Xavier Rennotte, l’homme qui murmurait à l’oreille des abeilles

Xavier Rennotte (Nectar & Co): "Pour vivre, les abeilles ont besoin de miel, de pollen et d'eau." © Frédéric Raevens

Créée il y a huit ans, Nectar & Co est l’une des seules coopératives en Belgique à valoriser les produits et sous-produits de la ruche et surtout à les transformer. A 36 ans, Xavier Rennotte fourmille de projets autour de son produit préféré. Il a même créé Bee Box World, un site de vente en ligne de matériel apicole. Et il ouvrira bientôt, à Gembloux, un immense show-room qui accueillera matériel et produits.

Xavier Rennotte nous a donné rendez-vous place Jourdan à Etterbeek. Cet ” hydromelier apiculteur ” a installé quelques-unes de ses ruches sur un des toits de l’hôtel Sofitel. Le directeur est un ami – ils se sont rencontrés lorsqu’ils étudiaient la gestion hôtelière à Namur – et ses clients sont ravis de pouvoir déguster tous les matins un rayon de miel frais au petit-déjeuner. Xavier est un peu la star des lieux, tous les membres du personnel le reconnaissent lorsqu’il traverse les couloirs de l’hôtel. Et même les clients ne sont pas effrayés à la vue d’un drôle de monsieur en combinaison d’apiculteur… Souvent ils l’arrêtent pour faire une photo : ” C’est le monsieur qui fait le miel du petit-déjeuner ! “.

Après avoir traversé une série de locaux techniques, nous voici enfin arrivés sur un toit offrant une vue imprenable sur le parc Léopold. Là-haut, sont installées cinq ruches, habitées par 220.000 abeilles. Le lieu est parfait, nous dit l’apiculteur, en pointant du doigt le point d’eau, les châtaigniers et les tilleuls en fleurs : ” Pour vivre, les abeilles ont besoin de miel, de pollen et d’eau “.

” Pour faire du miel, explique Xavier Rennotte, l’abeille va récolter le nectar qui se trouve dans la corolle des fleurs. Grâce aux enzymes présentes dans son intestin, elle va dégrader les sucres complexes contenus dans la fleur pour en faire des sucres simples plus facilement digestes pour les êtres humains. ”

Signaux de fumée

Xavier Rennotte, l'homme qui murmurait à l'oreille des abeilles
© Frédéric Raevens

Comme c’est la période de récolte, l’apiculteur contrôle toutes les ruches. Pour ce faire, il utilise un petit fumoir pour signaler sa présence aux abeilles. ” En fait, on prévient tout le monde qu’on vient travailler, hein, mesdemoiselles ? Il faut parler aux abeilles ; les gens pensent qu’elles n’ont pas d’âme mais que du contraire. ” Ces demoiselles sont des Buckfast, des abeilles d’origine anglaise, moins agressives que les abeilles noires wallonnes désormais protégées par le label ” sentinelle Slow Food “, et plus adaptées à la ville.

La ruche, explique Xavier, est constituée d’une zone de vie et de greniers à miel. Sortant un rayon, le jeune homme poursuit : ” Les abeilles vont operculer les cellules avec de la cire quand le taux d’humidité du miel ne dépasse plus les 18 % ; il pourra ainsi se conserver sans se dégrader. Ici 80 % des cellules ont été operculées, ce miel peut donc être récolté. ”

Glissant un doigt dans une alvéole hexagonale, on en sort un miel délicieux et plutôt sombre. ” Il s’agit d’un miel de miellat, commente Rennotte. Les abeilles récoltent parfois ce liquide épais excrété par différents insectes sur des végétaux à la place du nectar et en font du miel. ”

” Dans cette colonie, il y a 75.000 individus, qui ont des tâches particulières. Les butineuses récoltent le nectar puis retournent à la ruche, où d’autres abeilles prennent ce miel dans leur jabot. Les magasinières sont là pour ventiler, stocker et operculer le miel. Il y a ainsi une dizaine d’échanges qui vont s’effectuer entre les abeilles. ” ” Tu montres ta petite langue à madame ? “, plaisante l’apiculteur en désignant une abeille crachant du miel dans une cellule avec sa langue.

