Les entreprises familiales face à la crise: être prêt pour le pire… ou pour saisir les opportunités

Le travail à distance: une modalité que la crise aura définitivement inscrite dans le fonctionnement de bien des entreprises. © GETTY IMAGES

La crise du Covid-19 est loin d’être finie mais l’heure est à un premier bilan. Comment se préparer à faire face à une période encore difficile et aux changements sociétaux annoncés à plus long terme ? Voici les principaux éléments à prendre en considération.

La crise du Covid-19 est encore loin d’être terminée, mais nous sommes nombreux à nous projeter dans ” le monde d’après “. L’expression peut apparaître éculée tant on a pu en user et en abuser à chaque période de tensions plus ou moins vives. Force est toutefois de constater que le Covid-19 a eu un impact réel sur le quotidien de milliards de personnes. Le confinement a changé nos vies et a forcé les entreprises à repenser leur organisation quand elles n’ont pas dû tout simplement cesser leurs activités.

Evidemment, la vie va reprendre petit à petit son cours normal, mais de nombreuses questions restent en suspens. Pour de nombreuses entreprises, la principale interrogation concerne le rythme auquel aura lieu ce retour à la normale. La réponse, particulièrement nuancée en raison de l’incertitude ambiante et de la disparité entre les secteurs, est cruciale pour déterminer les mesures à prendre afin d’assurer la pérennité des activités.

Des petites PME aux grands groupes, les entreprises familiales devront aussi collectivement tirer les enseignements de la crise. Le télétravail a-t-il fait ses preuves ? Les sources d’approvisionnement sont-elles suffisantes ? Est-on prêt pour la vente en ligne ? Pour aider ces structures familiales, les spécialistes de BDO ont identifié six éléments qui les caractérisent et qui sont déterminantes dans le contexte de crise actuel.

Préservation de l’emploi, organisation et trésorerie

Le premier a trait à la préservation de l’emploi. En général, les entreprises familiales accordent davantage d’importance à la conservation de l’expertise, des compétences et de l’expérience de leur personnel. En outre, elles se sentent responsables envers leurs employés, avec lesquels elles ont souvent tissé des liens étroits, et leur famille. Par conséquent, elles sont moins susceptibles de procéder à des licenciements que les entreprises non familiales qui reçoivent souvent des directives de leur siège social. Les entreprises familiales suivent donc moins les vagues cycliques, ce qui peut avoir pour conséquence qu’elles ne déploient pas toujours efficacement leur personnel à court terme.

Des équipes engagées, le succès du télétravail, le soutien des actionnaires familiaux, etc. : autant de points forts que l’entreprise familiale doit capitaliser pour prospérer.

Seconde caractéristique : l’organisation du travail. Les entreprises familiales sont souvent d’assez petite taille, ce qui peut rendre plus difficile l’un ou l’autre changement dans l’organisation. Chez certaines, doubler des lignes de production ou fractionner des lots de travail n’est, par exemple, pas possible en raison des volumes plus petits et d’une offre plus limitée. Ou alors c’est le manque d’espace disponible qui ne permet pas de procéder à divers ajustements.

Le troisième élément concerne la gestion de trésorerie. Les entreprises familiales sont globalement moins endettées et conservent des réserves de liquidités plus importantes, notamment grâce à la conservation des bénéfices des années précédentes. Financièrement, elles sont donc mieux armées pour faire face à la crise.

Numérisation, approvisionnement et résilience

Point quatre : la numérisation. De nombreuses entreprises familiales ont tardé à intégrer les nouvelles technologies numériques dans leurs produits, services et processus.

Elément numéro cinq : les chaînes d’approvisionnement. Dans de nombreuses entreprises familiales, la coopération avec les partenaires de ces chaînes d’approvisionnement se fait sur la base de la confiance sans que cela soit formalisé dans des contrats. Cette relation de confiance et la coopération souvent de longue date font que les entreprises familiales peuvent négocier plus ouvertement avec ces partenaires pour savoir comment ils peuvent traverser ensemble cette crise. Cela peut se faire en ajustant les accords mutuels de prix, en modifiant les accords de volume de manière pragmatique ou en convenant de plans de remboursement.

