Maison Vervloet, la serrurerie élevée au rang d’art

La maison Vervloet est aujourd'hui représentée par Isabelle Hamburger, arrière-petite-fille de son fondateur. © OSKAR2

Voilà bientôt 115 ans que la Maison Vervloet fait briller portes et poignées aux quatre coins du globe. La quincaillerie familiale ouverte en 1905 s’est, au fil des générations, muée en une entreprise internationale qui a su se réinventer tout en perpétuant le savoir-faire et les valeurs qui font sa force.

Quand il s’agit de l’aménagement ou de la rénovation d’une résidence privée, d’un restaurant, d’un hôtel voire d’un yacht, il y a des détails qu’on ne remarque peut-être pas tout de suite mais qui font toute la différence. La qualité et la beauté des serrures et poignées de porte, par exemple. On exige certes d’elles d’abord solidité et efficacité, mais on réagit aussi à leur toucher, on s’attarde sur leurs lignes. Les uns sont ainsi séduits par des courbes épurées, modernes, dans des tons sombres ou métalliques, les autres leur préfèrent parfois des modèles plus classiques, ciselés et recouverts d’or, à moins qu’ils ne succombent aux courants Art nouveau et Art déco…

Cette diversité de goût, la Maison Vervloet l’a bien appréhendée, elle qui propose aujourd’hui plus de 45.000 modèles de poignées et boutons de porte, béquilles, rosaces, heurtoirs, etc. Soit la plus vaste collection de serrurerie du monde. Des pièces acquises durant plus d’un siècle par quatre générations. “L’histoire de la maison a débuté en 1905, raconte sa directrice Isabelle Hamburger, descendante directe du fondateur, Joseph Vervloet. Mon arrière-grand-père avait racheté une quincaillerie à Ixelles. Au départ, la maison était plutôt portée sur des pièces techniques, peu décoratives. Mais au fur et à mesure, il a acheté plusieurs collections, tout comme mon grand-père et mon père après lui. Ce qui fait que nous disposons aujourd’hui d’une gamme très étendue, à laquelle s’ajoutent chaque année de nouvelles créations.”

Clientèle internationale

Sous la direction d’Isabelle Hamburger et de son équipe, le catalogue de la maison, installée depuis une petite trentaine d’années à Molenbeek, propose aujourd’hui 12 styles différents, du gothique au design contemporain en passant par Louis XIV et l’Art déco. Et séduit une clientèle variée. “Nous sommes contactés par des architectes, des décorateurs, des menuisiers, des prescripteurs qui gèrent des chantiers de bout en bout… Ce sont essentiellement des professionnels, mais nous travaillons aussi pour des particuliers. Dans l’immobilier, mais aussi le yachting et l’aviation. Pour le moment, nous collaborons beaucoup avec le secteur de l’hôtellerie. Notamment pour des hôtels particuliers en construction ou en rénovation en France. Mais nous sommes aussi très actifs au Moyen-Orient.”

Un marché que la maison a conquis dans les années 1960, sous l’impulsion du grand-père d’Isabelle. “Il avait décidé d’exporter le savoir-faire de la maison vers des pays comme l’Iran, l’Arabie saoudite, le Liban, etc., explique-t-elle. Cela a marqué un vrai tournant dans notre histoire. Jusque-là, Vervloet travaillait essentiellement en Belgique et en Europe, en France et en Allemagne notamment. C’est par le biais d’expositions dans ces pays que des contacts ont été pris vers le Moyen-Orient, où les clients sont bien plus au fait des tendances que ce que l’on peut imaginer”.

Ce qui fait la force de la maison ? Un ensemble de choses. “Notre clientèle apprécie notre flexibilité, la taille de notre collection, la qualité de notre service, poursuit la cheffe d’entreprise. Nous sommes hyper-réactifs et, surtout, nous ne disons jamais ‘non’. Nous partons du principe que tout est possible.

Et il y a évidemment le respect du savoir-faire. Nous veillons à toujours livrer des produits de qualité irréprochable. Enfin, nos clients sont séduits par la qualité exceptionnelle de notre finition et de notre ciselure.” Un savoir-faire que la maison entretient précieusement. “Nous employons une vingtaine de personnes, dont une poignée de ciseleurs. Nos artisans ont de l’or dans les doigts. Il n’existe plus d’école proprement dite pour apprendre à manier cet art, nous formons les gens nous-mêmes.”

La maison propose aujourd'hui plus de 45.000 modèles de poignées et boutons de porte, béquilles, rosaces, heurtoirs, etc.
La maison propose aujourd’hui plus de 45.000 modèles de poignées et boutons de porte, béquilles, rosaces, heurtoirs, etc. © S. Derouaux

L’amour du beau en héritage

Le respect du savoir-faire est une des valeurs parmi d’autres qu’Isabelle Hamburger tient de ses ancêtres. “Etre à la tête de la maison, c’était un rêve de petite fille. Quand j’étais enfant, mon père voyageait énormément, au Moyen-Orient entre autres. Il revenait de ses voyages avec pleins d’histoires qui me faisaient rêver. Il était alors évident pour moi que, devenue grande, j’irais aussi vendre des poignées dans le monde entier. J’ai donc suivi une formation en architecture d’intérieur à Saint-Luc, puis j’ai suivi des cours de management. Parfois, je me demande pourquoi j’ai tenu à faire ce métier, ma mère m’avait pourtant mise en garde (rires). Mais je suis passionnée et j’ai trouvé les bonnes personnes pour m’accompagner à la tête de la maison.”

