Voiture électrique: un coup de pouce fiscal pour les bornes

Crédit d'impôtLe montant de la déduction fiscale pourrait atteindre les 675 euros. © pg
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

La “loi sur le verdissement fiscal et social de la mobilité” encouragera l’installation de chargeurs à domicile ou en entreprise. Une initiative essentielle pour compenser la faiblesse des réseaux publics.

La voiture électrique sera la règle dans les flottes d’entreprise à partir de 2026. Les autres motorisations seront exclues des avantages fiscaux spécifiques aux véhicules de société. Le grignotage de ce statut fiscal favorable commencera dès 2023 (*). La loi qui électrifiera la fiscalité des voitures de société, appelée “loi organisant le verdissement fiscal et social de la mobilité”, prévoit des incitants fiscaux pour que les particuliers et les entreprises s’équipent en bornes avant ces échéances.

Bien que le Parlement ait tardé à voter la loi dans sa version finale, le projet stipule que la mesure sera applicable aux installations mises en service depuis le 1er septembre 2021.

Le dispositif prévoit que les particuliers pourront obtenir un crédit d’impôt de 45% sur une borne de charge dite intelligente ( lire l’encadré “Qu’est-ce qu’une borne intelligente?”) alimentée par une électricité verte, pour un montant maximum de 1.500 euros (soit 675 euros de crédit). Les entreprises pourront obtenir, elles, une déduction à 200% des bornes intelligentes installées sur leur parking, pour autant que celles-ci soient d’accès public aux heures et jours ouvrables mais aussi, selon l’exposé des motifs du projet de loi, en dehors de ces heures. La déduction améliorée sera dégressive: 200% pour les investissements entre septembre 2021 et le 31 décembre 2022 et de 150% entre le 1er janvier 2023 et le 31 août 2024.

Nous espérons tripler notre chiffre d’affaires en 2024.” Hugues Dhaeyer, cofondateur de Powerdale

“Nous espérons tripler notre chiffre d’affaires en 2024, c’est un fameux coup de pouce pour le secteur”, avance Hugues Dhaeyer, cofondateur de Powerdale, une des rares entreprises belges qui fabriquent des bornes, et ce depuis presque 10 ans. Powerdale devrait arriver à un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros cette année. C’est un acteur historique du marché, fournissant des grands réseaux comme Chargy au grande-duché de Luxembourg et des bornes à destination des entreprises et des particuliers via des installateurs ou des énergéticiens comme Luminus.

Une aide de 45% pour le particulier

La loi sur le verdissement des flottes prévoit une aide à l’équipement de borne de charge à domicile. Un crédit d’impôt couvre 45% des frais d’équipement et d’installation, pour un montant maximum de 1.500 euros. Une installation à 2.000 euros, par exemple, sera donc aidée à hauteur de 675 euros. Ce taux de 45% est valable pour les équipements installés entre le 1er septembre 2021 et le 31 décembre 2022. Il descendra à 30% en 2023 puis à 15% du 1er janvier au 31 août 2024. Il vaut donc mieux ne pas traîner. La borne doit être “intelligente”, alimentée par de l’électricité verte à 100% et son installation devra être certifiée.

L’entreprise propose aussi des câbles “intelligents”, à brancher sur une simple prise, qui peuvent notamment indiquer via onde radio quelle quantité d’électricité a été chargée par un employé à son domicile, afin que l’employeur puisse rembourser ce dernier. Cette approche est surtout adaptée aux véhicules hybrides rechargeables car la puissance de charge qu’ils réclament est plus modérée. Powerdale a commercialisé 7.500 câbles “intelligents” et 3.800 bornes cette année. L’entreprise a aussi développé un service et des logiciels afin de faciliter ces remboursements ( split billing) et des logiciels de gestion d’énergie qui permettent d’équilibrer les besoins d’un bâtiment et d’un parc de bornes.

Voiture électrique: un coup de pouce fiscal pour les bornes
© Getty Images

Les entreprises interviennent déjà

Les sociétés n’ont pas attendu la loi sur le verdissement des flottes pour intervenir dans l’aménagement d’installations chez leurs salariés. Si ceux-ci disposent d’un garage, elles intègrent généralement une borne à domicile dans le cadre de leur offre de voitures de société. Elles prévoient notamment des bornes communicantes (par carte SIM) qui permettent d’envoyer des données de consommation afin de pouvoir assurer le juste remboursement. Elles y ont intérêt certes pour encourager le passage à l’électrique des flottes, mais aussi pour une question de coût, la charge à domicile revenant moins cher que sur une borne publique.