Enfin, dernière caractéristique déterminante des entreprises familiales dans ce contexte de crise sanitaire : leur capacité de résilience. Durant les crises, la cohésion familiale se renforce souvent pour permettre à l’entreprise de traverser cette période difficile. L’orientation à long terme, la créativité et l’inventivité, la constitution de tampons financiers et la capacité à ne pas abandonner contribuent aussi à cette résilience mentale.

Diagnostic en 10 points

Reste maintenant à déterminer comment se positionne votre propre entreprise. Est-elle assez bien armée pour faire face à la crise ? Est-elle prête pour affronter le ” monde d’après ” ? L’heure est au diagnostic afin d’assurer la pérennité de l’entreprise en 2020 et de profiter des opportunités qui se présenteront par la suite. Un diagnostic, en 10 points, qui concerne toutes les facettes de l’entreprise.

1. Activation des mesures de soutien fédérales et régionales. Chômage temporaire, report de paiements fiscaux et sociaux, aides régionales, etc. : toutes ces mesures permettent à l’entreprise de limiter les contraintes sur sa trésorerie.

2. Management de crise. Le recours à un manager intérimaire peut permettre à votre entreprise de disposer d’une expertise particulière qui lui ferait temporairement défaut en raison d’un besoin particulier ou parce que le manager attitré souffre du Covid-19 par exemple.

3. Gestion de trésorerie. Dans une période aussi incertaine, avec la menace permanente d’un reconfinement, il est indispensable de pouvoir évaluer l’évolution de la trésorerie de l’entreprise et prévoir l’impact de toute bonne ou mauvaise surprise afin de pouvoir s’y préparer.

4. Collaboration à distance. Le télétravail s’est imposé durant le confinement, mais toutes les entreprises n’y étaient pas préparées. Que cela soit pour pouvoir parer à toute éventualité ou intégrer le télétravail dans le fonctionnement de l’entreprise, il est temps de mettre en place les mesures nécessaires : adaptation de votre infrastructure informatique et éventuellement des contrats de travail, formations sur le télétravail et les comportements à adopter dans le cadre de la collaboration à distance.

5. Réduction des coûts. La crise économique que nous connaissons est inédite. Un examen minutieux des coûts est plus que jamais indispensable afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. L’optimisation de la structure des coûts, en transformant des coûts fixes en coûts variables, est également cruciale. Tout particulièrement dans les nombreux secteurs (horeca, tourisme, etc.) pour qui l’impact de la crise se fera ressentir bien plus longtemps que les quelques mois du confinement.

6. Tests de résistance du modèle d’affaire. Il est plus que jamais indispensable d’anticiper tous les scénarios possibles. Réaliser des tests de résistance vous permet de révéler les points permettant de renforcer la résilience de votre organisation.

7. Développement des canaux numériques. La pandémie de Covid-19 a mis en évidence l’importance de la présence numérique. L’approche omnicanale est plus importante que jamais pour toute entreprise.

8. Adaptation au ” monde d’après “. La crise a fait évoluer la société et semble surtout être un accélérateur de changement. Toutes les entreprises doivent intégrer ces nouveaux paradigmes dans leur stratégie.

9. Chaînes d’approvisionnement. La pandémie a provoqué de nombreuses ruptures de chaînes d’approvisionnement. Elle a peut-être aussi mis en évidence certaines faiblesses de votre organisation : trop grande dépendance à un fournisseur, stocks insuffisants en cas de contretemps, etc.

10. Structure de financement. Alors que les mesures exceptionnelles mises en place par le secteur financier sont temporaires, l’heure est venue de revoir les structures de financement de l’entreprise. La crise a-t-elle mis en évidence certains points faibles ? D’autres moyens de financement seraient-ils plus efficaces ? Un financement complémentaire pour le fonds de roulement est-il nécessaire ?

