Euro 2016 : impact réel ou mirage économique ?

Entre juin et juillet 2016, 2 millions et demi de personnes sont attendues en France pour assister à l'Euro. © AFP

L’Euro 2016 de football, drainant avec lui frénésie médiatique et espérances économiques, commence demain. Mais ce genre d’événement, aux coûts d’organisation toujours plus élevés, est-il réellement synonyme de croissance pour son pays hôte? Des exemples récents attestent du contraire.

Demain, la France bottera le coup d’envoi de l’Euro 2016 de football contre la Roumanie, célébrant le retour sur son sol d’un grand tournoi depuis une certaine coupe du monde 1998. A quelques heures du coup d’envoi, tous espèrent le plein d’effets positifs sur la croissance économique du pays en cette période quelque peu chaotique: grèves, peur des attentats,…

En prélude à l’Euro, plusieurs études universitaires ont été réalisées pour estimer l’impact futur de la compétition sur le portefeuille national. L’une d’entre elles, publiée en 2014 par le Centre de droit et d’économie du sport de Limoges (CDES) à la demande de l’UEFA, avance que le tournoi devrait rapporter à la France environ 1,2 milliard d’euros en recettes d’organisation et de tourisme. Le pays attendrait d’ailleurs 2,5 millions de visiteurs en juin-juillet. En terme d’emploi, le CDES parle de la création de 20.000 postes, dont 5000 appelés à durer, dans le cadre de la rénovation et de l’entretien des infrastructures sportives (stades, centres d’entrainement), auxquels s’ajoutent 26.000 opportunités durant la seule compétition. Au total, les rentrées fiscales devraient atteindre les 180 millions d’euros pour l’Etat, de quoi envisager “un impact, globalement, plus que positif”, selon le centre.

Des chiffres à nuancer

Ces statistiques flatteuses n’ont pas convaincu Pierre Rondeau, professeur d’économie à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Pour le magazine Slate, ce passionné de sociologie sportive pointe du doigt ces études, déjà vues par le passé, qui prédisent généralement un sursaut économique pour les pays organisateurs d’une coupe du monde ou des Jeux Olympiques, sans toutefois revenir sur les conséquences post-événement. M. Rondeau base sa réflexion sur l’ouvrage Sciences Sociales Football Club , écrit conjointement par les spécialistes Bastien Drut et Richard Duhautois, qui ont cherché à savoir si les estimations faites par ces études avant les grands événements se confirmaient après.

Et le constat des deux hommes est en majorité le même dans les cas étudiés. Si un regain économique existe effectivement durant l’événement, il se limite à une période limitée dans le temps, sans impacter sur d’autres secteurs de l’économie nationale. A titre d’exemple, le Brésil, pays hôte de la coupe du monde en 2014, n’a pas vécu l’augmentation annoncée de sa fréquentation touristique, pour la bonne et simple raison que les visiteurs habituels avaient été remplacés par les supporters de football. Même cas de figure lors du Mondial 98 en France, où le nombre de touristes sur la période juin-juillet n’a pas oscillé énormément avec les scores des années précédentes. C’est ce que Drut et Duhautois nomment les “effets de substitution” des grands événements sportifs, qui attirent beaucoup de personnes comme ils en font fuir d’autres.

Un deuxième effet constaté est celui “d’éviction”. Si une manifestation comme l’Euro compte bien doper la croissance nationale, la majorité des dépenses devraient etre concentrées au seul domaine sportif, au détriment des autres marchés économiques. Un euro dépensé au stade ou en produits liés à la compétition (goodies, nourriture surgelée, bières, tickets, etc.) est un euro qui ne sera pas dépensé ailleurs, d’où l’effet d’éviction. Et au final, l’impact global reste limité voir nul sur le pouvoir d’achat des citoyens français.

Afrique du Sud et Brésil, des précédents difficiles

L’histoire récente a montré que même les événements parmi les plus lucratifs et médiatisés de la planète ne sont pas forcément gages de réussite économique pour les pays concernés. L’expérience du Brésil fut particulièrement rude, avec une organisation de coupe du monde entachée par des soupçons de corruption et des dérives de financement. Aujourd’hui, certains stades rénovés à grands frais cherchent encore un second souffle, comme celui de Brasilia, coût de rénovation 400 millions d’euros, qui peine à remplir ses 70.000 places avec les seules rencontres locales.