Chez le particulier, le kWh revient environ à 26 centimes (les tarifs grimpent ces derniers temps) contre au moins 40 centimes avec une borne publique, et régulièrement plus de 70 centimes via une borne rapide. La charge sur le parking des entreprises coûte environ 15 centimes par kWh car celles-ci obtiennent souvent de meilleurs tarifs. Par comparaison, la consommation moyenne d’une automobile à carburant revient à environ 55 centimes par kWh. Les employeurs tablent en général sur un coût d’énergie moindre pour un véhicule électrique que pour sa cousine thermique. “Idéalement, il faudrait organiser la recharge en priorité au bureau, puis à la maison, et seulement ensuite sur la voie publique, si l’on ne peut faire autrement”, dit Nicolas Paris, CEO d’EDI, l’un des grands installateurs du marché et filiale du groupe D’Ieteren.

“En général, pour l’installation d’une borne intelligente, les entreprises proposent une intervention plafonnée, par exemple 1.800 euros”, continue Nicolas Paris. Les employeurs hésitent en effet à s’engager à couvrir tous les frais car ceux-ci peuvent varier selon les logements, la longueur des câbles à poser, l’état de l’installation électrique ou la nécessité éventuelle de renforcer le compteur. Mais la borne en elle-même revient déjà à un millier d’euros pour un modèle connecté.

Des bornes depuis cinq ans chez ALD

Les loueurs aussi ont pris les devants. Ils proposent aux entreprises des packages pour que les fleetmanagers puissent disposer d’une offre de prise en charge de bornes à domicile. “Nous le faisons depuis cinq ans”, assure Ann Larosse, innovation & CRS manager chez ALD Automotive en Belgique, un des principaux acteurs du marché. La formule appliquée généralement est la même que celle évoquée par Nicolas Paris (EDI): une intervention plafonnée de l’employeur. Pour équiper les particuliers, ALD Automotive travaille avec Eneco et a récemment annoncé un partenariat avec ChargePoint pour les parkings des entreprises.

Mais tout le monde n’est pas convaincu de l’impact des mesures fiscales sur les utilisateurs de voitures de société. “Pour les employeurs qui ont déjà décidé de proposer des offres électriques ou hybrides rechargeables à leurs salariés et de prendre en charge la borne à domicile, la nouvelle aide fiscale à destination des particuliers ne devrait pas avoir une grande influence”, estime Ann Larosse. Par contre, l’incitant fiscal prévu pour encourager l’installation de bornes sur les parkings des entreprises pourrait avoir un impact plus important.

“De notre point de vue, ces mesures auront un effet positif, objecte Nicolas Paris. Car il y a aussi les voitures des indépendants”, ceux qui utilisent leur véhicule personnel à titre professionnel et qui ne sont pas forcément concernés par des mesures prises dans le cadre de flottes d’entreprises. Les mesures fiscales devraient donc pousser ce marché.

Compenser la rareté des bornes publiques

Si les pouvoirs publics veulent réussir l’électrification du parc des voitures de société, la question des bornes est cruciale. Plus on trouvera de bornes dans les garages des particuliers et sur les parkings des entreprises, moins la pression sera forte sur celles disponibles sur la voie publique, qui devraient être surtout destinées aux utilisateurs de véhicules électriques ne possédant pas de garage.

Autre élément: si le budget couvert par l’employeur est dépassé, l’excédent pourrait être éventuellement pris en charge à travers le nouveau système d’aide à l’installation d’une borne privée. “Je n’exclus pas que ce soit possible”, dit Frank Van Gool, directeur général de Renta, l’association des loueurs, qui suit attentivement les discussions entourant l’accouchement de la loi. Le projet ne le précise toutefois pas clairement. “Il s’agit d’une zone grise”, à préciser.

Quelle puissance à domicile?

Il est possible de charger une automobile électrique à son domicile avec une simple prise, mais ce procédé se révèle très lent à l’usage. Pour des raisons de rapidité mais aussi de sécurité, mieux vaut installer une borne. Sa performance dépendra de la qualité du réseau électrique de la maison et du courant disponible. Il n’est pas nécessaire de disposer à son domicile de la puissance d’une borne de rue, qui produit souvent du 22 kW en courant alternatif (les voitures n’acceptent généralement que 11 kW en AC) mais suppose une alimentation de 400 volts en triphasé. Dans la majorité des cas, les bornes pourront assurer une puissance de 3,7 ou de 7,4 kW sans surcoût pour l’installation ni renforcement du compteur. Une borne de 7,4 kW permet de gagner environ 40 km d’autonomie par heure. Un véhicule disposant d’une batterie de 60 kWh a une autonomie d’environ 400 km. Il se chargera en moins de 10 h sur une borne à 7,4 kW. Une durée qui, au quotidien, sera plus courte car les voitures sont rarement totalement déchargées (c’est même déconseillé). Idéalement il vaut mieux disposer, avec la borne, d’un système d’équilibrage de charge dynamique ( load balancing, 100 à 400 euros de supplément) qui freine cette charge lorsque d’autres appareils sont en marche dans la maison ou quand il y a risque de surcharge.

La facturation devrait alors être divisée entre l’employeur, qui prendrait en charge l’installation jusqu’au plafond fixé, et le solde réclamé au salarié, sur lequel celui-ci pourrait bénéficier de ce crédit d’impôt. A moins, dit Frank Van Gool, que l’employeur ne prenne en charge la totalité de la facture et déduise le coût hors budget du salaire brut de l’employé.

