Crombé, solide comme la roche

Scierie de pierre bleue © -

C’est une histoire qui dure. De celles burinées dans la pierre naturelle sur laquelle la dynastie Crombé a bâti son groupe spécialisé dans les marbres et la pierre bleue. Avec la fibre familiale pour dompter les époques et les épreuves.

Cela fait 120 ans et cinq générations que la famille bruxelloise Crombé pratique l’art et la manière de travailler les marbres luxueux, la prestigieuse pierre bleue, le granit, etc. Sous les machines de découpe sur mesure, les blocs et plaques bruts deviennent sols, salles de bain, cheminées, plans de travail, façades, etc.

Aujourd’hui, il y a six Crombé à pied d’oeuvre dans l’entreprise. Yves est le président, et son frère Philippe, directeur des chantiers. Marie, fille du premier, gère la scierie de Maffle tandis que Xavier, fils du second, jongle avec la vente, l’atelier de transformation de Bruxelles et le numérique. Enfin, Christine, soeur des deux premiers, est la directrice financière et Pierre-Yves, 30 ans et fils aîné du président, s’occupe de la logistique, des transports et de la sélection des pierres en carrière. Des membres tous actionnaires et aux rôles complémentaires.

Dans le show-room du siège de la chaussée d’Haecht, Yves Crombé, sexagénaire bon teint, est intarissable sur l’histoire de l’entreprise familiale, impliquée depuis plus d’un siècle “dans la pierre”. De l’entrée dans la carrière de son arrière-grand-père en 1898 et son petit atelier à un jet de caillou du cimetière de Woluwe-Saint-Pierre jusqu’au groupe Crombé actuel et ses quatre sociétés réparties sur trois sites.

Le boss découpe la saga familiale en trois époques. Celle de ses glorieux aînés artisans qui sublimaient à leur modeste échelle les marbres, belges et étrangers, et la réputée pierre bleue de Wallonie.

Celle ensuite de l’expansion en une société anonyme conquérante. Un virage annoncé dès décembre 1967 par une promesse d’Yves Crombé à son grand-père mourant : “Du haut de mes 12 ans, je lui ai fait le serment que, une fois adultes, mon frère Philippe et moi perpétuerions le métier et l’entreprise familiale.”

Neuf ans plus tard, après des études en sciences économiques appliquées et architecture, les frangins relancent la petite entreprise. Elle se constitue en société anonyme en 1982 au moment de la reprise de la réputée marbrerie Leroy avenue de la Couronne, à Ixelles.

La famille, un ciment puissant

Entamée dans les années 1970, la démocratisation et la vogue des cheminées décoratives à l’ancienne vont booster les affaires du spécialiste de la découpe, de la transformation et de la pose de marbres et pierres naturelles. A l’étroit à Ixelles, la compagnie Crombé se construit en 1992 un nouveau site à Haren, chaussée d’Haecht.

Christine, Philippe et Yves Crombé: la quatrième génération aux commandes de l'entreprise.
Christine, Philippe et Yves Crombé: la quatrième génération aux commandes de l’entreprise.© –

Les années 1990 ouvrent une nouvelle ère de développement qui va pourtant très mal commencer. Coup sur coup, deux mauvaises opérations menacent d’effondrement l’édifice familial. L’achat hasardeux d’une machine de découpe soi-disant numérique qui n’a jamais fonctionné suivi d’un revers en justice font s’évaporer 300.000 euros.

Ensuite, la vente de l’immeuble de l’avenue de la Couronne grève dangereusement les finances. Il était estimé à 1 million d’euros, les Crombé n’en obtiendront in fine que 370.000 euros après un imbroglio administratif et commercial. Un double couac financier alors même que l’entreprise investit et fait construire son nouveau siège…

“Cet épisode a été le moment le plus dur économiquement et personnellement, frissonne encore Yves Crombé. On a survécu et rebondi grâce à notre ADN familial. Tous les Crombé y sont allés de leur poche. On ne comptait plus rien, ni nos heures, ni notre argent. Il fallait sauver l’entreprise, sans aucune aide extérieure. C’est là que la famille fait la différence car ce lien insuffle une solidarité naturelle essentielle pour traverser les époques et les épreuves. Comme la pierre. Il faut de la résilience, du courage, de l’abnégation, de la détermination pour survivre. Et aussi la fidélité et la confiance de votre personnel, de vos hommes qui vous soutiennent car ils savent pour qui et pourquoi ils travaillent. L’esprit de famille est le plus puissant des ciments capable de rejointoyer l’ouvrage quand et là où il menace de céder.”