L’administration de Dilma Rousseff ne semble pas avoir tiré les leçons de l’aventure sud-africaine. Le coût d’organisation de la Coupe du monde 2010 avait vite dépassé le seuil envisagé, passant de 202 millions à 3,45 milliards d’euros aux frais du gouvernement. Le tout pour des retombées touristiques d’un quart inférieures à ce qui était escompté. Les effets sur l’emploi et sur la croissance se sont aujourd’hui estompés et le pays s’est retrouvé avec des infrastructures inadaptées et des stades sous-exploités, aux coûts d’entretien élevés. Dans le même temps, la FIFA a réalisé des recettes de 3,4 milliards de dollars hors billetterie, dont 2,4 milliards en droits de retransmission.

Qu’en est-il en Belgique ?

En 2000, la Belgique accueillait le Championnat d’Europe, conjointement organisé avec la Hollande. Un fameux défi pour notre pays qui misait sur l’événement pour restaurer son image après le scandale du poulet à la dioxine et l’affaire Dutroux qui avaient sérieusement ébranlé l’opinion publique. Pour Alain Courtois, président du comité de gestion de l’époque, si le challenge de l’organisation a été réussi (au point de recevoir les félicitations de l’UEFA), son impact économique pour la Belgique est difficilement quantifiable. “Il y avait une différence notable entre la Belgique et la Hollande, confie le député MR. Chez nos voisins, les bénéfices retirés de l’Euro ont été analysés, notamment pour appuyer le dossier de présentation des JO d’Amsterdam. La Belgique, qui n’était pas dans la même position, n’a pas jugé nécessaire de quantifier les retours économiques, à part pour l’HORECA. Encore un problème bien belge.”

L’ancien directeur de l’événement n’est pas tendre non plus quant à la gestion des infrastructures, qu’il qualifie au fil des ans de “catastrophique”. Au mi-temps des années 90, alors que débutaient les négociations pour obtenir l’Euro, la Belgique comptait bien profiter de la venue du tournoi pour rénover ses stades. Une occasion manquée selon Alain Courtois ; “sur les quatre stades qui ont été rénovés à l’époque, voyez leur situation aujourd’hui. Bruges souhaite en construire un nouveau, Sclessin cherche à compléter ses tribunes, Charleroi a dû démonter une partie des siennes et le Heysel n’est plus aux normes.” Une situation d’autant plus rageante que l’enceinte du Roi Baudouin a été rénovée la même année (1996) que la construction d’un certain Stade de France. “Si vous regardez le Stade de France aujourd’hui, on le croirait construit la veille !” regrette le député. A l’inverse, le Roi Baudouin paye le manque d’investissement et de vision à l’époque.”

“Cette gestion n’a jamais été intelligente ou suffisamment osée, conclut M. Courtois. Un problème qui vient de notre manque de chauvinisme. Si, en Belgique, nous étions plus fiers et ambitieux, les choses auraient été bien différentes.”

Du positif malgré tout

Attention, tout n’est pas négatif dans l’organisation d’une coupe du monde, d’un euro ou des Jeux olympiques. L’implication des pouvoirs publics dans la rénovation ou la construction d’enceintes sportives reste à souligner. Avec une bonne gestion post-événement, celles-ci peuvent se muer en pôles de développement économique et d’épanouissement social.

En 2014, un autre impact positif a été mis en évidence par Bastien Drut et Stefan Szymanskia, à savoir que les pays hôtes de compétitions majeurs connaissent un “boost” de l’affluence touristique pouvant s’étaler sur cinq ans. L’étude, basée sur les chiffres des coupes du monde et euros disputés entre 1970 et 2010, atteste d’une hausse de fréquentation de 15 à 25%, y compris pour les stades n’ayant pas accueilli de matchs officiels. Un “effet de mode” qui pousserait les supporters locaux à retourner plus souvent qu’avant dans les enceintes, non plus pour assister à des matchs de l’équipe nationale mais pour supporter leur club local.

Gageons qu’au-delà des chiffres et des expériences passées, la France trouvera son compte, économique comme sportif, dans ce qui s’annonce tout de meme comme une grande célébration du ballon rond.

Guillaume Alvarez

Sources : Alternatives Internationales, Le Point

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