, rapportant moins que ce qu’elle a fait perdre en taxes sur les opérations de Bourse à la suite de la baisse du nombre de transactions. En ayant à sa disposition un cadastre détaillé des fortunes en Belgique et à l’étranger, le législateur pourrait évidemment davantage calibrer une taxe en fonction des revenus qu’il en espère. Selon les premières estimations, les recettes de la taxe sur les comptes-titres seraient également inférieures aux attentes. Elle frapperait de plus surtout la classe moyenne et moins les grosses fortunes.
Les grandes dates du cadastre des fortunes
2005 : décision de supprimer les titres au porteur avec l’interdiction d’émission à partir de 2008 et la conversion de tous les titres au 1er janvier 2014.
2011 : directive européenne 2011/16/UE sur l’échange d’informations concernant les revenus professionnels et immobiliers à partir de 2015.
2011 : loi prévoyant la création d’un point de contact central (PCC) pour les données bancaires en Belgique, opérationnel à partir de 2014.
2014 : l’OCDE publie la norme mondiale d’échange automatique de renseignements relative aux comptes financiers en matière fiscale.
2014 : 61 juridictions signent un accord activant l’échange automatique d’informations sur la base de la norme de l’OCDE.
2014 : directive européenne 2014/107/UE contraignant les Etats membres à échanger les informations sur les revenus et avoirs financiers à partir de 2017.
2015 : directive européenne 2015/849 concernant la mise en place d’un registre des bénéficiaires effectifs (UBO).
2017 : loi belge transposant la directive européenne portant sur le registre UBO.
2018 : arrêté royal concernant les modalités d’application (étonnantes) du registre UBO.
2018 : plus de 100 juridictions appliquent l’échange automatique d’informations suivant la norme développée par l’OCDE.
2019 : tout bénéficiaire effectif doit être identifié au registre UBO avant la fin septembre.
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