Quand il extrait un rayon de la ruche, Xavier Rennotte le fait de façon chirurgicale. ” Il ne faudrait surtout pas écraser une abeille et exciter la colonie. Une ruche peut produire 30 à 40 kg de miel par an ; on fabrique donc environ 120 kg de miel ici. Cette année, à Bruxelles, j’ai placé deux ruchers, un au Sofitel et un autre chez Rob. J’en ai aussi à L’Air du temps, le restaurant bi-étoilé de San Degeimbre pour polliniser son grand jardin… En tout, j’ai des ruches dans une dizaine d’endroits en Belgique. “

Xavier Rennotte, l'homme qui murmurait à l'oreille des abeilles
© Frédéric Raevens

Propolis antiseptique

En pénétrant plus profondément dans la ruche, on s’approche du nid… ” Plus on descend vers le nid, plus les abeilles sont nerveuses “, explique Xavier, tout en les enfumant. ” Salut les filles ! Petite visite de courtoisie. ” Dans les nouveaux rayons que l’on découvre, il y a du pollen. ” Elles le stockent pour pouvoir faire de la gelée royale. Le pollen est lacto-fermenté pour qu’il se conserve. C’est un peu comme de la choucroute… ” Au goût, l’acidité est étonnante ! Les cadres sont colmatés avec de la propolis, une substance résineuse qui a une odeur de sapin que les abeilles récoltent et mastiquent. ” La propolis, c’est l’antiseptique de la colonie. Après chaque naissance, les abeilles en mettent une couche dans la cellule pour l’aseptiser. Certaines infections nosocomiales sont d’ailleurs soignées grâce à ça. ”

Ici, on croise quelques mâles, des faux-bourdons. Dans d’autres rayons, certaines cellules contiennent des petites barrettes blanches. ” Ce sont des oeufs frais. S’il est droit, c’est qu’il a un jour, s’il est un peu penché deux jours et s’il est au fond trois. De l’oeuf à l’abeille, il y a 21 jours. ” Et, enfin, voici la reine ! ” Cette abeille unique est née dans une cellule royale, plus grande et ressemblant à une arachide. Elle est exclusivement nourrie à la gelée royale. La reine ne sort qu’une fois dans sa vie pour se faire féconder par 15 à 20 mâles. Il y a un gros gangbang ! , rigole l’apiculteur. Elle possède ainsi des spermatozoïdes pour une vie entière, c’est-à-dire plus ou moins cinq ans… Quand la colonie est à son paroxysme, qu’il y a beaucoup de nourriture et que la ruche est suffisamment grande, il y a alors essaimage. L’ancienne reine s’en va avec une partie des abeilles pour créer une nouvelle colonie. Mais avant de partir, elle aura pondu de futures reines, qui vont pérenniser la colonie existante. Comme elles naîtront en même temps, il y aura un combat. Celle qui aura tué toutes les autres deviendra la nouvelle reine de la colonie. Des gens comme Napoléon ou Mao se sont inspirés du fonctionnement des abeilles. C’est un des mondes les mieux organisés. ”

Xavier Rennotte, l'homme qui murmurait à l'oreille des abeilles
© Frédéric Raevens

Bergers d’abeilles

Les populations d’abeilles connaissent pourtant un déclin important. C’est alarmant quand on sait qu’elles exercent un rôle majeur dans la production de notre alimentation grâce à la pollinisation. ” La raison est multi-factorielle, estime Xavier Rennotte. Il y a bien sûr les pesticides mais aussi un problème de biodiversité. L’abeille a besoin d’une flore variée pour trouver différentes protéines et vitamines. Les changements climatiques ont aussi un impact. ” Mais pour Xavier Rennotte, il faudrait revoir la conception même de l’apiculture. ” Les abeilles ne sont pas à notre service. C’est le contraire, nous sommes des bergers d’abeilles, nous sommes à leur service. Aux Etats-Unis, l’abeille est devenue une machine. Ils font de la pollinisation en bougeant les colonies sur d’énormes distances. Les abeilles sont sous antibiotiques et on leur donne de l’eau sucrée et des protéines.

