Est-ce que le prix Nobel d’économie ne sert à rien?

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D’abord, ce n’est pas un vrai Nobel. Ensuite, il récompense généralement des travaux qui passent au-dessus ou à côté de la plupart des gens. Pourtant, le trio distingué cette année ramène l’économie à quelque chose de compréhensible.

On vient de décerner le prix Nobel d’économie. Dans la série des prix Nobel (de la paix, de médecine, …), il vient en dernier, et ce n’est même pas un vrai. L’économie, comme les mathématiques, ne faisaient pas partie des disciplines qu’Alfred Nobel avait voulu coucher dans son testament. Pour les mathématiques, on susurre que c’est parce que l’épouse de l’inventeur de la dynamite s’envoyait en l’air avec le mathématicien Gösta Mittag-Leffler. Pour le Nobel, parce qu’il détestait l’économie. Il a même dit un jour la “haïr”. Ouch.

Un prix bizarre…

Pour consoler les économistes (et donc s’auto-consoler), la banque de Suède, pour fêter son tricentenaire en 1968, a donc inventé “le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel”. Le prix fait l’objet des mêmes règles et des mêmes récompenses qu’un vrai Nobel.

Mais cette petite histoire mise à part, le prix Nobel d’économie est aussi particulier parce que ce doit être le seul prix scientifique qui peut distinguer deux chercheurs qui présentent des théories complétement contradictoires, parfois la même année. En octobre 2013, Eugène Fama et Robert Shiller se voient récompenser, le premier pour avoir construit la théorie des marchés efficients, le second pour avoir dit le contraire et avoir porté le concept d’exubérance irrationnelle.

Faut-il donc rejeter en bloc le Nobel d’économie? Non, car ces derniers temps, on a vu que ce prix distinguait des travaux vraiment intéressants.

… mais intéressant

Celui de 2019, donné à Esther Duflo, Abhijit Banerjee et Michael Kremer est intéressant parce qu’il récompense une méthode très originale pour essayer de mettre à jour des vérités économiques. Une méthode qui s’inspire de ce que l’on fait en biologie ou pharmacie, par exemple, et qui consiste à étudier une question très précise et à étudier cette question sur deux groupes, un groupe expérimental, dans lequel on va modifier la variable que l’on veut étudier, et un groupe témoin, dans lequel on ne modifie rien. “si on met en place un nouveau programme de soutien scolaire dans des écoles, on choisit 200 écoles au hasard, dont 100 mettront en place le programme et les 100 autres pas”, explique Esther Duflo. Une méthode qu’Esther Duflo et son époux Abhijit Banerjee mettent en place dans des programmes de lutte contre la pauvreté.

Le trio nobélisé cette année – David Card, Joshua D. Angrist et Guido W. Imbens – poursuit dans une veine similaire. Les trois économistes pratiquent en effet une économie expérimentale. David Card qui enseigne à l’université de Berkeley, a étudié l’impact du salaire minimum, de l’immigration et de l’éducation sur le marché du travail. Et il en a conclu, par exemple, qu’une augmentation du salaire minimum n’augmentait pas automatiquement le taux de chômage.

Joshua D. Angrist et Guido W. Imbens, ont été récompensés “pour leurs contributions méthodologiques à l’analyse des relations de cause à effet”, dit le communiqué de la banque de Suède. Ils ont par exemple mis le doigt sur la relation causale entre les études et le salaire, observant qu’une année d’étude de plus menait en moyenne à un salaire de 9% plus élevé.

Ce ne sont pas des idées aussi enthousiasmantes que celles du marché efficient. Mais elles ramènent l’économie les deux pieds sur terre et peuvent même conduire à des applications bien concrètes.

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