Retenir le positif

De nombreux professionnels peuvent vous aider et vous offrir un regard extérieur dans cette démarche d’évaluation des risques et des opportunités de la crise du Covid-19. BDO propose par exemple aux PME familiales un diagnostic gratuit à 360° permettant d’identifier les risques et les actions à entreprendre.

Ceci étant, même si ces derniers mois ont été particulièrement difficiles et qu’il serait facile de succomber au pessimisme, un capitaine d’entreprise doit également retenir le positif de cette tempête. Des équipes engagées, le succès du télétravail, le soutien des actionnaires familiaux, etc. : autant de points forts que l’entreprise familiale doit capitaliser pour prospérer.

Natura-Bister : ” Notre diversification nous a renforcés ”

Les entreprises familiales face à la crise: être prêt pour le pire... ou pour saisir les opportunités
© ARTHUS DE BOUSIES (PG)

Directeur général des moutarderies Bister et du producteur de sauces Natura, Arthus de Bousies ne cache pas son inquiétude face aux incertitudes qui entourent l’évolution à court terme du business. Mais, pour lui, cette crise sera aussi riche en enseignements stratégiques à long terme.

TRENDS-TENDANCES. Quels sont les principaux impacts de la crise du coronavirus sur vos activités ?

ARTHUS DE BOUSIES. Com-mercialement, nos ventes à l’horeca qui représentaient 30% de notre chiffre d’affaires sont quasiment tombées à zéro. L’activité auprès des clients industriels a aussi fortement ralenti. La croissance observée dans la vente au détail est très loin de compenser ces pertes. Nous avons dû réorganiser toute la production pour nous adapter à la demande (notamment au niveau des conditionnements), respecter la distanciation sociale, renforcer les mesures d’hygiène et tenir compte de l’absentéisme (de 10 à 20% depuis le début de la crise). Enfin, les approvisionnements sont devenus plus complexes. On a dû trouver des gants et des masques. Globalement, les livraisons sont plus lentes, on doit donc commander plus tôt et conserver davantage de stocks.

Comment envisagez-vous les prochains mois ?

La principale difficulté, c’est l’incertitude. On ne sait pas quand l’horeca pourra rouvrir et si les gens retourneront au restaurant. On a besoin de clarté rapidement, car si la situation continue encore des mois, cela va coûter très cher. On doit financer des stocks plus importants, des clients dans l’horeca retardent des paiements dus. L’Etat a certes donné des garanties et les banques ont octroyé un moratoire sur les crédits, mais cela n’est tenable que provisoirement.

Stratégiquement, comment cette crise va-t-elle influencer votre entreprise ?

On constate tout d’abord que notre diversification vers différents débouchés ( retail, horeca, industrie) et dans plusieurs pays nous a renforcés. Les producteurs qui ne s’adressent qu’à l’horeca ont vu leur activité s’arrêter. Clairement, nous estimons que le bio et le local seront encore plus importants pour les consommateurs après cette crise. Ils feront encore plus attention à la provenance de ce qu’ils mangent. Cela nous conforte dans notre stratégie d’être un acteur local sur différents marchés européens.

Detry : ” La crise a renforcé notre conviction ”

Les entreprises familiales face à la crise: être prêt pour le pire... ou pour saisir les opportunités
© VALÉRIE MINET (PG)

Entreprise familiale belge spécialisée active dans la charcuterie depuis près de 60 ans, Detry a dû faire face au recul de la demande pour ses produits du comptoir traditionnel. La crise a toutefois conforté ses choix stratégiques, comme l’explique Valérie Minet, responsable marketing et communication.

TRENDS-TENDANCES. Quel impact la pandémie de coronavirus a eu sur l’entreprise ?

