“Les frustrations freudiennes”, sources de conflits dans les entreprises familiales

© Philippe Haspeslagh

Philippe Haspeslagh, président du conseil d’administation d’Ardo, le plus important groupe de produits surgelés d’Europe, n’est pas tendre avec les entreprises familiales et leur fonctionnement.

Philippe Haspeslagh a émis cette réflexion au cours de la Trends Family Academy, un congrès ayant pour thème principal les entreprises familiales, qui s’est tenu début décembre. Un panel-débat, sous la direction de Nikolaas Tahon, managing director de Deloitte Accountancy, a étudié de plus près les relations entre des actionnaires familiaux actifs et non actifs. Comment faire pour obtenir que les deux soient satisfaits ?

Philipple Haspeslagh témoignait au sujet de la fusion entre Ardo et Dujardin, deux entreprises du secteur des légumes surgelés, qui s’est opérée l’an dernier. Le groupe fusionné représente 800 millions d’euros de chiffres d’affaires, 800.000 tonnes de fruits et légumes, 3.800 travailleurs et un quart du marché du surgelé européen. “Nous avons une grand-mère commune”, schématise Haspeslagh. Sept cousins issus de deux familles et 21 descendants de la génération suivante (la troisième) se sont à nouveau serré la main. “Notre fierté est la fusion. Mais pour cela, il est important que vous communiquiez ouvertement avec tous les actionnaires. Vous ne pouvez pas retenir de l’information. Il est important de veiller à ce qu’une personne (actionnaire) ne devienne par trop dominante. Et ainsi ne pas permettre à des frustations familiales freudiennes de mener à des conflits au sein de l’entreprise”.

“Les conflits ont également du bon “

Brigitte Malou, administrateur délégué de la société ‘Grottes de Han’ soulignait que les conflits ne sont pas nécessairement négatifs. L’attraction touristique située près de Rochefort est une entreprise familiale. Brigitte Malou appartient à la sixième génération d’une entreprise née en 1856. “Le fondateur était épris de la beauté de la nature à l’intérieur et aux alentours des grottes. Il a probablement créé la première entreprise touristique d’Europe. L’ADN de notre entreprise familiale, aujourd’hui répartie sur cinq branches familiales, est que nous désirons encore toujours cultiver la beauté de notre nature et la partager avec les visiteurs de notre domaine.”

D’un point de vue financier, cela n’a pourtant pas été facile pour la société des Grottes de Han au cours des dernières années. “Non, nous n’avons pas pu distribuer de dividendes”, soupirait Brigitte Malou au cours du panel-débat. “En 2011, lorsque j’ai pris la direction de l’entreprise, il y avait même une situation de blocage entre les actionnaires familiaux. Mais nous nous en sommes sortis. Nous nous sommes tous assis ensemble dans une hutte pendant 24 heures et nous avons fait un brainstorming. Après ces 24 heures, les conflits étaient résolus, le blocage avait disparu. Nous avons à nouveau trouvé un objectif commun pour l’exploitation de l’entreprise familiale”.

“Parfois, un psychiatre est même nécessaire”

Le Français Frédéric Lucet a endossé pendant six ans une position clé pour la famille française Mulliez. Celle-ci compte pas moins de 1.300 descendants et gère une fortune “entre 50 et 100 milliards d’euros. Le chiffre réel n’est pas rendu public”. Frédéric Lucet fut, de 2000 à 2006, le conseiller financier et fiscal au sein du conseil d’administration du véhicule patrimoine familial. “J’étais la PQ. La personne qualifiée. Vous devez veiller à ce que vous obteniez l’adhésion de tous les actionnaires familiaux. Dans une mosaïque d’actionnaires, certainement avec 1.300 descendants, vous avez toujours des saboteurs. Auparavant, j’utilisais le mot ‘terroristes”, mais c’est aujourd’hui déplacé”, ajoute le Parisien. “Vous devez donc pouvoir constamment convaincre chacun. Vous pouvez, entre autres, y parvenir par le versement de dividendes. C’est bien sûr important. Mais la famille Mulliez fait plus. 80 personnes travaillent pour le véhicule familial. Seules quatre d’entre elles s’occupent des aspects financiers. Pas moins de 12 employés organisent des activités qui développent la cohésion familiale, l’affectio societatis.”

Philippe Haspeslagh, le président du conseil d’administration du groupe fusionné Ardo, ne pouvait qu’approuver. “Vous devez constamment stimuler l’implication familiale. Impliquez aussi les partenaires. Cela crée plus d’objectivité, moins d’émotion dans les relations familiales. Les entreprises familiales ? Elles sont tout de même tellement complexes et fascinantes. Des juristes sont certainement utiles, pour les règlements officiels. Mais vous pouvez rédiger autant de chartes officielles que vous voulez, cela ne fera pas disparaître les frustrations et les tensions familiales. Un psychologue est souvent plus utile. Et parfois, un psychiatre est même nécessaire.”

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