Vin belge : bientôt un million de bouteilles par an

© Reuters

La Belgique a produit en 2013 plus de 730.000 bouteilles de vin. Cela ne va pas s’arrêter là, car le vignoble grandit chaque année. Les vendanges 2014 ont commencé et seraient prometteuses.

“Quand je me suis lancé en 2003, il ne devait y avoir en Wallonie que 5 ha de vignes, avec le vignoble de Torgny, le plus méridional, et celui de Thorembais-les-Béguines”, raconte avec verve Philippe Grafé, le fondateur du Domaine du Chenoy, 10 ha de pente douce orientés plein sud dans le village namurois de Bovesse, une production bon an mal an de 50.000 bouteilles de blanc, rouge, rosé et effervescent. Et aujourd’hui, estime-t-il, il doit y avoir près de 85 ha côté wallon.

Le pays du vin ?

Si l’évolution de ces dernières années se confirme (lire l’encadré “Le vignoble belge grandit”), la Belgique pourrait espérer produire bientôt plus d’un million de bouteilles par an. “Oui, peut-être, relativise en souriant doucement Philippe Grafé, mais un million de bouteilles, c’est moins que les plus petites appellations françaises, et infiniment moins que la consommation des Belges, qui boivent environ 250 millions de litres de vin par an.” Il y aurait donc un boulevard pour les producteurs belges ? Pas sûr, répond-il : l’investissement en terres, bâtiments et équipements est considérable, la vigne ne porte qu’après trois ans, il faut compter un an de plus pour faire le vin et l’embouteiller, ensuite six mois minimum de repos, et au bout de ces quatre ans et demi, il faut encore pouvoir le vendre. “Et c’est vrai qu’au départ, personne n’en voulait, de mon vin, poursuit-il. Parce que la France, depuis toujours, matraque chez nous et au monde entier qu’elle est la seule capable de produire des vins de qualité, qu’elle est la seule à avoir les terres qui conviennent, le meilleur climat, les meilleurs cépages, et encore qu’elle est la seule à maîtriser les meilleures techniques de culture et de vinification. Alors, du vin belge…”

Passer au rouge

Philippe Grafé connaît bien le vin. Avec son frère, il a dirigé pendant 40 ans la classique, vénérable et réputée maison namuroise Grafé Lecocq, seul éleveur-négociant de Wallonie (depuis 1879). En 2000, à l’âge de la retraite, il a repris ses billes et a cherché, à droite à gauche, une reconversion. “Un ami, un jour, m’a fait goûter un vin anglais – oui, anglais – un vin blanc fruité, de cépage Seyval, un hybride mis au point vers 1970. Une révélation ! Le hasard de mes recherches m’a ensuite emmené en Allemagne, où le travail de la vigne est beaucoup plus moderne, et où j’ai eu le coup de foudre pour le Régent, un cépage rouge mis au point récemment, à l’époque encore assez rare, très résistant aux maladies, ce qui permet de fortement limiter l’usage de pesticides. J’ai eu l’opportunité d’en acquérir 2.000 pieds.” Qui ont été rejoints ensuite par d’autres cépages, moitié en blanc moitié en rouge.

“Tout le monde m’avait prédit que j’allais me casser la figure. J’avais compris qu’il ne fallait pas chercher à ressembler à ce qu’on fait dans le sud, mais j’étais persuadé que si je produisais un produit correct, à un prix raisonnable, ça devait marcher. Cela a été dur, mais je ne regrette rien. Regardez ce domaine : il n’est pas magnifique ?” Les mentalités évoluent, et les viticulteurs belges sont pris au sérieux. Il est même de bon ton de faire déguster une bouteille produite chez nous, qu’il n’est toutefois pas toujours facile de trouver dans la grande distribution. Agé de 10 ans, le vignoble du Chenoy permet de salarier trois temps pleins ainsi que des saisonniers une soixantaine de jours par an pour la taille, l’élagage, etc. Fabrice Wuyts (cofondateur de Proximedia, récemment racheté par Publicis) vient d’entrer dans l’affaire.

Investissements en vue

Juste à côté, Jean-François Baele a planté en 2005, sur les terres de la ferme familiale, son premier hectare de vignes, bientôt suivi de quatre autres, dans la continuité du Domaine du Chenoy où il a effectué son travail de fin d’études sous la houlette de Philippe Grafé. Mais à l’inverse de celui-ci, Jean-François Baele estime que les surfaces consacrées à la vigne en Belgique vont encore croître. “Certains pépiniéristes ont reçu des commandes très importantes, pour des vignobles allant jusqu’à 40 ha du côté d’Anvers notamment. Et c’est tant mieux ! Moi, si Vranken veut venir planter à côté d’ici, j’applaudis. Cela nous donnerait à tous de la visibilité.” Le Liégeois Paul-François Vranken, PDG du groupe champenois Vranken-Pommery (326 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013 ), a en effet fait part en 2011 de son intention de planter plusieurs dizaines d’hectares de vignes dans la vallée de la Meuse. Dont 5 ha sur les coteaux de la Citadelle, superbe vitrine en plein coeur de Liège. Où il s’est heurté à la coopérative Vin de Liège qui avait le même projet. La coopérative, qui produit en bio sur une douzaine d’hectares en Basse-Meuse, n’y a pas renoncé. Le dossier est dans les mains de la ville de Liège.

Le réchauffement climatique

Jean-François Baele reconnaît que, s’il n’avait pas bénéficié des terres et des bâtiments, l’aventure aurait été impossible. Aujourd’hui, ça tourne plutôt bien, il a planté en avril dernier 2,5 ha de plus et en plantera encore deux nouveaux l’an prochain, avec un partenaire. “Mais même quand on a la terre, dit-il, il faut investir des centaines de milliers d’euros pour les bâtiments et l’outillage, tout en sachant que le premier retour de la vigne n’arrive que cinq ans plus tard.” Aujourd’hui, il a engagé un salarié, confié la vente à un commercial, et créé une entreprise de travail à façon, pour pouvoir amortir son matériel dans d’autres vignobles ou en travaillant le raisin produit ailleurs. Cela permet de faire rentrer des liquidités au fur et à mesure, explique-t-il, et de ne pas être à la merci d’une grêle qui détruirait la récolte.

“Le réchauffement climatique n’est pas un bien pour nous, craint en effet Philippe Grafé : il ne va nous apporter que des conditions extrêmes et désagréables, comme ces grêlons gros comme des oeufs de pigeon, de plus en plus fréquents. Avant, on ne les voyait que tous les 10 ans. Chez moi, si j’ai ça, le vignoble est foutu pour deux ans au moins…”

MICHEL DELWICHE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content