VALÉRIE MINET. Etant actifs dans le secteur alimentaire, nous avons pu poursuivre nos activités, mais avons dû renforcer encore les normes d’hygiène. Nous avons aussi mis en place toute une série de mesures visant à assurer la distanciation sociale. Cela va de l’organisation du réfectoire au recours au télétravail pour la plupart des employés. Commercialement, les ventes de charcuterie du comptoir traditionnel ( produits à la découpe dans les supermarchés, Ndlr) ont baissé. Nous avons autant que possible cherché à trouver des solutions avec nos clients en leur proposant des alternatives. Les ventes de produits préemballées, sous notre marque Aubel, ont ainsi progressé même si la croissance n’a pas suffi à compenser les pertes du comptoir traditionnel.

Parvenez-vous à assurer vos approvisionnements et livraisons ?

Nous suivons la situation de près mais, globalement, nous n’avons fait face à aucune pénurie, même pour les protections des travailleurs comme les gants ou les masques. Nos approvisionnements en matières premières sont aussi assurés chaque semaine. Du côté des livraisons, les exportations, qui représentent 40% de notre chiffre d’affaires, ont parfois été ralenties, mais sans que cela ne nous pose de problème insurmontable.

Que retenez-vous de cette crise jusqu’à présent ?

Malgré toutes les difficultés rencontrées, nous parvenons à fonctionner quasiment normalement. Stratégiquement, nous avons décidé de maintenir les investissements prévus malgré la période difficile. La crise a renforcé notre conviction que ces projets de numérisation et dans l’économie locale sont plus opportuns que jamais.

Ardent Group: “Il y a de beaux challenges à venir”

Emmanuel Mewissen
Emmanuel Mewissen© PG

Actifs dans plusieurs secteurs, Ardent Group traverse une période compliquée malgré sa présence en ligne. Le groupe multifamilial liégeois entend toutefois aussi mettre la crise à profit comme nous l’expliquent Emmanuel Mewissen, actionnaire d’Ardent Group et CEO de la branche gaming, et Nicolas Léonard, actionnaire d’Ardent Group, CEO de la branche invest et CFO de la branche gaming.

TRENDS-TENDANCES. Pouvez-vous brièvement présenter les activités du groupe ?

EMMANUEL MEWISSEN – NICOLAS LÉONARD. Ardent Group représente 1.100 employés et est principalement actif dans les loisirs à travers Gaming1 (marques Circus et Casino777). Au total, nous comptons 42 établissements physiques (casinos, salles de jeux et de paris). Cependant, notre activité principale est l’exploitation de sites en ligne. Nous avons aussi développé six autres branches d’activités regroupées sous la dénomination Ardent Invest à savoir l’immobilier (Immo Retail et LMP), les médias (LEDCOM et Media Players), l’énergie (Energy2Business et Too Light), les boissons (Tripick), l’hôtellerie (Ibis Style Liège Guillemins et Beauregard Namur) et l’impact sociétal (So Impact).

Nicolas Léonard
Nicolas Léonard© PG

Quels sont les principaux effets du Covid-19 sur vos activités ?

Après avoir été fermés plus de deux mois, contraignant le groupe à mettre plus de 800 personnes en chômage temporaire, les établissements de jeux attendent désormais la confirmation gouvernementale de réouverture. La branche digitale reste fort active, mais a dû s’organiser notamment pour migrer vers le télétravail. Au niveau de la branche Ardent Invest, la grande majorité de nos effectifs a dû être mise au chômage temporaire pendant le confinement, l’activité étant soit stoppée, soit fortement ralentie.

Les pertes ont été lourdes ?

Financièrement, le groupe subit sans surprise effectivement de lourdes pertes. Le chiffre d’affaires a chuté de 30% dans la branche gaming et parfois jusqu’à 100% dans certaines activités d’ invest. Outre toutes les mesures relatives au personnel et les différentes aides de l’Etat, nous avons mobilisé nos forces afin de renégocier autant que possible nos crédits et nos contrats avec nos fournisseurs. Ces mesures ainsi que notre trésorerie très confortable avant la crise, nous permettent d’aborder la tempête avec un peu plus de sérénité. Nous allons désormais réexaminer nos projets d’investissements, mis entre parenthèses durant le confinement. Les opportunités identifiées continuent d’être étudiées et certaines sont même en phase de finalisation. Il y a de beaux challenges à venir !

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