Vous polluez? Compensez!

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Plus une semaine ne passe sans qu’une entreprise ou une organisation – voire un pays – ne déclare avec fracas sa neutralité carbone ou les efforts qu’elle met en oeuvre pour l’atteindre. Signe de l’évolution des consciences, préoccupation sincère ou coup de com’ ? Pas toujours facile de séparer le bon grain de l’ivraie.

Fin janvier, la puissante Compagnie maritime belge (CMB) a annoncé qu’elle compensait l’intégralité des émissions de CO2 de ses navires en investissant dans le reboisement, dans l’énergie éolienne, solaire et l’hydrogène pour ses navires. Une semaine auparavant, Microsoft a décidé de compenser ses émissions de CO2 depuis sa création en 1975 tandis que la Commission européenne a voté son Pacte vert en le rehaussant d’objectifs plus ambitieux que ceux prévus au départ. Dans la foulée, le géant de la construction Vinci a annoncé réduire ses émissions de 30 % d’ici 2030 et viser la neutralité carbone en 2050. Au début de l’année, c’était l’Autriche qui annonçait viser la neutralité à l’horizon 2040. Et en novembre dernier, même la compagnie aérienne Easyjet annonçait qu’elle serait la première du monde à atteindre la neutralité carbone par compensation, en investissant 25 millions de livres (29,2 millions d’euros).

Les effets d’annonce passés, plusieurs questions se posent, notamment quant à la sincérité et à l’efficacité des démarches de compensation d’émissions de CO2. Comment agir intelligemment en la matière ? Comment discerner le bon grain de l’ivraie ? Comment être sûr que l’impact du geste que l’on pose à titre personnel ou avec son entreprise sera le plus positif possible ?

Les foyers améliorés permettent de consommer moins de bois et de diminuer la déforestation.
Les foyers améliorés permettent de consommer moins de bois et de diminuer la déforestation.© PG

Qu’est-ce que la compensation carbone ?

Théoriquement, la compensation carbone, c’est le fait de contrebalancer ses émissions de CO2 par le financement de projets de réduction d’autres émissions ou de séquestration de carbone. Elle s’applique principalement au CO2, mais elle peut concerner d’autres gaz à effet de serre. Les industries les plus polluantes ont reçu leurs quotas d’émissions de CO2 alors que les autres entreprises compensent sur une base volontaire. Les compensations s’appuient sur des règles strictes comme le Gold Standard développé par le WWF ou le Verified Carbon Standard.

A qui s’adresser ?

En Belgique, CO2logic était la première entreprise à se lancer, en 2007, dans la compensation CO2, un secteur encore balbutiant. Depuis, d’autres acteurs se sont lancés, mais CO2logic demeure un acteur de référence en la matière. ” Nous avons un rôle de conseiller : notre mission est d’aider un maximum d’entreprises à connaître, réduire puis, enfin, compenser leurs émissions. Cela veut dire que, dans les démarches que nous accompagnons, la compensation vient toujours en surplus des mesures de réduction des émissions “, expliquent Antoine Geerinckx et Eric Dierckx, respectivement fondateur & CEO et partner & project director de CO2logic.

” En 2014, nous avons créé Naturalogic afin d’étendre notre expertise à d’autres domaines que le CO2. Le calcul mené par Naturalogic est un exercice plus difficile car il tient compte de tous les indicateurs environnementaux. ” En effet, mesurer l’impact des émissions de CO2 est relativement facile car ce gaz se fixe dans l’atmosphère, qui est partagée par tout le monde, où que l’on se trouve. Ce qui n’est pas le cas de la pollution de l’air, de l’eau ou des sols qui sont bien entendu localisés.

Comment procéder à un bilan CO2 ?

La démarche de CO2logic s’effectue en quatre étapes : calculer, réduire, compenser et communiquer.

