Vingtième édition du Gault&Millau: bien plus qu’un simple guide…
A la fin 2003 sortait pour la première fois le Gault&Millau Benelux. Vingt ans plus tard, ses deux fondateurs, Marc Declerck et Justin Onclin, ont fait de leur entreprise une véritable “success story” qui, outre les guides jaunes, intègre d’autres dimensions comme la cuisine des collectivités ou les innovations culinaires.
En 1972, les Français Henri Gault et Christian Millau, journalistes et chroniqueurs gastronomiques, sortent la première édition du Guide Gault&Millau, un ouvrage qui se donne pour vocation de replacer les chefs et leurs créations au centre des préoccupations. Les deux amis seront ainsi à la base de ce qu’on appellera la nouvelle cuisine, avec ses 10 commandements, soutenant et poussant vers le devant de la scène des cuisiniers comme Paul Bocuse, Roger Vergé, Alain Senderens ou les frères Troisgros. En Belgique, sous l’égide du groupe Rossel, une édition belge francophone est longtemps parue en encart dans le guide français. Mais les choses ont changé il y a 20 ans, quand Marc Declerck et Justin Onclin sont entrés dans la danse, d’abord en association avec Rossel et puis en lançant seuls un premier guide à la fin 2003: le Gault&Millau Benelux.
Le chiffre d’affaires de Gault&Millau Benelux tourne entre un et deux millions d’euros. La moitié est réalisée par les guides.
En Belgique, les deux cofondateurs sont loin d’être inconnus. Justin Onclin, actif dans le secteur du vin via la Sovex, a été propriétaire, en tout ou en partie, de grands domaines bordelais comme Villemaurine, Prieuré- Lichine ou Branas Grand Poujeaux. Il fut aussi propriétaire de la Cristallerie du Val St-Lambert et de… Gault&Millau International. Marc Declerck, aujourd’hui banquier privé, est à la base de la rubrique gastronomique du Tijd. “Cela remonte à 30 ans ou quasi. J’avais dit à Paul Huybrechts, le patron de l’époque, que non seulement, son journal n’était pas comique en semaine mais que son nouveau supplément du week-end n’était pas plus comique: il n’y avait pas la moindre ligne sur la gastronomie, ma passion depuis l’âge de 10 ans. Il m’a donné carte blanche. J’avais droit à une page tous les 15 jours en tant que freelance. J’ai fait des choses que je n’aurais jamais cru possibles: interviewer Albert Frère, aller chez Mondavi, rencontrer Robert Parker, etc. C’est pour le Tijd que j’ai interviewé Justin Onclin qui venait de racheter Gault&Millau International. Le courant est bien passé…”
En 20 ans, l’actionnariat belge de leur entreprise est resté stable alors que la maison mère a changé sept fois d’actionnaire principal. Marc Declerck et Justin Onclin ont signé un contrat de licence de longue durée pour le Benelux qui suppose de suivre un cahier des charges strict, notamment pour les guides. Pas question de sortir en vert ou de distribuer des étoiles plutôt que des cotes sur 20, par exemple.
25 inspecteurs
Le nombre de collaborateurs freelances qui se rendent anonymement dans les restaurants.
30.000 guides
En 20 ans, ils auront vu, en Belgique, disparaître tous leurs concurrents les uns après les autres: Delta, Lemaire, etc. Même Michelin a abandonné le papier pour se concentrer sur le digital. A la base de cette résilience, un modèle économique particulier qui permet de vendre 30.000 guides rien que sur la Belgique (les Pays-Bas et le Luxembourg ont un guide séparé même si les restos luxembourgeois sont ajoutés aux belges dans le guide Belux). “Nous nous sommes placés au centre du réseau et avons mis les gens en contact, explique Marc Declerck. Nous avons développé un modèle B to B to C: 80% de nos guides sont achetés par des entreprises qui sont trop heureuses de les offrir à leurs clients et prospects. Le solde est vendu en librairie, soit environ 6.000 exemplaires, ce qui fait du guide un best-seller chaque année. Nous avons une appli et un site gratuits et pourtant, nous n’observons aucune cannibalisation. Que les choses soient claires, nous sommes au centre du réseau mais nous demeurons férocement indépendants. Nos choix dans le guide sont les nôtres. C’est indispensable pour demeurer crédibles.”