La lourde péripétie surmontée, la société Crombé a poursuivi son essor, notamment en rachetant et relançant en 2000 la scierie de Maffle (près de Ath). “Nous attendions cette opportunité de posséder notre division avec des débiteuses modernes pour scier et trancher nous-mêmes les blocs bruts de marbre et de pierres bleue, blanche, etc., savoure le président du groupe. Là aussi, la famille a facilité le passage à l’acte. Aujourd’hui, nous sommes la plus grosse société de marbre de la Région bruxelloise, nous figurons dans le top 5 belge et sommes les seuls à assurer toute la filière : sciage du bloc brut, transformation, découpe sur mesure et pose.”

Au rayon des réalisations, le patron évoque un prestigieux méga-chantier de 1,5 million d’euros à Saint-Tropez, des prestations au Congo, au Maroc. Ou pour des stars comme Karl Lagerfeld ou Phil Collins. Et à Bruxelles, des réalisations pour les magasins Dior, Vuitton, Hermès.

L’été dernier, les pierres naturelles des 150 appartements du gros ensemble bruxellois Palatium, c’était aussi Crombé.

Pierres d’achoppement

Cela ne signifie pas pour autant que l’avenir de l’entreprise soit aussi rose que le marbre. Alors que le marché est là, concurrence, mondialisation et… un certain manque d’intérêt des autorités pèseraient lourdement sur le secteur en Belgique. En effet, malgré son pedigree, ses réalisations et une expertise certifiée d’un siècle d’activité, cette société réputée, fidèle à Bruxelles, ne semble paradoxalement pas dans les petits papiers des pouvoirs publics et des communes.

Alors que l’époque est à l’économie circulaire, “aucune commune, aucun pouvoir public de la Région bruxelloise ne nous a jamais passé commande, associé ou consulté pour des ouvrages, peste Yves Crombé. Ni pour les (ré)aménagements de la place de Woluwe-Saint-Lambert, notre commune d’origine, ni pour les 36.000 m2 de pierres ‘bleues’ du centre de Bruxelles-Ville, ni pour la récupération/revente des pierres bleues et réaménagement de 22.000 m2 de l’avenue Franklin Roosevelt. Tous ces marchés ont été attribués à l’étranger, avec pierre bleue irlandaise et granit chinois. Pourquoi aller acheter ailleurs ce que l’on a sous nos pieds, à 45 kilomètres d’ici dans des carrières à l’arrêt qui ont encore un potentiel d’exploitation d’au moins un siècle. On nous parle de mondialisation. Elle a bon dos. La crise de notre secteur de la pierre, ce n’est pas à cause des autres, c’est la faute de nos pouvoirs politiques et publics qui nous ont endormis. C’est dommage pour l’emploi, le patrimoine. Il y a un trésor qui dort en Wallonie”.

Mais chez Crombé, on veut rester en éveil. A l’image de Xavier et Marie Crombé, les deux cadres trentenaires qui parient, comme leurs aînés avant eux, sur la fibre familiale au service de la pérennité de ce patrimoine belge. Une charte interne est même en gestation pour préserver le caractère familial de l’entreprise, “une force et un atout formidables”. Ils y croient dur comme pierre.

Fernand Letist

Le groupe en chiffres

  • 4 : le nombre de sociétés réparties sur trois sites.
  • 80 : le nombre d’employé du groupe, répartis sur ses trois sites, à l’atelier de découpe et transformation sur mesure de Bruxelles, à la scierie de blocs de pierres brute de Maffle, à la marbrerie de Soignies.
  • 8 millions : le chiffre d’affaires consolidé du groupe Crombé en 2018.
  • 5.000 tonnes : le volume de blocs de pierres bleues belges transformées par an par l’entreprise.

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