Et en Belgique ? ” Il y a des grands pontes de l’apiculture qui vont récolter tout le miel en ne laissant rien aux abeilles et en les nourrissant avec de l’eau sucrée… ” Aujourd’hui, la production belge ne couvre plus que 30 % de la consommation. Le reste vient en effet de l’étranger (dont 85 % hors d’Europe). ” La Belgique est la championne du monde de l’importation de miels asiatiques. Petits, on a tous été chez Meli Park. Meli est pourtant le plus grand importateur de miel chinois ! De plus, si on analysait un miel industriel en détail, on se rendrait compte qu’il est en état de mort clinique. Ces miels sont ultrafiltrés et ultrachauffés pour obtenir un liquide transparent débarrassé de toute crasse “, déplore Xavier Rennotte. Se demandant s’il s’agit encore là de miel, produit censé être 100 % naturel… ” Je vais bientôt terminer les nanas, j’en ai plus pour longtemps “, leur susurre Xavier Rennotte…

www.nectar-co.com

Par Laura Centrella.

Nectar & Co en chiffres

490.000 euros. Le chiffre d’affaires 2016

60. Le nombre de colonies d’abeilles que possède Xavier Rennotte et ses deux collègues

1 tonne. Leur production annuelle de miel

175. Le nombre total de point de ventes.

L’hydromel, un futur carton

“En Afrique, les abeilles nichaient dans les cavités des baobabs. Les chasseurs-cueilleurs – les premiers à avoir récolté du miel – se sont retrouvés un jour devant un arbre foudroyé. L’arbre était coupé en deux et la ruche était sous eau, le miel avait fermenté. Ils ont ramené la ruche au village, ils ont goûté et apprécié… Voici comment, selon la légende, est né l’hydromel”, raconte Xavier Rennotte.

L’hydromel est une des premières boissons alcoolisées que l’homme ait bu. “Les premières traces d’hydromel remontent au néolithique. Mais les premiers à l’avoir utilisé de façon industrielle, ce sont les Egyptiens, car il s’agissait de la boisson des divinités. Les Grecs et les Romains en ont consommé aussi, tout comme les Gaulois.”

Titrant entre 10 ° et 18 °, l’hydromel est produit à base d’eau et de miel, par fermentation. Une fermentation naturelle, grâce aux levures présentes dans le miel, ou à base de levures exogènes, brassicoles ou vinicoles. “Hydromel est le mot générique car on trouve des hydromels à base de fruits, comme le chouchen breton, obtenu par la fermentation du miel dans du jus de pommes. Le metheglin (un vieux mot gaulois) est un hydromel auquel on a ajouté des herbes ou des épices. Tandis que le braggot est un mélange de miel, de houblon, d’orges et d’épices proche de la cervoise. On vient d’ailleurs d’en faire un avec le Brussels Beer Project”, s’enthousiasme l’apiculteur.

En janvier dernier, Forbes prédisait qu’après le cidre, l’hydromel serait la prochaine boisson tendance. Ce qui s’explique par la volonté de redécouvrir de vieilles traditions mais aussi de fabriquer des boissons artisanales avec des ingrédients bios et le plus souvent locaux. Sans compter que l’hydromel représente une alternative intéressante aux intolérants au gluten, sans cesse plus nombreux…

“La Belgique a toujours été une terre d’hydromel, précise Xavier Rennotte. Pour produire 1 kg de miel, il faut une ruche ; pour produire 1 kg de sucre de betterave, il faut des tracteurs, des machines, des pesticides, etc. Produire de l’hydromel, cela a donc du sens. C’est une boisson noble, locale et durable. Je suis toujours sidéré quand je vois le foin que l’on fait autour des bières belges, alors que l’orge vient du Canada, le houblon de Chine…”

En fait, dès la création de Nectar & Co en 2009 (qui produit entre autres un miel de ville, 14 miels monofloraux européens bios, trois hydromels, un vin de miel, du vinaigre), l’objectif de l’apiculteur a été de faire de l’hydromel son produit phare. “J’ai fait mon mémoire en sciences commerciales à l’Ichec sur la création d’une entreprise viable autour de l’hydromel. Cela fait 26 ans que je suis apiculteur. Le miel, c’était la vache à lait de l’entreprise ; il fallait vivre. Cela fait trois ans qu’on a lancé la production d’hydromel. Aujourd’hui, on produit 5.000 bouteilles et trois sortes d’hydromel. C’est encore anecdotique ; le but est d’arriver à 20.000 bouteilles ! Le rêve, ce serait de faire des hydromels monofloraux, que l’on ferait fermenter séparément et puis de réaliser des assemblages de cépages, comme pour le vin. Personne ne fait ça aujourd’hui, nous serions les premiers !”

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