Petite entreprise deviendra grande?

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La Belgique est une terre de PME. Voire de TPE. Mais pourquoi les entreprises ne parviennent-elles pas à augmenter leur taille ? Peut-être d’abord parce qu’elles n’en ont pas envie. Et que de nombreux freins (fiscaux, familiaux, d’accompagnement…) subsistent.

Au dernier décompte (c’est-à-dire celui réalisé fin 2012 par le SPF Economie), la Belgique comptait 814.159 entreprises assujetties à la TVA. Près de 80 % d’entre elles, à savoir 640.886 sociétés sont en réalité des indépendants isolés. Plus on grimpe dans le nombre d’employés, plus le nombre de firmes diminue (voir tableau “Nombre d’employés dans les entreprises belges”).

Un mal bien belge. Encore plus aigu en Wallonie. Sur les 256 firmes de plus de 1.000 travailleurs, seules 42 sont wallonnes, contre 111 en Flandre. Selon une moyenne (et non une médiane) réalisée par l’Union wallonne des entreprises (UWE), les PME du Sud compteraient 9,3 salariés à leur bord, contre 11,1 pour le reste du territoire. “Cela fait longtemps que la Belgique n’a plus connu de grosses success stories”, note Xavier De Poorter, directeur et fondateur d’ICHEC-PME. “Cela résulte d’une tendance européenne, ajoute Didier Paquot, directeur du département économie de l’UWE. Le nombre de grandes structures diminue. La mode est aux sociétés moyennes, qui sous-traitent, qui externalisent. Mais la Wallonie manque cruellement de boîtes de 200 à 800 personnes. C’est au contraire ce qui fait la force de la Flandre ou de l’Allemagne.”

Air connu. Mais pourquoi tant de TPE ou PME peinent à déployer leurs ailes ? Peut-être s’agit-il d’abord tout simplement d’une question d’envie. “Les indépendants sont en règle générale des hommes de métier, souligne Arnaud Deplae, directeur du service d’études de l’Union des classes moyennes (UCM). S’ils passent un certain seuil, ils auront l’impression de ne plus pouvoir exercer concrètement leur profession mais de devenir des entrepreneurs, ce qui n’est pas forcément leur ambition.”

Suivre ou forcer… Beaucoup se contentent d’une gestion en bon père de famille. “La vision politique de la croissance ne correspond pas à celle des patrons, avance Xavier De Poorter. Une PME, la plupart du temps familiale, voudra parvenir à suivre le marché. De là à forcer la croissance, cela devient très différent.”

Aussi, qui dit développement dit ouverture du capital. Rares sont les dirigeants qui peuvent se passer d’investisseurs et donc d’actionnaires pour continuer à avancer en cercle familial restreint. “Les dirigeants (ou leur famille, en cas de succession future) n’ont pas toujours envie de perdre le contrôle absolu”, observe Didier Van Caillie, professeur à HEC-ULg et directeur du CEPE (Centre d’étude de la performance des entreprises).

Curieusement, même si les banques réfléchissent désormais à deux fois avant de délier les cordons de leur bourse, la recherche d’argent frais ne constituerait pas un frein majeur au développement. “De bons projets, solides, trouvent toujours du financement, même si c’est peut-être plus dur dans certains secteurs que dans d’autres”, affirme Didier Paquot. Trouver les moyens humains nécessaires – soit “des gens qualifiés, prêts à s’investir ou tout simplement motivés”, dixit Xavier De Poorter – se révélerait une tâche bien plus ardue.

Sans oublier qu’engager coûte cher. Trop cher, aux yeux de Christine Mattheeuws, présidente du Syndicat neutre pour indépendants, qui rappelle qu’un salaire net doit être multiplié par deux et demi voire trois pour obtenir ce que débourse réellement un patron. “Les entrepreneurs évitent de recruter car cela coûte très cher. Ils préfèrent rester petits. Bien sûr, il existe des aides. Par exemple pour l’engagement des premiers employés ou pour la main-d’oeuvre occasionnelle. Mais il s’agit de mesures ‘plic ploc’ et non structurelles”, regrette-t-elle.

Qui a peur des syndicats ? Toujours en matière d’embauche, des dirigeants préféreraient ne pas franchir le cap des 50 ou 100 travailleurs. Caps à partir desquels ils sont tenus de prévoir une représentation syndicale et de mettre en place un conseil d’entreprise. Craintes fondées ou non, certains patrons s’en tiendraient strictement à 49 ou 99 collaborateurs et pas un de plus…

“Il existe énormément d’aides à la pré-création et à la création d’entreprises, mais peu d’accompagnement à la croissance”, poursuit Xavier De Poorter. Surtout en Wallonie, où les couveuses et autres organismes de soutien au lancement pullulent. Et se marchent (presque) sur les pieds. “Une concurrence qui fait qu’elles acceptent parfois de mauvais dossiers, qui ne seront pas assez solides pour durer”, juge Didier Van Caillie. Une situation différente en Flandre, où deux organismes principaux cristallisent l’aide aux PME : le Tussenstap et l’Efrem. C’est plus visible. D’autant qu’une étude réalisée en 2012 montre que les dirigeants wallons ne savent généralement pas à qui s’adresser, si ne n’est aux interlocuteurs fortement identifiés comme l’Awex, le Forem ou les chambres de commerce. “Il ne faut pas mettre en place de nouvelles structures, mais mieux utiliser celles qui existent”, estime le professeur d’HEC-ULg. Le recours aux consultants privés, pour sa part, ne serait pas vu d’un très bon oeil (tarifs trop élevés, méfiance vis-à-vis du caractère hétéroclite de l’offre en la matière).

Malgré tous ces freins, donner aux dirigeants des envies de croissance passerait par la mise en place de réseaux. “Il faut faire en sorte que des entrepreneurs qui partagent les mêmes ambitions se rencontrent, échangent, parlent de leur expérience, propose Xavier De Poorter. C’est de là que naîtra l’émulation.” Et d’ajouter qu’il faudrait travailler sur la perception de la croissance dans l’esprit dirigeant et dans l’inconscient collectif. “Il faut améliorer le climat général, afin que les patrons se sentent aidés, enchaîne Didier Paquot. La réussite, en Wallonie, manque encore de reconnaissance sociétale.”

Peut-être aussi se dirige-t-on vers une économie où il n’y a pas que la taille qui compte ? “Aujourd’hui, il est devenu de plus en plus compliqué pour une entreprise de tout gérer seule. Le développement économique ne passera plus nécessairement par la grandeur mais par la capacité à s’intégrer dans les réseaux de structures aptes à travailler ensemble, prédit Didier Van Caillie. L’approche en clusters, comme celle qui est développée en Wallonie via les pôles de compétitivité, va dans le bon sens. Mais trop peu de sociétés intègrent le mouvement. Ce sera là leur défi pour le futur.”

Mélanie Geelkens

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