” Premièrement, en partant de toutes les données d’activités disponibles d’une entreprise, on extrait les données primaires : consommation de gaz, de fioul, de mazout, flotte de voitures, etc., explique Eric Dierckx. Les paramètres sont les quantités de ressources fossiles brûlées, la consommation d’électricité, etc. Entrent aussi dans le calcul des données moins faciles à maîtriser par l’entreprise, comme les matières premières, la logistique, les déchets, les vols, les trajets des employés, etc. Si l’entreprise n’a pas de connaissance ou de maîtrise de ces données, nous formulons une estimation ensemble à partir d’une approche pragmatique mais toujours scientifiquement fondée. Tous ces paramètres sont déterminés par un protocole qui permet de comparer deux bilans. ”

” En second lieu, nous conseillons l’entreprise dans les mesures qu’elle doit prendre afin de réduire ou d’optimiser sa consommation et diminuer ses émissions de gaz à effet de serre en se concentrant sur ce qui a le plus d’impact. Puis, vient l’action de compensation, qui est relativement simple à partir du moment où vous connaissez vos émissions. L’entreprise choisit le ou les projets pour le climat qu’elle souhaite soutenir parmi ceux que nous proposons. Enfin, détaille Eric Dierckx, nous aidons les entreprises à communiquer correctement afin de favoriser une certaine émulation et qu’elles entraînent d’autres entreprises à suivre leur exemple. ”

A l’issue de ces quatre étapes, l’entreprise obtient le label CO2 Neutral qui est reconnu au niveau international.

Le label CO2 Neutral est-il fiable ?

Il s’agit de l’unique label qui garantit que les crédits sont certifiés par le standard universel, le PAS 2060. ” Tous les organismes actifs dans le domaine de la compensation ne proposent pas de crédits certifiés. Travailler avec un acteur qui ne propose pas de crédits certifiés comporte des risques, car on ne sait pas avec certitude si la tonne de CO2 aura réellement été évitée ou captée et séquestrée “, prévient Eric Dierckx, dont l’entreprise travaille exclusivement avec des crédits certifiés (Gold Standard, VCS ou Plan Vivo) et qui, en plus, fait vérifier sa démarche par Vinçotte.

Compenser ici ou ailleurs dans le monde ?

La question revient souvent lorsqu’on aborde le sujet de la compensation carbone: est-ce pertinent de soutenir des projets dans les pays en développement alors que c’est ici, dans les pays industrialisés, que l’on produit le plus de gaz à effet de serre ?

” Chez CO2logic, nous avons choisi de soutenir des projets dans des pays en développement car nous estimons que c’est là que l’on peut avoir un plus grand effet de levier : 1.000 euros investis là-bas auront beaucoup plus d’impact qu’ici, répond Eric Dierckx. Certes, il y a des organismes qui proposent, entre autres, des projets de reforestation en Belgique, mais il faut savoir que ces derniers ne délivrent pas de crédits certifiés et donc ne permettent pas d’obtenir le label CO2Neutral. Pour notre part, nous encourageons nos clients à soutenir ces projets en surplus d’une démarche pour des crédits certifiés. ”

Deux critères guident le choix des projets soutenus par CO2logic : seuls sont choisis ceux qui peuvent avoir un impact avéré sur le climat mais qui n’auraient pas pu voir le jour sans un soutien financier provenant de la compensation CO2. C’est une règle générale qui s’applique à tout projet actif dans la compensation certifiée. ” Deuxièmement, nous veillons à ce que le problème ne soit pas déplacé. On a déjà pu voir des entreprises qui pratiquaient de la reforestation au détriment des populations locales. Nous veillons évidemment à éviter ce genre de dommages “, précise Eric Dierckx.

Eric Dierckx
Eric Dierckx ” Plus on attend pour agir pour le climat, plus cela coûtera cher. “© PG

Quels projets pour le climat ?

Ouganda, Kenya, Bénin, Burkina Faso, Congo, Rwanda, les projets pour le climat proposés par CO2logic ratissent large. ” Pour sélectionner nos projets, nous cherchons toujours à comprendre combien de personnes ont été touchées, quel impact réel a eu la démarche. Cela provient d’une préoccupation plus forte de nos clients quant à l’impact réel de leur action. Nous avons toujours eu des exigences très sévères sur la qualité du contrôle de nos projets pour le climat. ”

” L’un de nos projets phares, c’est un four amélioré ( ou “foyer amélioré”, dans le jargon du développement, Ndlr) qui fonctionne avec une quantité réduite de bois ou de charbon. Les bienfaits de ce four sont nombreux : moins de déforestation car le four consomme jusqu’à 50% moins de bois, moins d’émissions de fumées et de CO2 et meilleure qualité de vie des populations locales “, énumère Eric Dierckx.