Un métier qui a changé
Pour faire tourner l’entreprise, Gault&Millau Benelux dispose d’un comité de direction de six personnes, de quatre rédacteurs et 25 inspecteurs freelances et anonymes. Tout le monde va manger au restaurant et remplit des fiches. Ces fiches sont étudiées par le Review Committee. Par exemple, si un resto perd un point sur la fiche alors que tout était nickel l’année d’avant, le comité envoie un autre inspecteur pour confirmer.
“En 20 ans, le métier a beaucoup changé, confie Marc Declerck. C’est devenu de plus en plus difficile. Les clients attendent d’un chef, même un grand, qu’il change souvent son menu. Cela crée de la volatilité. Car franchement, il est impossible pour un chef de créer un chef-d’oeuvre tous les 15 jours. Tout doit aller trop vite. Une petite imperfection à droite ou à gauche, cela ne dérange pas. Cela prouve que ces chefs sont humains. Nous travaillons avec passion pour eux et pour les consommateurs. Le but est de diriger ces derniers vers le bon resto, ce qui en fin de compte revient à récompenser le chef qui le mérite.”
Deux autres axes
Au fil de son existence, Gault&Millau Benelux a lancé d’autres axes de développement. D’abord vis-à-vis des cuisines de collectivité. Chaque année, le guide jaune leur distribue des awards qui couvrent différents domaines: relation avec le client, gestion des déchets, santé et aspects nutritionnels, innovation et originalité, et responsabilité sociale. Les traiteurs événementiels ont aussi droit à des récompenses spécifiques. “Nous avons lancé Gault&Millau Catering il y a sept ans, explique Marc Declerck. Nous pensons que dans les hôpitaux, les homes, les écoles ou les entreprises, les gens ont droit à un repas correct et sain par jour. Nous jouons pour différentes sociétés le rôle de consultant ainsi que pour trois hôpitaux. Nous y engageons notre réputation et notre savoir-faire pour mener certains combats dont la fin de la réduction des coûts. Comment espérer bien nourrir des enfants avec un euro par jour?”
Parallèlement, Gault&Millau a mis le concept des Culinary Innovators sur les rails. Un projet que l’entreprise va coupler avec son tout récent Young Talent Project destiné aux écoles hôtelières. Là aussi, elle récompense les innovateurs et les audacieux (chefs, fournisseurs, producteurs, marketeers, etc.). “C’est un projet qui me tient très à coeur, confie Marc Declerck, et que nous allons continuer à développer. On y découvre des choses remarquables en termes de durabilité ou de responsabilité sociale par exemple. Comme Seppe Nobels, le chef anversois, qui a créé un restaurant de formation appelé In Stroom permettant à des réfugiés de se former et d’apprendre un métier.”
Guide des vins belges
La diversification se poursuit puisqu’au printemps prochain sortira le premier Guide Gault&Millau des vins belges. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de Gault&Millau Benelux tourne entre un et deux millions d’euros. La moitié est réalisée par les guides.
La version 2023 du guide Belux sort ce lundi 7 novembre. L’objectif dans les cinq ans est d’atteindre la fourchette supérieure (entre deux et trois millions d’euros) pour solidifier l’entreprise avant, sans doute, que les fondateurs ne pensent à leur retraite. Quant à la concurrence avec Michelin, elle n’existe pas.
“Michelin concurrent? sourit Marc Declerck. J’ai l’habitude de dire qu’ils font de superbes pneus et nous, de superbes guides! Nous nous tenons mutuellement éveillés et c’est très bien comme ça. Pour avoir du succès, il faut un bon produit. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi un bon réseau et que les gens vous aiment un petit peu. J’ai la chance de m’être entouré de gens passionnés: des foodies et des businessmen en même temps. C’est ce qui fait notre force.”
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