Parkings d’entreprises ouverts au public?

Les aides pour les bornes d’entreprises prévues par la loi de verdissement des flottes devraient être les bienvenues. “Mais comme celles-ci doivent alors être ouvertes au public, cela semble moins intéressant”, estime Frank Van Gool. Ann Larosse est plus optimiste: “Je n’ai pas l’impression que cette obligation freinera les entreprises”. Cela dépend aussi du type de parking. “Même si les entreprises ne souhaitent pas recourir à la déduction à 200% et aux conditions d’accès public qu’elle implique, elles seront incitées à installer malgré tout des bornes pour rassurer leurs salariés. C’est une question de confort.” Et aussi de coût puisque, comme on l’a déjà expliqué, la recharge au bureau reste de loin la meilleur marché, surtout si l’entreprise possède des panneaux solaires. “On peut imaginer installer quelques bornes d’accès public et déductibles à 200% sur le parking visiteurs, et d’autres pour le personnel”, poursuit Ann Larosse.

Idéalement, il faudrait organiser la recharge en priorité au bureau, puis à la maison, et seulement ensuite sur la voie publique.” Nicolas Paris, CEO d’EDI

Ces mesures fiscales vont de toute façon entraîner une poussée du secteur. Avec sans doute une période de blanc, car la livraison des automobiles est aujourd’hui freinée par la pénurie de composants électroniques. “Beaucoup de clients préféraient attendre que la loi soit votée avant de passer commande, remarque Nicolas Paris. Mais les délais vont vite s’allonger. Ils sont déjà d’un mois. Nous installons actuellement une centaine de bornes par semaine.” A noter que la crise qui touche l’industrie automobile concerne aussi le secteur de la borne. “Nous ressentons aussi le manque de composants électroniques, assure Hugues Dhaeyer, de Powerdale. Mais comme nous sommes fabricant, nous disposons d’une certaine souplesse ; nous pouvons décider de changer un composant et de le remplacer par un autre.” Le directeur perçoit aussi une plus grande pression des utilisateurs. Surtout ceux qui débutent dans la voiture électrique, qui sont davantage plongés dans l’incertitude face aux questions d’autonomie, aux soucis techniques ou aux (faux) détails… “Certaine voitures ne se chargent que si les portes sont verrouillées ; il faut le savoir”, explique Hugues Dhayer à titre d’exemple.

Qu’est-ce qu’une borne intelligente?

Les aides fiscales sont réservées aux bornes dites intelligentes. Généralement connectées, elles permettent une programmation de la charge via une application. Le projet de loi indique que “de cette manière, la charge des véhicules électriques ne vient pas compromettre la sécurité d’exploitation du réseau électrique et soutient le développement des énergies renouvelables intermittentes en offrant de la flexibilité.” En d’autres termes, la borne intelligente pourrait être pilotée par le réseau de distribution de manière à éviter une trop forte demande à l’heure de pointe, en freinant les charges en début de soirée mais en ouvrant plus largement les vannes à partir de 21 h.

Voiture électrique: un coup de pouce fiscal pour les bornes
© pg / Fabrice Debatty

Enfin, le marché de la borne est lui-même seulement en train de réellement s’organiser. Car il est aujourd’hui très fragmenté. Certains électriciens proposent ce service, de même que des énergéticiens également spécialisés dans le photovoltaïque, comme Eneco, Lampiris ou Luminus, pour qui la borne est un prolongement naturel, pour ne pas dire un argument supplémentaire, afin de vendre du solaire. Il y a aussi des entreprises créées spécifiquement pour ce marché, comme Blue Corner, MobilityPlus. Ou EDI, du groupe D’Ieteren Auto, qui vise à fournir à la fois les concessionnaires maison (marques du groupe VW: Audi, VW, Skoda, Seat, Porsche, etc.) et le marché toutes marques. Les concessionnaires eux-mêmes ont généralement des partenaires à proposer à leurs clients, tout comme les sociétés de leasing. Tous proposent également des cartes afin d’accéder aux réseaux de bornes publiques.

(*) Au moment où nous achevions cet article, la loi n’avait pas encore été adoptée en deuxième lecture. Les éléments fiscaux avancés devraient y être maintenus mais seul le texte voté sera bien entendu appliqué.

Surtout des voitures de société

*La part des voitures électriques a frôlé les 5% du total des immatriculations pour les neuf premiers mois de 2021 (15.296 exemplaires), contre 3,6% sur la même période en 2020. Elles sont en grande majorité le fait des entreprises (86,3%).

*Le hit-parade des immatriculations électriques? Tesla Model 3 (1.937 exemplaires), suivie des Audi e-Tron (1.439), des VW ID. 3 (988), et des BMW X3 (905).

*Le nombre de bornes publiques en fonction dans le pays était de 12.806 au mois de septembre, selon notre confrère Fleet.

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