Mais outre les projets visant à réduire ou à capter les émissions de carbone, CO2logic soutient également des projets de développement. De puisage d’eau potable et d’agroforesterie, par exemple : ” Nous rencontrons les porteurs de projets sur place et nous les aidons à faire reconnaître et certifier leur projet car c’est cela qui va le mettre sur le marché et générer des revenus récurrents pour les populations locales tant qu’ils entretiennent le projet, c’est ce qui s’appelle ‘result based finance’ “, explique Eric Dierckx.

” Certains de nos clients alimentent aussi leur propre projet, ajoute-t-il. C’est le cas de Spadel, UCB, Interparking ou Proximus. Ce dernier a, pour sa part, investi dans un projet de fours améliorés avec un échangeur de chaleur qui permet de charger un téléphone ou une lampe LED. Avec ce projet, Proximus parvient à compenser une grande partie de ses émissions de CO2. ”

Les quotas des entreprises polluantes

Les entreprises sont-elles obligées de mettre en oeuvre des politiques de compensation ? En Belgique, 50 % des émissions produites tombent dans l’ emission trading scheme : le fameux système EU ETS, alias le système européen d’échange de quotas. ” Toute entreprise active dans des secteurs très polluants comme la chimie, le raffinage, l’acier, etc., se voit attribuer un certain nombre de quotas. Une fois ce nombre dépassé, l’entreprise doit payer. Ces fameux crédits ont été fort décriés il y a quelques années. La ‘sur-allocation’, et ensuite la crise, a fait que les crédits ne coûtaient rien. A présent, après correction du système, une tonne de CO2 se monnaie 25 euros et on estime que cela pourrait monter jusqu’à 100 euros, estime Eric Dierckx. Bien entendu, plus on attend pour agir pour le climat, plus cela coûtera cher. ”

Le traitement des 50 % d’émissions restantes, qui ne tombent donc pas dans le système des ETS, est l’affaire du marché volontaire, donc non obligatoire. ” Les entreprises ne sont pas obligées de compenser leurs émissions, mais elles ressentent de plus en plus de pression, implicite ou pas, pour le faire, détaille Eric Dierckx. Certaines le font par conviction, d’autres sans doute pour soigner leur communication ou parce qu’elles ressentent une certaine pression de leurs investisseurs ou de leurs employés. ” ” De toute manière, nous pensons qu’agir est mieux que de ne rien faire du tout “, complète Antoine Geerinckx.

Comment repérer le ” greenwashing ” ?

Que penser d’un label CO2Neutral apposé sur un webshop, sur une enveloppe ou sur une tablette de chocolat ? Comment le consommateur peut-il s’assurer de la sincérité d’une démarche de compensation ? D’après Eric Dierckx, ” tout n’est pas à jeter, mais c’est bon de se poser la question de la certification des crédits “.

Voici quelques questions à se poser : est-ce un label vérifié par un tiers indépendant ? La démarche inclut-elle une aide ou des conseils pour réduire les émissions ? L’entreprise affiche-t-elle un numéro de référence pour la traçabilité ?

Il faut aussi apprendre à lire les étiquettes : si vous avez un badge CO2Neutral sur un emballage, cherchez à savoir si c’est l’emballage lui-même, le processus de fabrication du produit ou toute l’entreprise qui est neutre… Encore une fois, c’est au consommateur d’avoir le réflexe d’aller voir, de creuser et d’éplucher les étiquettes ou les rapports.