Une maison, qui n’appartient plus à 100% à la famille, mais dont elle est aujourd’hui le seul membre à tenir les rênes avec un associé, Nicolas Marinus, general manager, depuis presque deux ans. “Depuis son arrivée, nous sommes mieux structurés, organisés… La mise en place de la stratégie est cadrée et suivie de manière plus professionnelle. A ce niveau-là, nous ne sommes plus dans l’artisanat.” Reste que les valeurs familiales jouent toujours un rôle clé dans la philosophie de l’entreprise. “Cet héritage se traduit dans le respect du client, mais aussi dans l’amour du travail bien fait.”

Il ne devait pas être facile, on l’imagine, d’hériter d’une telle maison. D’autant qu’Isabelle Hamburger ne s’est pas contentée d’en assurer la continuité. Elle l’a aussi fait entrer dans la modernité. “Au début des années 2000, je me suis rendu compte que l’on qualifiait tout le temps la maison de traditionnelle, alors que l’on vendait aussi du contemporain. J’ai voulu casser cette image.” Un lifting qu’elle opéra alors en trois temps. “En 2005, pour notre centenaire, j’ai lancé un concours de design international. J’ai eu la chance de convaincre Andrée Putman (architecte d’intérieur et designer de renom française, Ndlr) de le présider. Sa présence a conféré au concours une dimension internationale et on a reçu des candidatures de jeunes créateurs du monde entier.”

Le souffle nouveau

Une première prise de contact avec cette génération créative allait ouvrir un nouveau volet. “Vers 2008, 2009, on a connu un moment de panique. Comme si certains pays avaient été rayés de la carte ; plus aucune commande ne nous parvenait d’eux. C’est à cette époque que s’est alors concrétisée l’idée de collaborations avec de jeunes designers. On a lancé notre première collaboration avec le Belge Jean-François D’Or. Depuis, chaque année, on travaille avec un ou deux designers pour lancer de nouvelles collections. On doit même en refuser. Les designers ont apporté un souffle nouveau. La collaboration avec Jean-François est particulièrement importante car il est si pointilleux et perfectionniste qu’il nous a faits évoluer. Il nous a amenés vers d’autres choses. Grâce à lui, nous avons développé de nouvelles techniques de production. Nous avons aussi lancé ce que nous appelons les modèles light. Il s’agit d’une autre version des modèles phares, dont on réduit le coût soit par le choix de la matière soit par la fabrication. On peut, par exemple, acheter une poignée d’un designer pour 90 euros. Ce qui nous permet de toucher une clientèle bien plus large.” Une alliance qui a porté ses fruits : “Aujourd’hui, 50% de nos ventes, ce sont des pièces des collections designer.”

Dernière opération enfin : l’image ! “En 2015, pour les 110 ans de la maison, j’ai fait opérer un rebranding complet de la marque pour casser définitivement l’image de maison traditionnelle. Avec l’agence Base Design, on a revu complètement notre manière de communiquer, d’exposer, on a refait notre logo, plus épuré.”

Un relooking complet, qui s’est accompagné aussi d’une nouvelle façon de présenter le catalogue, plus segmentée. “On propose désormais deux gammes, que nous avons durant leur gestation baptisées ‘Haute Couture’ et ‘Prêt-à-Porter’ : la gamme Maison, avec des pièces chics, et la gamme Collection, avec les pièces de designers. Avec aussi, en parallèle, un pôle de création, où l’on se fait plaisir avec des projets uniques. Et ça a fonctionné ! Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de Maison Vervloet oscille ainsi entre 2,5 et 3,2 millions d’euros par an.

Exposer en ville

Forte du succès remporté et de la place en vue que la maison occupe, Isabelle Hamburger n’entend pas se reposer sur ses lauriers. “Conserver notre qualité reste un défi quotidien. Construire un réseau de distributeurs compétents dans le monde entier également. J’ai à coeur de trouver des ambassadeurs de qualité qui sauront porter haut nos valeurs.” Plus proche de nous, elle confesse aussi rêver d’un point d’exposition sur Bruxelles. “La maison est installée dans un quartier isolé du centre, ce qui nous fait louper la clientèle dite de passage. En 2016, nous avons ouvert un pop-up store dans le quartier Brugmann, qui a créé la surprise. Je ne répéterais pas l’expérience même si elle fut très positive, mais je songe à trouver un point d’exposition en ville.” De quoi aussi faire profiter chacun de la beauté des fines réalisations de la maison.

5 dates clés

1905. Fondation par Joseph Vervloet, à Ixelles, sur la chaussée de Wavre.

1992. Déménagement dans l’ancienne imprimerie de la rue de la Borne à Molenbeek.

2005. Centenaire de la maison et organisation d’un vaste concours international de design présidé par Andrée Putman.

2009. Lancement de la première collaboration avec un designer, le Belge Jean-François D’Or.

2015. “Rebranding” complet de la maison.

Sigrid Descamps

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