Une radiographie de la mutation du secteur automobile

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le secteur automobile connaît le plus grand bouleversement depuis sa création il y a un bon siècle. Un dossier du CRISP en fait l’analyse détaillée.

L’électrification des autos est un sujet de tension et de polémique. Le CRISP (Centre de recherche et d’information sociopolitiques) a décidé de le traiter dans un des Courrier Hebdomadaire, titré “La mutation du secteur automobile”. Un document de 90 pages, établi par Fabienne Collard, qui analyse minutieusement les changements à l’oeuvre avec l’obligation plus ou moins pressante de passer à des véhicules zéro émission, via la décision européenne de limiter la vente des voitures neuves à des autos n’émettant pas de CO2 à partir de 2035, et celle des zones à basse émission qui est encore plus sévère.

Une analyse détaillée de 90 pages

Fabienne Collard se garde bien d’ouvrir une polémique, ce n’est pas le sujet du CRISP, qui préfère les analyses posées aux phrases définitives. C’est l’un des rares documents qui propose une analyse détaillée des mesures prises au fil des années pour réduire les émissions des voitures, qu’il s’agisse des polluants toxiques (monoxyde et dioxyde d’azote, microparticules notamment), qui définit les catégories Euro (5, 6, bientôt 7) ou de gaz à effet de serre, dont le CO2, ce qui n’est pas la même chose : le CO2 n’est pas toxique.

Elle analyse aussi les enjeux de l’électrification, de l’auto à la fiscalité, en passant par le développement des réseaux de bornes et les besoins en électricité.

Entre autres choses, l’étude met en avant quelques paradoxes.

Le poids des autos annule partiellement leur efficacité environnementale

Le premier est le paradoxe de l’effet rebond. Il “correspond à l’ensemble des mécanismes économiques et comportements qui annulent une partie ou la totalité des économies d’énergie résultant des gains d’efficacité.” Ainsi pour les autos à carburant, l’effet rebond se traduit par une annulation des efforts pour réduire les émissions “par une évolution à la hausse des kilomètres parcourus et une augmentation de la puissance et du poids moyens des véhicules utilisés.” Les émissions moyennes officielles diminuent, mais en Belgique le nombre de véhicules a augmenté de 66% entre 1990 et 2019, le nombre de personnes transportées de 26%.

En outre, les constructeurs ont obtenu que les normes d’émission de CO2 (95 grammes de CO2 par km sur la période 2020-2024) soient modulées en fonction du poids, pour ne pas trop pénaliser les véhicules lourds (SUV et autres), en fait les constructeurs allemands. “De quoi inciter les constructeurs au surpoids, eux dont les stratégies de vente sont déjà motivées en ce sens par une demande toujours plus importante à l’égard des véhicules XXL” relève Fabienne Collard dans son étude, qui reconnaît aussi qu’une partie du poids provient des exigences grandissantes de sécurité. Ce sujet a créé des tensions entre la France et l’Allemagne, la première fabriquant des autos en moyenne moins lourdes que la seconde.

Notons qu’une voiture moyenne, en Europe, pèse 1415 kg en 2019, 12% de plus qu’en 2001, et une puissance moyenne 37% supérieure. En Allemagne et en Suède, cette moyenne est de 1493 kilos et 1598 kilos. La fiscalité automobile commence à tenir compte de cette évolution du poids, notamment dans le projet en Wallonie de taxe de circulation et de TMC.

Les ambiguïtés des constructeurs sur la voiture électrique

Le second paradoxe porte sur les autos électriques. Tous les constructeurs ont une stratégie d’électrification. Certains tiennent un double langage. “Au pied du mur, les constructeurs historiques adoptent (…) un discours qui relève parfois du paradoxe : ils se plaignent du rythme effréné de la mutation à laquelle ils sont contraints, tout en vantant les mérites de leurs nouveaux modèles électriques, bien décider qu’ils sont à lutter pour préserver, voir renforcer, leurs parts de marché.”

Les divergences se lisent dans les décisions de Stellantis et de Volvo de s’éloigner de l’association européenne des constructeurs, l’ACEA. Le premier estime que l’ACEA n’a pas pu dissuader la Commission européenne de mettre fin à la vente d’autos à carburant en 2035. Pour Volvo, la raison est inverse, la marque estime que l’ACEA n’est pas assez ambitieuse en matière de voiture propre et cherche encore à obtenir que certaines motorisations à carburant soient autorisées après 2035, avec des e-carburants, alors que Volvo mise sur l’électrification à partir de 2030 pour toutes ses autos.

Cette étude est une mine de chiffres, toutefois il faut noter qu’ils s’arrêtent en 2021, alors que l’électrification a connu un 2022 une forte accélération.

Ne parlez pas de véhicules “zéro émission”

Enfin, Fabienne Collard conteste l’appellation de voiture “zéro émission” pour les autos électriques. “Par définition une voiture présente sur les routes ne sera jamais “zéro émission”. Il est également difficile de parler de véhicules “verts” compte tenu des inquiétudes relayées par certains scientifiques quant à l’exploitation des ressources nécessaires à la fabrication des batteries, qu’il s’agisse de la rareté de ces ressources ou des dégâts environnementaux générés par leur extraction.”

Fabienne Collard, “La mutation du secteur automobile”, Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°2543-2544, 90 pages, 13,90

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