” Toutefois, nous constatons beaucoup moins de greenwashing qu’avant, concède Eric Dierckx. On peut dire que le marché de la compensation est de plus en plus mature, tant du côté des entreprises que des particuliers. En effet, du côté des entreprises, la pression augmente de toutes parts. Les particuliers qui compensent sont de plus en plus nombreux aussi, notamment à travers notre plateforme Greentripper ( lire “Compenser un vol en trois minutes”). Aujourd’hui, avec notre petite équipe de 17 personnes, nous aidons à réduire et à compenser l’équivalent de 2% du total des émissions de notre pays. En définitive, ce qui importe c’est qu’un maximum d’entreprises s’inscrivent dans cette démarche afin de ne pas remettre la responsabilité et le coût de l’impact climatique aux générations futures. ”

Compenser un vol en trois minutes

Vous polluez? Compensez!
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Pour ceux qui envisagent de voyager en avion, qui souhaitent accompagner leur voyage d’un geste pour la planète et dont la compagnie ne propose pas une compensation carbone, CO2logic a développé Greentripper. L’utilisateur entre les données de son vol sur la plateforme et le module lui propose de le compenser de deux manières, avec ou sans le forçage radiatif (la traînée blanche qui apparaît dans le sillage des avions et qui a un effet de serre supplémentaire). Selon la formule choisie, un aller-retour Bruxelles-Marrakech, par exemple, ” coûtera ” 7,37 ou 13,48 euros en carbone. L’utilisateur prend aussi connaissance des émissions de son vol (en l’occurrence 1.113 kg avec forçage radiatif) ainsi que les moyennes d’émissions de chaque Européen, d’une voiture, etc. Avant de passer à la caisse, il choisit le projet qu’il va soutenir. Les démarches, simplissimes, prennent quelques minutes. ” En 2019, nous avons compensé presque quatre fois plus de CO2 qu’en 2018 et convaincu quatre fois plus de voyageurs, commente-t-on chez Greentripper. Au total, nous avons eu plus de 2.000 compensations pour plus de 8.000 tonnes de CO2 compensées. En plus de ces chiffres, en 2019, nous ajoutons 7.500 tonnes compensées grâce aux professionnels du tourisme qui sont nos ‘partenaires climat’ et qui proposent nos services à leurs voyageurs “, s’enthousiasme Anne Robertz, directrice de Greentripper.

Que font les géants du Web et de l’e-commerce ?

AMAZON Pas un modèle du genre, du point de vue environnemental.
AMAZON Pas un modèle du genre, du point de vue environnemental.© BELGAIMAGE

Les géants d’Internet, acteurs principaux de la troisième révolution industrielle, ont fini par se faire rattraper par la révolution climatique… Des centaines d’employés d’Amazon (symbole par excellence de la surconsommation et du gaspillage) ont formé il y a quelques mois le collectif Amazon employees for climate justice (AECJ), afin de faire pression sur leur employeur pour qu’il s’investisse plus pour l’environnement.

En réponse à cela, leur patron Jeff Bezos avait annoncé en septembre le Climate Pledge, soit une série de mesures destinées à faire d’Amazon un modèle et visant un bilan carbone neutre en 2040. Mais comment l’entreprise compte-t-elle compenser les 44,4 millions de tonnes de CO2 produites annuellement ? En déployant une flotte de 100.000 camionnettes électriques, en investissant 100 millions de dollars dans la restauration des forêts, etc. En revanche, Amazon a indiqué avoir mis au point son propre système de calcul de ses émissions et entend le partager avec ses pairs… Reste à voir si ce fameux calcul mis au point par l’entreprise prendra en compte la livraison de pas moins de 10 milliards de colis par an, les kilomètres parcourus en avion par ces colis et, évidemment, la surexploitation des ressources engendrée par la consommation de masse.

D’après le collectif AECJ, les mesures sont encore insuffisantes : ” En tant qu’employés d’Amazon, nous sommes responsables non seulement du succès de l’entreprise mais également de son impact “. De nombreux observateurs sont perplexes, d’autant que certains membres de l’AECJ ont été menacés de licenciement et que le New York Times a révélé l’été dernier le financement par Amazon du Competitive Enterprise Institute, un think tank réputé pour être climatosceptique.

Google, en revanche, se revendique comme étant neutre en carbone depuis 2007 et la seule entreprise de son envergure à compenser intégralement sa consommation d’électricité annuelle avec des énergies renouvelables depuis 2017. Le géant californien précise avoir déjà réduit de 40 % ses émissions de CO2 générées par l’acheminement de marchandises entre 2017 et 2018, notamment en préférant le transport par bateau au transport aérien.

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